
Charles de Courson : « Plus la fin du quinquennat [d’E. Macron] approche, plus ses soutiens se posent des questions sur leur reconversion »
Plus ancien député de l’Assemblée nationale en exercice, Charles de Courson (Marne), expert des questions économiques, aborde plusieurs grandes thématiques du débat public dans un entretien accordé à La Péniche.
LA PÉNICHE. – Vous avez relevé des erreurs qu’on pourrait qualifier de monumentales de Bercy sur les prévisions en termes de croissance. Vous avez notamment évoqué des hypothèses macroéconomiques irréalistes ou l’absence de scénarios multiples. Comment serait-il possible d’expliquer de telles erreurs de l’administration ?
Charles DE COURSON. – Sur la TVA, ils ont un modèle dérivé d’un vieux modèle keynésien des années 60, qui leur disait que le taux d’épargne – qui était monté à 18,2 % environ alors qu’il était historiquement autour de 14,5 % – allait mécaniquement revenir à 14,5 %, puisqu’un modèle se base sur des paramètres du passé. Pendant deux ans (2023-2024), ils n’ont pas réajusté. Il y a eu le même problème en 2025. La consommation devait repartir, mais elle ne repart pas, tout simplement parce que les gens n’ont pas confiance : la situation internationale est dégradée et quand on ne sait pas de quoi demain sera fait, on consomme moins, on épargne, on met de l’argent de côté.
Pour l’IS (impôt sur les sociétés), c’est une autre erreur méthodologique. Ils ont considéré que la base fiscale, c’est-à-dire l’assiette de l’impôt, évoluait comme l’excédent brut d’exploitation – or ils n’ont rien à voir, parce qu’il y a tout le problème des reports, des provisions, des amortissements, de l’évolution des charges… Ils se sont acharnés à faire cela, à tel point qu’ils avaient prévu 72 milliards d’IS en 2024, et on en a eu 57. 15 milliards d’écart, c’est énorme.
Pour ce qui concerne l’impôt sur le revenu, la CSG et les cotisations sociales – qui ont pour partie une base commune, la masse salariale – ils n’ont pas tenu compte de ce que disaient les URSAF, c’est-à-dire que la croissance de la masse salariale était plus faible que ce qu’ils avaient prévu. Ils n’ont jamais réajusté.
Voilà les grandes causes. J’ai un désaccord de fond avec le président de la commission des finances, qui, lui, affirme que c’est la politique économique qui explique cela. Sa thèse ça consiste à dire qu’il y a une déformation du revenu national, c’est-à-dire que les couches moyenne et modeste de la société ont vu leur niveau de vie stagner voire baisser et que les riches et les super-riches ont beaucoup augmenté. Or, toutes les études montrent que ce n’est pas ça la cause.
Donc il n’y aurait pas, selon vous – aujourd’hui en tout cas – des considérations politiques qui ont fait que…
Si. Ça c’est l’origine des erreurs des services – puisque les ministres sont venus nous expliquer qu’ils ne servaient à rien : ils nous ont expliqué que les services faisaient des prévisions et que jamais ils n’y touchaient. L’un d’entre eux nous a dit que ce n’était pas à lui de mettre les mains dans le cambouis. Or, les services sont sous sa responsabilité, il n’est pas obligé de les suivre, donc il n’assume pas son rôle. Prenons l’exemple de l’impôt sur les sociétés : il aurait fallu s’inquiéter quand les services sortent une estimation en 2024 de 72 milliards d’IS, alors qu’on va finir l’année 2023 autour de 57-58 milliards. Alors qu’aucun des chefs d’entreprise que j’ai rencontrés m’a dit que son bénéfice avait explosé. Ce qui est vrai, c’est que les ministres et le Premier ministre en tête, et le président de la République ont tout fait pour retarder la révélation de la vérité, parce qu’on ne peut pas indéfiniment cacher une surestimation aussi importante des recettes ayant atteint en 2024 de l’ordre de 40 milliards (État, sécurité sociale, collectivités territoriales).
Verriez-vous un chemin possible pour stabiliser le déficit à 3 % du PIB et même la dette à 60 % du PIB ?
En calculant grosso modo ce qu’il faut pour revenir par rapport à un tendanciel – puisqu’en ne faisant rien, il y a une croissance spontanée des dépenses –, il faut faire autour de 40 milliards d’économies en 2026. Faut-il donc augmenter les recettes, limiter les dépenses ou faire un mix des deux ?
Il y a toujours des choses à faire sur les recettes pour les rendre plus justes, notamment. Mais il ne faut pas compter dessus alors qu’on a le taux le plus élevé dans la zone euro des prélèvements obligatoires, et de loin. Il faut arrêter de faire croire qu’on va taxer les riches, et que ça va renflouer les caisses, car comme toutes les entreprises, ils peuvent se délocaliser.
Le problème de fond de la France, c’est le niveau de ses dépenses. Si on était une démocratie mature, il faudrait réunir les gens qui réagiraient aux propositions du Gouvernement, en faisant savoir ce qui est acceptable et ce qui ne l’est pas. Chaque groupe politique, chaque groupe parlementaire donnerait sa position avant que le Gouvernement n’arrête cette quarantaine de milliards d’économies. Mais on en est pas là. C’est tout à fait possible de réduire les dépenses publiques mais pour ça, il faut du temps et il faut une majorité stable et cohérente. Or, il n’y a maintenant ni l’un ni l’autre.
Si vous deviez suggérer une piste principale pour réduire les dépenses, de laquelle s’agirait-il ?
Sur les trente dernières années, l’augmentation du poids des dépenses publiques dans la richesse nationale est due aux transferts : les transferts sociaux, les transferts vers les entreprises, les transferts vers les collectivités territoriales. Si on ne s’attaque pas à ces trois volets, on ne peut pas redresser les finance publiques.
Les transferts sociaux consistent massivement en l’assurance maladie et l’assurance retraite. Le Premier ministre avait lancé quelques pistes du style : « on va supprimer 10 % au bénéfice, les 10 % d’abattement sur les retraites au regard de l’impôt sur le revenu ». Cela représenterait quand même 4,5 milliards. Alors naturellement, les retraités imposables – soit la moitié – vont se demander pourquoi on leur inflige cela.
Il y a une deuxième piste qui est de ne réévaluer les pensions que pour leur retraités modestes, par exemple en réévaluant à hauteur de l’inflation jusqu’à 2000 euros et en réévaluant pas au-delà. Cela rapporterait 3 à 4 milliards – l’inflation étant faible. 1 point sur l’ensemble des retraite, c’est 3 milliards. Naturellement, quand l’inflation était de 3-4 % ça allait beaucoup plus vite.
Concernant les transferts sociaux, le Gouvernement a lancé une piste, que je ne crois pas réaliste, qui est de moduler en fonction du revenu les taux de remboursement. Je ne vois pas très bien comment on peut mettre cela en œuvre au sein des couples, etc.
Sur les transferts vers les entreprises, la plus connue des dépenses fiscales concernant les entreprises est le crédit d’impôt recherche, qui représente 17,7 milliards. S’il faut trouver 400, 500, 600 millions, la France ne mourra pas, surtout si on les cherche plutôt chez les grandes entreprises, les études montrant que l’efficacité du crédit d’impôt recherche est plus élevée sur les petites et moyennes entreprises que sur les très grandes. C’est un taux de 30 % jusqu’à 100 millions, au-delà c’est 5 %. Supprimer le 5 % rapporterait 460 millions.
Et puis, il y a les dépenses des exonération de cotisations sociales, à plus de 80 milliards. On peut peut-être diminuer cela en commençant par le haut. Est-ce qu’il faut aller jusqu’à 2,5 smic ? C’est très élevé. Et là encore, ces mesures sont plus efficaces pour les bas salaires. Donc on pourrait passer de 2,5 à 2,3 ou 2,2.
Après, il y a les collectivités locales, représentant environ 100 milliards. Pourquoi ne différencierait-on pas et ne ferait-on pas des économies sur les collectivités considérées comme les plus riches ? C’est une piste, même si personne n’en parle. Plutôt que de faire un système de rabot idiot qui pénalise surtout les communes, intercommunalités, départements, régions les plus en difficulté.
On pourrait faire des fusions ? Avec des suppressions de postes.
Sauf qu’il n’y aura aucune économie l’année prochaine et tous les exemples de fusions qu’on a eus sur les régions se sont traduits – d’après des travaux de la Cour des comptes – par une augmentation des dépenses, et pas du tout par une diminution comme ça avait été dit par ministre en charge de l’époque. Comment faire des économies en fusionnant l’Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardenne ? Les élus, qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont aligné le salaires sur le plus avantageux des trois. Rien que sur la masse salariale, on a commencé à se prendre des millions supplémentaires, sans parler des problèmes de transport… On n’a fait aucune économie.
Il ne serait donc pas envisageable de réaliser des fusions avec des économies ?
On peut le faire, mais bon courage pour y arriver. On est le seul pays de l’UE qui n’a pas restructuré son réseau communal… Donc on a développé des intercommunalités… on a aujourd’hui quatre niveaux, qui dit mieux dans l’UE ?
Puisque pendant des décennies, on a eu des budgets déficitaires, peut-on dire qu’il y a eu une forme d’insouciance vis-à-vis de cette question ?
Nous sommes le pays qui a été le plus mal géré, notamment dans les sept dernières années, de toute l’Union européenne. Ce n’est pas moi qui le dis : les travaux de la Cour des comptes montrent qu’on a le taux de déficit le plus élevé, en continuant comme ça on va bientôt gagner la première place sur la dette par rapport au PIB… Les autres baissent et nous on augmente. Il y a un moment où c’est intenable.
Si l’occasion se représentait, fermeriez-vous encore la porte à une entrée au Gouvernement ?
Oui, puisque ça ne sert à rien d’être ministre du budget dans une situation où vous n’avez pas le temps devant vous et où vous n’avez aucune majorité pour soutenir une politique de redressement des finances publiques. C’est ce que j’ai dit à Michel Barnier quand il me l’avait proposé. Et il est tombé au bout de trois mois. François Bayrou aurait dû lui aussi tomber au bout de trois mois mais il a lâché six milliards à mes collègues socialistes pour qu’ils ne votent pas la motion de censure, et il a fait croire au Rassemblement national qu’il l’écouterait davantage, mais tout ça est fini.
Vous qui aviez porté la motion de censure qui a failli passer contre le gouvernement d’Élisabeth Borne, pourquoi ne pas l’avoir revotée pour Michel Barnier puis François Bayrou, qui ne comptaient pas revenir sur la réforme des retraites ?
C’est tout à fait différent. Eux, ils ont hérité de cette réforme. Tout le monde sait que François Bayrou n’était pas du tout favorable au projet d’Élisabeth Borne. Lui n’était pas député mais ses collègues n’ont pas voté la motion de censure… Pour Les Républicains c’est différent, puisque je rappelle qu’il y en a 19 sur 62 à l’époque, soit environ un tiers, qui avait voté la motion de censure, sans parler des six ou sept qui hésitaient… Je rappelle qu’elle a failli passer à neuf voix. Ça s’est joué à très peu. Dans notre groupe, tout le monde a voté la motion de censure sauf deux députés.
Mais pourquoi ne pas avoir réitéré contre Barnier qui prévoyait de garder la réforme ?
Puisque Barnier, lui non plus, n’avait pas la même position. Je lui avais dit qu’il héritait de lettres plafond signées – à mon avis irrégulièrement – par Attal qui était censé expédier les affaires courantes. Je lui avais conseillé de faire un projet de loi de finances Attal et d’annoncer être prêt à discuter d’amendements, qui seront des amendements Barnier pour avoir un projet de loi de finances Barnier. Il a fait grosso modo du Attal avec presque pas de Barnier. Il s’est planté.
Pour sortir de cette situation-là, puisque vous expliquez que sans majorité sera possible de ne rien faire en fait concernant le redressement de nos finances, faudrait-il refaire une dissolution pour essayer d’avoir une majorité ?
De toute façon si le président de la République, dans les deux ans qu’il lui reste à vivre, faisait un deuxième dissolution, ça aggravait encore la crise politique, car ce qu’il lui reste d’amis – puisqu’ils étaient déjà minoritaires en 2022 – seraient encore divisés par deux à l’Assemblée nationale. Sachant qu’en plus, plus la fin du quinquennat approche, plus ses soutiens se posent des questions sur leur reconversion.
Si on sort du contexte purement franco-français et qu’on s’intéresse à l’échelle européenne, penseriez-vous que dans un monde où il faut être de plus en plus être compétitifs et dans un monde de plus en plus instable qu’il faudrait laisser émerger des géants européens qui pourraient concurrencer les GAFAM et BATX, au lieu d’empêcher toutes les fusions-acquisitions ?
Je suis profondément proeuropéen donc oui, mais ça ne se fait pas comme ça. Pour fusionner deux groupes, il faut des équipes qui se marient, réorganiser l’entreprise… ça demande plusieurs années. Mais on a déjà des grands groupes européens comme Airbus dominé par les Allemands et les Français. Dans l’industrie de la défense, on a aussi des groupes qui commencent à s’intégrer. Dans l’agro-alimentaire, il y a aussi de grands groupes européens. Donc ça existe déjà. Étant libéral, pour un libéralisme organisé, je pense qu’il faut faire attention à ne pas créer des situations de monopole. Big is not always beautiful… et réciproquement small is not always beautiful.
Donc vous seriez en désaccord avec certains de vos collègues socialistes, qui préconisent de même découper les GAFAM chez nous ?
Les GAFAM, c’est encore autre chose, puisque certains d’entre eux ne sont pas implantés en Europe mais diffusent ici….
Et ils ne paient beaucoup d’impôts.
Ils paient des impôts mais pas forcément dans les endroits où ils opèrent. Ils paient beaucoup d’impôts en Irlande, d’où d’ailleurs l’excellente situation des finances publiques irlandaises. Ils ont mis des taux de 15 %, ils se sont battus comme des chiens, tout comme les Luxembourgeois. Mais souvent, ils votent des textes un peu à l’italienne, c’est-à-dire qu’on vote des textes mais derrière on fait des arrangements. Les Luxembourgeois se sont d’ailleurs fait condamner.
Pour être plus compétitifs et réactifs, ne faudrait-il pas modifier les objectifs de la BCE et étendre ses capacités, peut-être sur le modèle de la FED en incluant la question de l’emploi ?
Je crois qu’il faut éviter que les banques centrales soient sous l’influence directe des gouvernements du moment. Et de toute façon, quand on a créé le SME (système monétaire européen), ceci a été acté dans les accords au sein de la zone euro. On a garanti l’indépendance des banques centrales. Que ce soit la FED aux États-Unis ou la BCE en Europe, il faut respecter leur indépendance, elles ne sont pas là pour gérer à la place des ministres de l’économie, ou faire du Trump en disant « Allez Jérôme tu vas baisser les taux d’intérêt », c’est une conception extravagante.
D’ailleurs sur Donald Trump, disons qu’il change beaucoup d’avis… Faudrait-il de notre côté européen anticiper une baisse des échanges avec les États-Unis d’une manière générale ?
Non… J’ai fait des études d’économie internationale. Tous les travaux montrent que les libertés économiques et la libre circulation aboutissent à augmenter le niveau de vie des peuples. On considère que 20 à 30 % de la croissance e l’UE est liée aux échange internationaux, intra-européens mais extraeuropéens aussi.
Donc il n’y aurait pas la moindre concession à faire face à Donald Trump – puisqu’il dit qu’il suspend les droits de douane pour négocier ?
Le président américain a un comportement d’homme d’affaires en politique. Il pense que quand on veut 10, on demande 100, et puis même si on n’obtient que 10 on dit que c’est parce qu’on a demandé 100. Ses positions sont à géométrie variable. Il fait ce qu’il pense être utile à ses convictions du moment, il peut en changer dès le lendemain, ce n’est pas un problème pour lui. On a du mal, naturellement, à comprendre ce personnage qui veut insulter le président ukrainien puis après dire que c’est un good guy, il fait la même chose avec les Européens en les accusant d’avoir créé la TVA pour planter les États-Unis. C’est une illusion et tous ceux qui ont voulu utiliser les droits de douane en les élevant pour protéger leurs pays sont arrivés au résultat inverse. C’est le drame de la France de la IIIe République à la fin du dix-neuvième siècle, quand Méline met des droits de douane pour protéger l’agriculture française, qui s’est beaucoup moins modernisée que les agricultures allemande, anglaise et bien d’autres dans le monde.
Donc vous pensez qu’il ne réaugmentera pas les droits de douane.
Non, je pense comme toujours avec lui, que quand il va voir les conséquences désastreuses aux États-Unis – parce que les États-Unis sont globalement plus impactés par ces mesures que les autres pays – il pourra changer d’avis. C’est un garçon qui n’a pas beaucoup de convictions.
Auriez-vous un conseil pour les jeunes qui souhaitent s’engager dans la chose publique ?
Je leur dis toujours de commencer par avoir un vrai métier, de ne pas dépendre de la politique. Je dis aux jeunes assistants parlementaires d’avoir une compétence parce qu’ils ne passeront pas toute leur vie dans cette situation-là. La deuxième chose, c’est de commencer à s’engager localement, dans les conseils municipaux, les associations, etc., où vous apporterez quelque chose, concrètement. Il n’y a rien de pire que ces gens qui passent leur vie dans la politique et n’apportent rien, n’ont aucune expérience, ne savent pas ce que c’est que de gérer une entreprise, ne savent pas ce qu’est une association… comme des fétus de paille qui essaient de prendre le vent pour essayer de survivre.
Auriez-vous quelque chose à ajouter ?
Je dirais de faire attention aux idéologies. Elle empêchent de voir la réalité des choses. Il faut toujours avoir une certaine distance par rapport à l’immédiateté et éviter des propos excessifs qui traduisent une méconnaissance de la réalité des choses. Il faut être ouvert et éviter de croire qu’on détient la vérité, ce qui est la tentation de beaucoup de jeunes. Certains vantent le marxisme ou le libertarisme comme solutions. Cela traduit une forme d’immaturité, mais c’est le propre de la jeunesse… On apprend en faisant.
Propos recueillis par Albert Ghazaryan.

