
« Voix en exil » au musée d’Orsay : un concours d’éloquence, poignant et sincère, en quête de solidarité
Nationalismes ; barriérisation ; silence étatique face aux drames qui gangrènent le Congo, la bande de Gaza, le Cachemire, l’Ukraine… Le monde du XXIe siècle est un monde qui se replie sur lui-même, qui ferme les yeux sur la misère qui l’entoure. Les mots de Philippe Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, sonne alors comme un cri d’alarme : « L’heure est à la solidarité, pas au repli sur soi ». C’est à la lumière de cette citation que s’est tenue la troisième édition du concours d’éloquence « Voix en exil », le vendredi 23 mai 2025 à Paris.
Autrice : Maëlle Pottecher
En partenariat avec l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), et avec l’appui de l’association Eloquentia, huit étudiants réfugiés en France ont eu l’opportunité de déclamer leur discours entre les murs du musée d’Orsay. Dans une langue encore nouvelle et intimidante pour certain.es, ils et elles ont su saisir et bouleverser l’auditorium rempli pour l’occasion. Car derrière leurs mots se cachait une mission : faire résonner la voix de tous ceux qu’on tait, qu’on ignore, qu’on oublie.
Du Burundi à l’Ukraine, en passant par l’Afghanistan, le Soudan, le Bangladesh, ou encore la Colombie, tous ces étudiants ont lancé leur appel à la solidarité devant un jury présidé par l’acteur, metteur en scène et réalisateur Alexis Michalik. A tous les lésés de l’histoire, et à tous ceux qui souhaitent l’améliorer, ces paroles leur étaient adressées. Ce fut donc avec espoir que Gabriel Karerangabo nous a invité à faire de notre époque celle de la « marche solidaire », avec conviction que Sebastian Hernandez Ramirez nous a rappelé que les liens se nouent au-delà des écrans, et avec émotion que Shema Mohammad Abdallah a affirmé : « la solidarité a sauvé ma vie ».
Les règles du concours étaient claires : énoncer un discours de cinq minutes sur le thème de la solidarité, en mentionnant une référence artistique présente au musée d’Orsay. Mais derrière ces consignes académiques, impossible de faire fi des trajectoires personnelles. Dures et sincères, elles ont alimenté les discours et ont autant ébranlé l’auditoire que les candidats. Un silence pesant, un raclement de gorge, des yeux brillants… l’émotion n’a pourtant pas déstabilisé les étudiants, mais a su porter leur prestation. L’une d’elle a unanimement séduit le jury : celle de l’Ukrainienne Myroslava Shenher, qui n’a « pas choisi de vivre en temps de guerre », mais a « décidé de ne pas (se) taire ». L’étudiante à Paris Dauphine a obtenu le premier prix.
Parmi les huit participants, deux d’entre eux étudient actuellement à Sciences Po : Gabriel Karerangabo, originaire du Burundi, et Sebastian Hernandez Ramirez, né en Colombie. Ce dernier s’est hissé à la deuxième place du classement. Pour les deux étudiants en master, ce concours de rhétorique fut un réel défi, et une source de fierté considérable. Informés par la direction de Sciences Po, et sur le site internet de UNHCR, ils ont d’abord dû envoyer une vidéo de deux minutes dans laquelle ils s’adressaient à l’enfant de douze ans qu’ils étaient. Après cette première sélection, ils ont ensuite été accompagnés par l’association Eloquentia et un bénévole de Sciences Polémiques pour préparer leur discours de finalistes.
Face au public, tous deux se sentaient fiers et confiants. Mais l’émotion était souvent palpable. Sebastian admet : « J’étais très stressé, surtout quand je parle de ma vie personnelle. (…) Ma voix s’est coupée, j’ai fait semblant de regarder mes feuilles mais j’essayais juste de maîtriser mes sentiments ». C’était la première fois que l’étudiant participait à un concours d’éloquence ; d’autant plus en français, une langue qu’il côtoie depuis près de trois ans seulement.
Après avoir vécu le harcèlement et l’intimidation en Colombie, puis les difficultés de l’exil vers la France, Sebastian suit aujourd’hui un double diplôme entre l’école des affaires internationales de Sciences Po (PSIA) et King’s College. Fier de son parcours, il affirme : « Je continuerai toujours à faire appel à la solidarité, à soutenir des causes qui me tiennent à cœur. Notamment la lutte contre l’homophobie, les LGBTphobies, pour que les enfants soient protégés et que personne ne souffre de faim. Une petite action, ça aide, ça change une vie ». Gabriel, de son côté, suit le master Human Rights and Humanitarian Aid de Sciences Po, et s’implique activement dans l’organisation Save the Refugee Youth dont il est le co-créateur. Celle-ci est destinée à accompagner les jeunes réfugiés au Rwanda et dans le monde vers un avenir meilleur, en leur assurant un accès à l’éducation, un système de mentorat, ou encore le respect de leurs droits fondamentaux.
Leurs engagements respectifs démontrent une chose : au-delà de ce concours d’éloquence, ces huit étudiants souhaitent transformer leurs paroles en actes. Afin de ne pas seulement appeler à la solidarité, mais de l’incarner avec conviction. Pour que leurs mots ne brisent plus seulement le silence de cet auditorium, mais fissurent l’indifférence du monde à venir.

