Valdas Papievis : « Marcher m’aide à trouver l’inspiration »

ENTRETIEN. – Valdas Papievis a 62 ans. Il est écrivain et journaliste. Né à Anykščiai, en Lituanie, il vit à Paris depuis près de 30 ans. La Péniche l’a rencontré et vous partage ses réponses !

LA PÉNICHE. – Pourquoi vous êtes-vous installé en France, à Paris ?

Valdas PAPIEVIS. – Je suis venu pour la première fois en France en 1993. Pour moi, qui suis né dans un pays sous occupation soviétique, Paris était aussi loin que la Lune ! C’était une ville légendaire, que je ne connaissais qu’à travers Balzac, Hugo, les chansons, les cartes postales… J’y suis donc allé en bus. Ce fut un long trajet car à l’époque, il n’y avait pas de liaison aérienne directe entre Vilnius et Paris. En arrivant à Paris, j’ai eu une impression de « déjà vécu ». C’était donc pour moi une évidence de venir y vivre. Je m’y suis installé à partir de 1995.

C’est intéressant, vous quittez la Lituanie au moment où celle-ci retrouve son indépendance. Comment était-ce d’être écrivain sous l’occupation soviétique ?

Mon premier roman, L’Automne en Province, était ouvertement anti-soviétique et contre l’impérialisme russe, que nous subissons depuis la fin du XVIIIe siècle. Mais il a été publié à une époque de transition du régime, quand nous commencions à retrouver notre liberté. Je n’ai donc pas été inquiété.

Depuis, j’écris sur la France car j’y vis. Mon roman Ėko se passe à Paris, Un morceau de ciel sur terre se passe en Provence. Je n’écris pas sur la Lituanie car je n’y vis plus. J’y retourne de temps en temps, mais ce n’est pas suffisant, j’ai besoin d’être plongé dans l’environnement.

À quoi ressemble votre quotidien d’écrivain lituanien vivant à Paris ?

L’écriture est un état particulier, qui échappe au quotidien. J’ai besoin de me plonger dans une solitude absolue, que le monde s’ouvre à moi avec tous ses horizons les plus vastes, toutes ses nuances les plus subtiles.

Pour cela, marcher m’aide à trouver l’inspiration. Il m’arrive d’avoir une pulsion d’écriture : je suis à un endroit quelconque, à un moment quelconque, et je ressens ce besoin d’écrire…

Je rédige principalement sur mon ordinateur, mais il m’arrive de prendre des notes sur papier quand me vient une idée. Le plus souvent en lituanien, parfois en français.

Deux de vos livres ont été récemment traduits en français. Vous avez écrit d’autres œuvres, pourquoi avoir mentionné celles-ci ? D’autres traductions sont-elles à venir ?

C’est Caroline Paliulis (artiste et traductrice franco-lituanienne) qui m’a proposé de traduire mes livres en français. Elle avait déjà plusieurs traductions à son actif et s’est intéressée à mes intrigues, qui abordent le sujet universel de la solitude dans la ville.

Un morceau de ciel sur terre est paru en 2020, et Ėko en 2023, tous deux aux Éditions Le Soupirail. Caroline est en train de traduire mon roman qui a rencontré le plus de succès en Lituanie, il devrait sortir fin 2025 ou début 2026. Son nom est Odilė ou la solitude des aéroports.

La ville qui s’effondre, décrite dans « Ėko », est-ce la ville vidée de ses habitants à cause de la guerre ? Du Covid ? Du dérèglement climatique ?

À l’origine, cette histoire est parue sous forme de nouvelle. Nous étions en août 2016, à cette époque-là, les Parisiens sont en vacances et seuls restent les touristes. Mais cette année était particulière : l’été faisait suite aux attentats du Bataclan. Paris était alors vide.

Je ne trouvais pas l’inspiration. Une amie m’a conseillé de sortir et d’écrire ce que je voyais au-dehors. M’est alors venue l’idée d’écrire sur cette ville vidée de tous ses êtres. « Et si tout le monde avait quitté Paris et ne revenait plus jamais ? ». Je me suis alors mis à imaginer un personnage seul, errant dans cette ville, en compagnie d’un chien, nommé « Ėko ». Que peuvent-ils bien faire dans cette ville démesurément vide ? Cette histoire nous plongeait dans la solitude de l’existence.

La nouvelle a eu de bons échos, j’ai donc décidé de la prolonger pour en faire un roman. Le personnage principal découvre à un moment donné un camp de migrants – ce qui était alors un sujet d’actualité en 2016. Les faire interagir m’a permis de mettre en avant la solidarité. Je voulais montrer que nous sommes tous des immigrés : nous ne savons pas d’où nous venons et ne savons pas où nous allons. La solitude et la solidarité sont des thématiques très présentes dans mes livres. Elles m’intéressent, elles sont pour moi une philosophie.

Peut-on dire que votre livre « Ėko » est une antichambre de la fin du monde actuel ?

Nous ne pouvons pas dire que ce livre mène vers la fin du monde. Il mène plutôt vers l’inconnu et l’incertitude. Cela fait des siècles que l’humanité prévoit la fin du monde, et pourtant, elle n’a toujours pas eu lieu. Néanmoins, j’ai été frappé quand est survenu le Covid, de voir ces villes désertes que j’avais décrites dans mon livre quatre ans plus tôt. Ce qui était à l’époque une dystopie est aujourd’hui devenu réalité. Mais je crois à l’instinct de l’humanité, qui l’aidera à survivre malgré les crises. Je reste, malgré tout, un optimiste.

Que vous évoque la guerre en Ukraine ? Pensez-vous que cette guerre soit l’antichambre d’une guerre mondiale à venir ? Est-ce une source d’inspiration pour vos œuvres ?

Cette guerre, c’est aussi la nôtre. Les Ukrainiens nous défendent. S’ils ne réussissent pas, ce sera au tour de la Lituanie, puis le vôtre. La guerre m’inspire, indirectement, comme toute actualité, mais ce n’est pas le fond de mes intrigues. Je voudrais montrer des lignes rouges, mais il n’y en a plus. Il n’y a plus de normalité.

Quelle est la part de fiction et de réalité dans vos œuvres ? Les personnages principaux de Ėko et Un morceau de ciel sur terre sont des journalistes lituaniens vivant à Paris… comme vous !

Il est vrai que mes personnages principaux me ressemblent, mais ils ne sont pas moi. Le fait qu’ils soient lituaniens n’a pas d’importance. Mes histoires ne sont pas à proprement parler autobiographiques, mais elles s’inspirent de mon quotidien, de ce que je vois et vis. Ce sont des autofictions, que j’écris pour moi-même, avec l’envie de les partager avec les autres.

Les Français connaissent peu la littérature lituanienne. Quels auteurs classiques ou contemporains recommanderiez-vous ?

La littérature lituanienne est très vaste ! Mais je conseillerais ces deux livres traduits en français : Le Linceul blanc, chef-d’œuvre d’Antanas Škėma (éd. Cambourakis) et Vilnius Poker de Ričardas Gavelis (éd. Monsieur Toussaint Louverture).

Vous-même, quelles sont vos influences littéraires ?

Plus jeune, j’aimais beaucoup le style de Julio Cortázar, écrivain franco-argentin, en particulier son roman Marelle (1963). Il y a aussi Bronius Radzevičius, écrivain lituanien de l’après-guerre. Mais je pense avant tout avoir cultivé mon propre style !

Propos recueillis par Maïeul Tellier.

Un morceau de ciel sur terre, Valdas Papievis (trad. Caroline Paliulis), Le Soupirail, 2020, 182 p.

Ėko, Valdas Papievis (trad. Caroline Paliulis), Le Soupirail, 2023, 144 p.