Le Grand Oral de Vincent Lindon en 5 points

Vincent Lindon était convoqué ce jeudi soir dans l’amphithéâtre Boutmy pour son Grand Oral. Fin connaisseur du public et de la scène, il s’est empressé de prendre les rennes de l’exercice. Désinvolture sagement maîtrisée et prestance contrôlée, un objectif pour l’acteur de 57 ans : séduire les jurés en jouant avec brio le rôle le plus subtil à mener, le sien. Retour.

Vincent Lindon, forte personnalité et image soignée

L’oral à est à peine commencé que Vincent Lindon, interrompant insolemment son juré Martin Lewandowski, fixe les règles de l’exercice. Il n’y aura, ce soir, ni selfie, ni snapchat, ni livetweet. L’acteur se livre à une rencontre loyale sans artifice. Le public est prévenu. Le ton est donné. Ainsi s’introduit lui même Vincent Lindon, esquissant une personnalité à l’image de sa carrière : loin des crépitements des appareils photos. Il déplore la gloire aussi bruyante que facile, quitte à refuser une couverture de magasine et le titre d’homme de l’année. Prompt à soigner les airs mystérieux qu’on lui connaît bien quand Alexandre Chernet, portrayeur de Sciences Polémique, l’interroge sur son regard soucieux, il admet volontiers être obsédé par la volonté de se représenter. « J’imagine que je suis constamment quelqu’un d’extérieur entrain de me regarder », explique-t-il. C’est d’ailleurs ce qui motive son choix de film : peut-il, de l’extérieur, se concevoir aisément entrain d’expliquer fièrement son projet ? Une exigence vis à vis de lui même qui, force d’introspection, dessine toute sa personnalité : l’art décontracté du contrôle, l’exigence soucieuse de se représenter tel qu’il est.

 

Président de la République ? Pourquoi pas !

Interrogé à de nombreuses reprises sur la récurrence des thématiques sociales dans ses films, Vincent Lindon livre sa profonde fibre politique, faite à la fois d’une confiance inébranlable et du feu de l’indignation. Les politiques ? « Ils se lèvent le matin, ils bossent, ils font ce qu’ils peuvent. » Les réformes ? « Que des demi mesures. Si on ne regarde que le bout de son nez, on se cogne ! ». Une vraie reprise en main du monde, des changements sur soixante ans, voilà ce à quoi appelle l’acteur. S’avouant indigné mais impuissant à l’évocation de la jungle de Calais, Vincent Lindon appuie ses propos sur le terrain qu’il affectionne le plus : la culture.

En littérature, interloqué par la présence latente des mêmes classiques à l’école : voilà maintenant trois générations qu’on étudie l’Etranger, quand Milan Kundera, Patrick Modiano, et Emmanuel Carrière sont laissés sur la sellette. A la télévision ? Indigné par la course à l’audience au profit de la qualité. La culture est une question d’éducation, et c’est la responsabilité des politiques d’éduquer.

Plongé très jeune dans un monde de débats politique, il regrette les balades de santé des politiques en province « Le président est aussi étonné de voir le boulanger que le boulanger le président ! ». Hilarité générale. Il y a des choses à faire et le changement est possible, le message est passé. Alors, quand on l’interroge sur un désir secret d’être président de la république, sourire badin aux lèvres, oui, il pourrait avec un peu de travail. Avant d’admettre la plaisanterie : la question ne se pose pas. Mais nous, on a compris : pourquoi pas.

 

La société d’aujourd’hui ? Modérée et vulgaire

S’il évoque à plusieurs reprises sa confiance invétérée dans les jeunes générations, Vincent Lindon ne cache pas son irritation quant aux visages du XXIème siècle. Rouge et remonté, il accuse le plus grand maux du siècle : la modération. Celle d’un refus total de « se tenir droit dans ses bottes ». La phrase à ne pas prononcer à ses côtés « Oh, je trouve que tu exagères un peu ». Car pour l’acteur, cette modération signe une mollesse et une vulgarisation de la société. Du tutoiement généralisé, de la « pensée Macdonald’ s », notre société, modérée, préfère partager une photo de mozzarella sur les réseaux sociaux plutôt que de prendre position sur un sujet, qui réagit avant de réfléchir. Sans modération, en somme, ce qui désole Vincent Lindon, c’est le tournant vulgaire du monde. Pour une critique plutôt communément répandue, on apprécie une réaction qui l’est beaucoup moins. Compte Twitter vierge, fort dans ses convictions, ce que Vincent Lindon condamne, il ne le fait pas.

 

« Si j’ai un César, c’est bien, si je ne l’ai pas, c’est mieux »

Passionné par le cinéma, pourtant sans vocation, Vincent Lindon raconte « comment devient-on Vincent Lindon » à Hugo Travers, c’est à dire comment devenir acteur (presque) par accident. Evoquant la sélection soigneuse de films dans lesquels il accepte de tourner, il reconnaît la responsabilité politique de l’acteur, son devoir de sensibilisation à la culture dans les collèges et les lycées. Quand on lui demande comment se porte le cinéma français, il répond « bien ». Statistiquement du moins. De plus en plus de films, d’acteurs et d’entrées sont comptabilisés, sans garantir pour autant de la qualité sur la durée et s’assurer de l’avenir du patrimoine français. Toujours, au fil de cette conférence, la peur d’une vulgarisation généralisée de la culture, comme de la société.

En cette veille de César, cependant, il ne semble pas trop s’inquiéter pour sa postérité. Si la récompense serait bienvenue, son absence serait tout aussi éloquente. Voilà que dans quelques années, on s’étonnerait aux cours Florent. « Tu te rends compte ?! Vincent Lindon n’a jamais eu de césar ! », ce qui serait, comme l’assure-t-il face à un public sceptique, tout aussi gratifiant.

 

Un acteur qui ne sait faire semblant

Vient alors la confrontation avec le grand témoin, l’avocat pénaliste Hervé Temine. Confronté à une différence décorée de compliments réciproques, voilà Vincent Lindon face à la question de la nature même de l’acteur. Une réflexion fertile qui l’emmène à un constat : le manque de sa vie, c’est celui des mots, de l’art oratoire. Pouvoir, tel un avocat, convaincre avec les mots. Car lui, comme il l’avoue modestement, n’a pour sa défense que son énergie, ses mimiques, sa colère pour s’exprimer. Avant d’ajouter que de toutes façons, il ne pourrait ô grand jamais être avocat, car, et c’est le comble pour un acteur, il ne sait pas faire semblant. Impossible, par exemple, de défendre quelqu’un qui le révulse, ou de feindre l’ignorance face à un interlocuteur, s’il était journaliste politique. Jury séduit, il semblerait que le charme Vincent Lindon ait opéré avec succès hier soir. Il le dit lui même : qu’importe si aujourd’hui le césar du meilleur acteur lui échappe, car à Sciences Po, il a brillé (encore plus que la statuette).