Tribunal pour les générations futures : action ou désertion ? 

« Lorsqu’il ne reste plus que trois ans pour agir contre le réchauffement climatique, les générations futures, c’est vous ». C’est ainsi que Mathias Vicherat a souligné l’importance du Tribunal pour les générations futures, organisé vendredi 15 septembre en l’amphithéâtre Boutmy, à l’occasion des 150 ans de Sciences Po. 

Les générations futures ne disposent pas de statut juridique, mais seront pourtant les premières victimes du réchauffement climatique. Partant de ce constat, le journal Usbek et Rica a lancé il y a quelques années les Tribunaux pour les générations futures (TGF). Le concept est simple : simuler un procès, articulé autour d’une problématique d’avenir, ici autour du réchauffement climatique. Le public constitue alors les jurés. Vendredi 15 septembre, l’amphithéâtre Boutmy a ainsi dû plancher sur la problématique suivante : « Faut-il déserter ? »

La désertion, un phénomène en vogue  

Ces derniers mois, la désertion – soit le fait d’abandonner une cause ou une organisation, ici en raison d’un impact climatique négatif – a pris une ampleur significative. De plus en plus de personnes démissionnent ou refusent de rejoindre des postes qui ne seraient pas écoresponsables. C’est le cas des jeunes diplômés d’AgroParisTech, dont le discours a marqué les esprits au printemps dernier. « On est loin du cliché du jeune cadre parti élever des chèvres dans le Larzac », ironise Karine Vergniol, la magistrate de ce TGF. 

Mais ce modèle est-il bon à suivre ? Faut-il déserter, au risque de condamner toute la société ? Se sont succédé à la barre cinq témoins : Mathias Vicherat, Charlotte Halpern, Clara Gaymard, et les militants écologistes Camille Étienne et Hugo Clément. 

Déserter, un luxe de privilégiés ? 

Déserter serait une préoccupation de bobo. C’est ce qu’a avancé Hugo Clément dès le début de son intervention. « A Sciences Po, vous vivez dans une bulle », rappelle t’il. Ce qui serait valorisé à Sciences Po ne le serait pas nécessairement à l’extérieur. Autre constat : le profil des déserteurs est homogène. Ce sont globalement des individus au capital économique élevé. Contrairement à une majorité de la population, ils peuvent se permettre de se priver d’une source de revenus au nom de valeurs éthiques. 

Et puis, déserter, n’est-ce pas faire preuve d’égoïsme ? Alors qu’ils pourraient devenir les acteurs d’un changement devenu vital, les déserteurs renoncent. « Chaque désertion est un abandon de poste dans le bateau en péril de l’humanité », regrette le procureur Blaise Mao dans son réquisitoire final. Il insiste : le système doit être réformé de l’intérieur, grâce à des insiders. A l’image d’Hugo Clément, qui utilise sa visibilité médiatique pour sensibiliser le grand public à la question climatique. 

Le courage de la désertion 

Cet avis n’est cependant pas partagé par tous. Mathias Vicherat voit en la désertion un moyen d’aligner son quotidien à ses valeurs. Il rappelle également que les mouvements sociaux ont  besoin d’une avant-garde radicale pour exister et avancer. Sans Malcom X avant lui, Martin Luther King aurait-il pu lutter avec le même succès contre les discriminations raciales ? 

Camille Etienne partage cette opinion. Selon elle, les déserteurs surprennent, choquent, inspirent les plus timorés d’entre nous à « oser le vertige ». Ils sont l’opposé d’une classe dirigeante qui refuse de voir l’urgence de la situation climatique. La militante écologiste enjoint l’assistance à inverser leur point de vue : « En réalité, n’est-ce pas ceux qui nous gouvernent qui ont déserté ? »

A l’issue d’une heure trente de débat, le public a finalement tranché. A la question « Faut-il déserter ?», 51 % de l’audience a répondu oui. Pour le bien des générations futures donc, plutôt la grande désertion que l’action.