Bifurquer ou transformer ? Lettre à mes camarades de Sciences Po
Mes chers camarades,
Je range au fond d’un tiroir ma carte étudiante au liseré rouge.
Mon cursus à Sciences Po s’est achevé il y a quelques mois,
pourtant, en ce début d’année scolaire, je pense à vous.
Je pense à vous qui découvrez votre nouvelle école,
à vous qui la retrouvez,
à vous qui poursuivez vos études,
à vous qui commencez votre carrière.
Je pense à ces années que j’y ai vécues et qui m’ont tant enthousiasmée.
Je pense à ces échanges, ces leçons, ces réflexions qui m’ont fait grandir.
Je pense à ce que j’aimerais vous dire.
Je n’étais pas là en juin, lors de la cérémonie du diplôme.
Partie pour un mois d’itinérance journalistique à vélo, je parcourais les routes de Bretagne à la rencontre d’actrices et acteurs de la low-tech,
Ce mouvement qui réinvente les technologies pour les rendre utiles, accessibles et durables.
D’étapes en étapes, au fil des reportages, tout me ramenait à mes années Sciences Po.
Tout me ramenait à une question :
Comment, en tant qu’étudiante de cette école, me positionner par rapport aux questions sociales et environnementales ?
Tout m’y ramenait, comme lors de cette formation proposée par l’Atelier Paysan, durant laquelle cette vérité toute simple avait été énoncée :
« Tout changement radical commence par la prise de conscience de la place qu’on occupe au sein de la société
Et de celle qu’on veut occuper ».
Au sein d’une multitude de grandes écoles, des voix se sont élevées. Centrale, AgroParisTech, HEC, Polytechnique, l’ENS…
Beaucoup appellent à bifurquer.
Puisque le monde est fou, s’efforcer de le raisonner
Bifurquer, voilà ce qu’Arthur m’a donné envie de faire.
Le réalisateur du documentaire Ruptures, croisé durant l’itinérance.
« En tant qu’étudiants de grandes écoles, notre diplôme vaut de l’or car à n’importe quel moment on peut trouver un job stable.
C’est pour ça que c’est notre responsabilité d’expérimenter d’autre voies, d’autres métiers.
Parce qu’on a ce filet de sécurité ».
D’autres encouragent à transformer.
Puisque ce monde est pourri, s’efforcer de le changer.
Transformer, voilà ce que Roxane m’a donné envie de faire.
Une ancienne étudiante de Sciences Po, croisée durant l’itinérance.
« Plein de gens voudraient avoir un réel impact, prendre part aux décisions, et ils ne peuvent tout simplement pas.
Nous, parce qu’on a ces portes ouvertes devant nous, qu’on a accès à ces cercles de pouvoir fermés aux autres, on doit changer les choses de l’intérieur ».
Bifurquer ou transformer, je n’ai pas encore fait mon choix.
Je me laisse le sursis de quelques années d’études supplémentaires.
À vous, quel que soit le chemin que vous prendrez, je vous souhaite bonne route.
Je vous souhaite de garder en tête les mots de Béate Klarsfeld, que certaines et certains d’entre vous ont eu la chance d’écouter en cette rentrée.
Je l’avais moi aussi rencontrée, à Sciences Po, avec son mari Serge.
Fascinée par leur combat pour la justice, je leur avais demandé :
« Si vous aviez mon âge, aujourd’hui, pourquoi est-ce que vous engageriez ? ».
Ils m’avaient répondu, sans hésitation : « L’écologie ».
Mes chers camarades, qui avez la chance de faire partie de cette belle école ; je vous souhaite de connaître des années aussi riches et passionnantes que celles que j’ai vécues.
N’oubliez pas cette urgence, n’oubliez pas cette responsabilité.
Soyez exigeants quant au sens et à l’utilité des cours et des conférences que vous allez suivre,
Soyez intransigeants avec vous-mêmes,
Avec cet impératif que nous avons d’apprendre, de nous informer, de réfléchir, d’échanger, de décider et d’agir.