
Passion ? Pas passion ?
Autrice : Dana El Karouni
En Occident et singulièrement en France, la satisfaction des besoins primaires est largement assurée pour la majorité des gens. C’est pourquoi beaucoup d’entre nous sommes amenés à nous concentrer sur des besoins plus élevés dans la pyramide de Maslow, notamment les besoins d’auto-accomplissement. Maslow classe en cinq catégories les besoins humains, du plus vital au plus nécessaire avec à sa base les besoins physiologiques (respiration, hydratation, alimentation, sexualité, sommeil, excrétion), et à son sommet le besoin d’accomplissement de soi. Dans cette recherche d’accomplissement, la passion est souvent perçue comme un chemin privilégié pour donner du sens à l’existence. Mais est-ce vraiment le cas ?
Par passion, on peut entendre un désir, un intérêt profond qui nous pousse à nous investir dans une activité ou une cause, parfois au point d’y consacrer une part majeure de notre temps et de notre énergie. La passion peut être vue comme une voie vers le sommet de la pyramide de Maslow, où l’individu réalise son potentiel, ce qui fait de lui un individu unique : par exemple, un artiste qui crée une œuvre ou un scientifique qui fait une découverte. Lorsque les opportunités éducatives, culturelles et professionnelles sont nombreuses (ce qui est le cas en France), la passion est souvent encouragée et valorisée. Elle devient une norme sociale pour « réussir sa vie ». Dans ces conditions, le manque de passion peut être source de frustration et peut nous pousser à une recherche artificielle ou à une idéalisation de cette idée.
Cela dit, peut-on réellement parler de « besoin » d’auto-accomplissement ? La frontière entre passion et obsession est fine. Une passion mal canalisée peut devenir destructrice, pour soi-même (épuisement, isolement) ou pour les autres. Elle a été fatale pour le peintre Bernard Buffet, qui s’est donné la mort lorsque la maladie a pris le dessus, et lui a volé sa passion pour la peinture.
Mais surtout, plus que dans une quête grandiose, certains trouvent leur bonheur dans des plaisirs simples et quotidiens comme cuisiner, jardiner, pratiquer un sport. L’adjectif « épicurien » est souvent utilisé pour décrire ce rapport au monde.
William James, philosophe pragmatiste, considérait que la valeur d’une idée ou d’un engagement résidait avant tout dans ses effets concrets sur notre existence. Plutôt que de poursuivre un but absolu, il s’agit peut-être de trouver, dans l’expérience elle-même, ce qui enrichit notre rapport au monde et aux autres. Ainsi, et si l’autoaccomplissement passait aussi par les autres ? L’engagement communautaire, la transmission ou l’éducation peuvent être des moyens de se dépasser tout en créant du lien. Nombreuses sont les associations à Sciences Po œuvrant dans ce but, comme Paris Solidaires ou encore Sciences Po Refugee Help.
Finalement, j’aurais envie de dire que la passion est un chemin parmi d’autres vers l’auto-accomplissement. Mais est-elle essentielle ? Peut-être que l’essentiel réside dans la liberté de choisir : avoir une passion dévorante ou simplement profiter des instants simples de la vie.

