Smash ou pass ? Notre critique de L’amour c’est surcoté, de Mourad Winter

L’amour c’est surcoté est un enfant d’Internet. Les deux protagonistes, Laura Felpin et Hakim Jemili ont fait leurs débuts sur Youtube et Instagram, avant de se faire connaître du grand public dans la série de Jonathan Cohen Le Flambeau pour la première et par le stand-up pour le second. Les deux sont réunis pour une histoire d’amour entre un enfant de quartiers populaires, Anis, et une bourgeoise, Madeleine, bien que la lutte des classes ne soit pas le cœur du film.

Auteur : Eliott Offenstadt


Reprenant les codes d’Internet jusqu’au titre — l’emploi du verbe surcoter, le film frappe par de prime abord par une réalisation « expressionniste » qui impose une vision au spectateur.

Le cinéma « expressionniste » (selon André Bazin dans L’évolution du langage cinématographique) est une manière de réaliser un film dans lequel le spectateur est entièrement guidé par l’image. C’est-à-dire que les effets de mise en scène vont avoir comme but d’indiquer au spectateur quelle direction suivre, comment comprendre l’action, comment analyser les personnages. La voix-off omniprésente, le grain de l’image très marqué et la concentration de plans très resserrés emmènent le spectateur dans une seule et unique direction : celle voulu par le réalisateur. En d’autres mots, le montage vampirise le jeu des acteurs. La couleur rose nous dit que c’est un film romantique, d’un romantisme nébuleux d’ailleurs nous rapporte le grain. La voix-off nous dit qui est gentil et qui est méchant. L’expressionnisme passe ainsi, pour reprendre les mots d’André Bazin, dans « l’ombre projetée, par le montage, sur le plan de conscience du spectateur ».

Au-delà du pont entre Griffith et Youtube, L’amour c’est surcoté est un film confondant de mièvrerie. Mièvrerie qui nait de cette réalisation spécifique.

En effet, dès lors que le film collectionne nombre de poncifs cinématographiques, le deuil de l’ami devenu-une-bonne-étoile-qui-veille-sur-ses-amis-depuis-là-haut, le raciste mais-pas-trop-quand-même-non-plus-il-est-gentil-il-n’-est-pas-si-méchant-que-ça et consorts, dont la mise en scène de l’authenticité est une tâche particulièrement relevée, le faire par un tel montage expressionniste qui invite les spectateurs à « boire » le film ne fait qu’augmenter, au fur et à mesure, une certaine dissonance cognitive. L’authenticité forcée entre en opposition avec notre esprit critique qui peut ne pas accepter que tout soit aussi simple.

Les lettres roses indiquent au spectateur que tout est bienveillance.

Cette mièvrerie n’est cependant pas inoffensive. Elle peut s’apparenter à une certaine duplicité du réalisateur. Deux aspects attirent notre attention : puritanisme et stigmatisation.

En premier lieu, le film cultive un rapport très distant avec le sexe. Le film met ainsi en avant un amour qui se passe de sexe, plaçant sur un piédestal celui qui aime « attendre » et qui porte en horreur la femme qui a plusieurs enfants de plusieurs hommes, de laquelle il ne pourrait évidemment pas s’éprendre. De même, la femme qui a une boîte de préservatifs chez elle est nécessairement une « prostituée ». Si le spectateur pourrait prendre avec distance de tels dires dans une mise en scène réaliste, le caractère expressionniste du film tend à imposer les blagues car le personnage n’est pas un mauvais bougre, c’est le héros du film. La pensée du héros est donc tout à fait acceptable, car c’est le héros, la voix-off nous le dit et le générique est écrit en lettres roses. 

Anis (Hakim Jemili) est choqué du fait que sa conquête, Madeleine (Laura Felpin), dispose de préservatifs chez elle, la qualifiant de « prostituée ». Cette scène fait apparaître comme vaines les relations sexuelles jugées trop hâtives, car il ne se passe rien entre les deux personnages ce soir-là.

En second lieu, cette duplicité passe par les propos à caractère discriminatoire contre les transsexuels et les Juifs, entre autres. On peut très bien filmer des personnages qui méprisent les transsexuels et portent en horreur les Juifs… si on laisse le soin aux spectateurs de les mépriser eux aussi. Ici, le héros Anis ou le rigolo Paulo (Benjamin Tranié) en sont les auteurs. Cela omet de faire penser qu’inventer un ami transsexuel pour se justifier de ne pas discriminer un transsexuel, ce n’est pas la meilleure défense, et que vouloir aller à Munich pour venger un Juif qui n’a rien demandé, c’est stigmatisant. Pour ne pas dire plus, dans les deux cas. Sauf que le spectateur n’a pas le droit de se dire que Paulo est un salaud car Paulo est un bon gars. Les images nous le montrent, la voix-off nous le dit et le grain nous le susurre.

Paulo (Benjamin Tranié) masse Maëva (Marilou Aussiloux), après lui avoir offert des financiers parce qu’il est antisémite et qu’elle est juive, mais que son cœur fait flancher… Le tout avec une lumière rose, en témoignent les reflets sur les murs.

Ce qui résulte de l’expressionnisme du film, c’est ainsi une complicité de son réalisateur avec ses personnages prudes, racistes, antisémites et transphobes. Ce ne sont pas les propos des personnages qui le démontrent, mais la mise en scène qui en est l’aveu.

Lorsque des films se font les vecteurs d’idéologies néfastes ou critiquables, la mise en scène est souvent utilisée comme « aveu ». Celle-ci est étudiée par Marc Ferro dans Cinéma et histoire pour condamner Veit Harlan, passé entre les mailles du filet après la Seconde Guerre mondiale, et son Juif Süss. Au fond, l’antisémitisme d’Harlan ne réside pas plus dans l’histoire de ce Juif qui invente la privatisation des autoroutes avant l’heure mais dans le fondu enchaîné qui voit le Juif se raser et s’introduire dans la société pour la corrompre de l’intérieur, fidèlement aux théories antisémites nazies. 

Le fondu enchaîné du Juif Süss (Veit Harlan, 1940), dans lequel Joseph Süss Oppenheimer (Ferdinand Marian) quitte son village pour « corrompre » la ville. Le fondu enchaîné est fidèle aux théories nazies qui font des juifs des « caméléons ».

Pass.