Élections législatives : l’Italie face à un tournant historique

Le 20 juillet dernier, après des semaines de querelles, la Ligue de Matteo Salvini, Forza Italia de Silvio Berlusconi et le Mouvement 5 Étoiles de l’ancien Président du Conseil Giuseppe Conte ont décidé de ne pas participer au vote de confiance envers le « gouvernement d’unité nationale » de Mario Draghi, qu’ils soutenaient depuis sa formation en février 2021. Ainsi s’est ouverte la 67ème crise gouvernementale de l’histoire de la République italienne. 

Le lendemain, constatant l’impossibilité de former une majorité alternative, le Président de la République Sergio Mattarella annonçait la dissolution du Parlement et la convocation anticipée des élections législatives, fixées au dimanche 25 septembre. Ce scénario s’est reproduit plusieurs fois dans l’histoire de l’Italie républicaine. Or, cette fois les réactions véhémentes des responsables politiques et des observateurs de  la crise – dans un climat particulièrement houleux autour de la campagne électorale – sont les porte-parole  du sentiment collectif de faire face à un tournant historique.

En effet, le vote du 20 juillet dernier a  non seulement  sonné le glas du gouvernement de Mario Draghi ; mais a aussi marqué la fin de la singulière expérience politique que ce gouvernement incarnait: celle d’une alliance entre des forces politiques très éloignées, de la gauche à la Ligue de Salvini, passant par le Mouvement 5 Étoiles et la droite modérée.  Ces partis se sont accordés sur un programme commun en mettant de côté les aspects les plus clivants  de leurs agendas respectifs et en confiant sa réalisation à une figure super partes. Une expérience que les dirigeants de ces mêmes partis disent aujourd’hui ne pas vouloir répéter.

Plus que cela, la dissolution du Parlement marque également la clôture de deux législatures assez singulières. Au cours de celles-ci,  la tripartition de l’espace politique entre la droite, la gauche et le Mouvement 5 Étoiles a empêché à chacun des trois pôles d’accéder au gouvernement par  ses  propres forces. C’est pourquoi les dix dernières années ont vu se dessiner l’alternance de  gouvernements nés grâce à des accords post-électoraux invraisemblables au moment du vote. C’est le cas de l’alliance  entre le Parti Démocrate (centre-gauche) et Forza Italia (centre-droite) qui a soutenu le gouvernement d’Enrico Letta, ou bien les deux alliances avec lesquelles Giuseppe Conte a gouverné de 2018 à 2021, la première entre la Ligue et le Mouvement 5 Étoiles et la deuxième entre le Mouvement 5 Étoiles et le Parti Démocrate.

Le vote du 25 septembre pourrait donc marquer un tournant décisif dans l’histoire récente de la République italienne.  Selon tous les sondages, la coalition de centre-droit formée par Forza Italia, la Ligue et le parti de droite souverainiste Fratelli d’Italia, devrait obtenir une très large majorité tant à la Chambre des députés qu’au Sénat. Il s’agirait, depuis 2008, de la première coalition qui se présente unie au moment des élections et parvienne à former un gouvernement sans l’appui d’autres forces politiques. À l’époque, les élections avaient été remportées par une coalition de centre-droit guidée par Silvio Berlusconi, qui par la suite avait été nommé Président du Conseil. Depuis, le rapport de force au sein du camp conservateur s’est inversé et le parti du  Cavaliere  a été doublé par ses deux alliés souverainistes. Aujourd’hui, Giorgia Meloni, ancienne militante post-fasciste et leader de Fratelli d’Italia (qui est le premier parti au sein de la coalition et à l’échelle nationale avec près de 25% des intentions de vote) est la mieux placée pour présider le prochain gouvernement. 

Enfin, l’Italie traverse  actuellement un moment de recomposition de l’offre politique suggérant le retour au schéma bipolaire droite-gauche. Le Mouvement 5 étoiles est le pivot de cette transformation:  ayant perdu sa vocation antisystème, la créature de l’humoriste Beppe Grillo se veut désormais être un  parti progressiste qui se rapproche des positions de la gauche modérée.  Dès lors, plusieurs figures du Parti Démocrate évoquent la possibilité d’une alliance avec le Mouvement  à l’avenir. Entre temps, les deux partis mènent deux campagnes distinctes, mais unies par le même adversaire et par le sentiment – dissimulé dans le discours officiel – d’être voués au même sort : cinq ans dans l’opposition, en espérant que le vent tourne pour la prochaine élection.