Rencontre avec Yves Deloye, directeur de La Revue Française de Science Politique

Professeur de science politique à Sciences Po Bordeaux, Yves Déloye est aujourd’hui secrétaire générale de l’association française de science politique mais aussi directeur de publication de La revue française de science politique depuis 2009. Rencontre.

Comment êtes-vous venu à la science politique ?

Je n’étais pas destiné à la science politique. J’ai commencé mon cursus par une licence d’économie. À mon sens l’économie ne m’apportait qu’une approche un peu trop formelle et éloignée de la réalité des rapports en société. Mais je me suis finalement réorienté vers quelque chose de plus proche de l’humain, de moins rationalisé, et j’ai donc passé tout le reste de mes études à étudier la science politique en passant notamment ma maitrise à l‘université Paris I.

Parmi les sujets que vous avez traités, quels ont été les travaux qui vous ont le plus marqués ?

J’ai particulièrement travaillé dans la sociologie historique du politique. C’est un domaine qui permet de lier la dimension théorique de la sociologie dans un contexte historique donné pour mieux analyser le politique. Ceci m’a notamment permis de travailler sur des sujets tels que la citoyenneté dans l’Union européenne, la laïcité en France ou encore les identités nationales et le nationalisme. J’ai également voué du temps à un travail sur l’acte de vote. L’« acte de vote » n’est pas à confondre avec « l’orientation du vote ». L’acte du vote pèse les intentions que nous mettons dans notre rapport au vote et pose des questions telles que : que signifie le fait de ne pas aller voter ? Ou, au contraire, d’aller voter massivement ? C’est un sujet évidement d’actualité !

Il est reconnu que la science politique est une discipline très récente (l’agrégation de science politique n’a été mise en place qu’en 1971). Que pouvez vous nous dire de la place de cette discipline dans la société aujourd’hui ?

C’est effectivement une discipline très récente. Les deux grandes institutions que sont la Fondation Nationale des Sciences Politiques et l’Association Française de Science Politique n’ont été fondées qu’après la Seconde guerre mondiale. Aux Etats-Unis les travaux de science politique commencèrent à être prolifiques dès la fin du XIXème siècle ! Un autre indicateur pourrait être le nombre d’adhérents dans notre association. Nous comptons autour de 500 membres alors que dans le même temps, aux Etats-Unis l’association équivalente en compte 13000 à 14000 membres. Le fait est qu‘en France il existe un problème par rapport au discours politique. L’objet d’étude est en effet compliqué étant donné que nous sommes en démocratie et que donc chacun peut avoir un avis différent sur la chose politique ce qui remet en question le caractère de science de la discipline. Une orientation possible et qui se met en place actuellement est l’alignement de notre discipline sur le discours journalistique très prolifique et qui parle plus aux gens (on le voit avec le développement des « experts »).

La Péniche est un journal numérique, accessible sur un site internet et une appli mobile. En tant que directeur de la publication de la revue de science politique française, pensez vous que les nouvelles technologies puissent permettre à votre discipline de s’imposer un peu plus ?

La revue possède une version papier éditée par les presses de Sciences Po. Mais nous avons compris que si nous voulions nous rendre plus accessible il fallait se mettre à l’ère du numérique. Nous sommes donc désormais présents sur deux portails numériques : PERSÉE qui est un éditeur numérique de revues de sciences humaines et sociales, CAIRN qui est également un éditeur en ligne qui permet d’avoir une meilleure visibilité dans tous les pays francophones. L’enjeu est évidemment de permettre un regain d’accessibilité pour la revue et notamment pour les étudiants et les chercheurs qui en ont besoin. Il est aussi question de la place des travaux français à l’étranger. C’est pourquoi la revue est présente sur JSTOR, traduite en anglais, et accessible en ligne. Ceci représente un véritable investissement qui en vaut la peine ! L’objectif est d’offrir dans les pays anglophones et notamment aux Etats-Unis une meilleure approche de la science politique française. On peut donc dire que les nouvelles technologies offrent à la science politique française un regain d’accessibilité. Ce sont les grandes orientations prises par la Revue depuis quelques années maintenant.

En tant que spécialiste de la science politique et en pleine année pré-électoral pourriez vous nous indiquez quels sont pour vous les enjeux les plus important pour les échéances de 2017 ?

Les enjeux des échéances à venir ne se situeront pas tant dans l’orientation du vote mais plutôt dans ce dont nous parlions précédemment : l’acte de vote. À mon sens le principal enjeu sera la légitimité démocratique des gouvernants. Qui que soit le ou la gagnante de la prochaine présidentielle il y a fort a parier qu’il se passera la même chose qu’avec le président actuel c’est à dire un gouvernant qui perd très vite de sa légitimité à travers sa popularité. Ceci conduit certains pays dans des situations politiques complexes, avec un paysage électoral éclaté, comme on a pu le voir en Belgique ou encore en Espagne où le processus de désignation du nouveau premier ministre est très compliqué. Le risque est de voir des représentants mal-élus et en lesquels les citoyens ne reconnaissent plus une légitimité à agir.

Les raisons de cette perte de légitimité sont identifiables. Dans notre 5ème république, l’élection au suffrage universelle a provoqué une personnalisation de la politique entrainant elle-même des campagnes de plus en plus enflammées au risque de faire des promesses qui ne seront jamais tenues. S’en suit donc l’émergence d’une méfiance à l’égard de la classe dirigeante. Par ailleurs, notre pays souffre du manque de renouvellement de la classe politique et de sa représentativité (en témoigne le pourcentage de femmes dans l’assemblée, l’âge des parlementaires, la quasi-absence des représentants des minorités…). L’actualité récente l’a montré une fois encore : ceci participe à éloigner les représentants des citoyens. D’où, par exemple, l’accueil des gouvernants au salon de l’agriculture cette année. Beaucoup de raisons peuvent ainsi conduire le Front National au second tour en 2017.

Ne croyez justement vous pas que la « société civile » est en train de réagir face à cela ?

Il est évident qu’il existe des signes de vitalité démocratique. Nous possédons un tissu associatif très développé, des démarches délibératives et participatives à l’échelle locale. La principale difficulté est que ces mouvements sont encore trop autonomes les uns des autres. Il faudrait parvenir à un équilibre, une hybridation des initiatives qui permettra à la fois de concilier les exigences institutionnelles avec celles des citoyens qui aspirent à renouer avec la politique.