Le premier prix Odette et Léon Chertok attribué à Chochana Boukhobza pour Les femmes d’Auschwitz-Birkenau

L’ouvrage Les femmes d’Auschwitz-Birkenau (2024) de Chochana Boukhobza s’est vu décerner un prix littéraire destiné à récompenser les récits consacrés aux génocides, le prix Odette et Léon Chertok.


Le résistant et psychanalyste Léon Chertok est né en Biélorussie en 1911. Odette Chertok est née en Belgique en 1923. Tous deux ont survécu à la Seconde Guerre mondiale et terminé leurs jours en France, mais le monde dans lequel ils sont nés, celui du judaïsme européen, a en grande partie été emporté par le nazisme. Pour rendre hommage à ses parents et à leurs racines juives, Grégoire Chertok, banquier mais aussi amateur de littérature, a créé un prix, le prix Odette et Léon Chertok. Celui-ci est décerné à un ouvrage littéraire portant sur un génocide, tel que défini par l’Organisation des Nations Unies. Le lundi 13 janvier 2025, au mémorial de la Shoah, le prix a été remis pour la première fois.

Pour entrer à l’intérieur du Mémorial de la Shoah, il faut passer par le « Mur des Noms » où figurent les noms des juifs français déportés sous le régime de Vichy. On y trouve, sous son nom de jeune fille, Simone Veil et tant d’autres qui, eux, ne sont pas revenus. C’est l’occasion, pour certains, de chercher de vieilles connaissances qu’ils n’ont jamais connues, leurs homonymes, une grande tante. Ils photographient alors la ligne qui les intéresse, avec dans l’idée, sans doute, de faire des recherches plus approfondies.

Le visiteur entre ensuite dans l’enceinte du Mémorial puis, après avoir été salué par Grégoire Chertok, maître des lieux le temps d’une soirée, se rend dans l’auditorium Edmond J. Safra en passant par la crypte.

La crypte du mémorial de la Shoah peut être caractérisée par sa froideur, tant par les frissons que procure la solennité du lieu — « tombeau du martyr juif inconnu » — que par le mélange de pierre, de marbre et de béton. L’auditorium, revêtu de bois et plein à craquer, est quant à lui d’une chaleur qui nous fait oublier un instant la pesanteur du lieu et des sujets qui y seront évoqués.

Après un discours du président du mémorial de la Shoah Éric de Rotschild, remerciant Brigitte Macron de sa venue, la place a été laissée à Grégoire Chertok qui a expliqué la genèse de ce projet.

Ce dernier inscrit ce prix dans un moment historique : la Shoah est en passe de perdre sa place dans la mémoire contemporaine de l’Europe de l’Ouest, tant à cause de l’augmentation des actes antisémites en France depuis le 7 octobre 2023 que de la disparition des survivants de la Shoah. Grégoire Chertok explique qu’« alors que nous célébrons le 80ème anniversaire de la Shoah, les témoins se font de plus en plus rares. S’ouvre alors le temps de la fiction ». Et c’est alors que l’ancienne ministre de la culture Rima Abdul Malak donne le nom de la lauréate : Chochana Boukhobza pour Les femmes d’Auschwitz-Birkenau (Flammarion).

Chochana Boukhobza a été l’auteure d’un discours particulièrement émouvant, ayant une pensée pour « toutes les victimes de la guerre » et les « quatre-vingt-dix-huit otages du Hamas ». Des applaudissements ont suivi. Elle a, en outre, dédié ce prix à tous les Juifs qui ont combattu contre l’extermination de leur peuple, des FTP-MOI Marcel Rajman, Olga Bancic et Joseph Epstein aux insurgés des ghettos de Varsovie et de Białystok.

Mais la lauréate n’a pas été la seule à présenter son ouvrage. Une table ronde a en effet été organisée avec deux autres auteurs dont les ouvrages ont été sélectionnés, Beata Umubyeyi Mairesse pour Le convoi et Tamás Gyurkovics, auteur de Migraine, une histoire de culpabilité, traduit du hongrois pour l’ouvrage et la conférence par Charles Zaremba. Le journaliste du Point François-Guillaume Lorrain, modérateur de la discussion, s’est adressé aux auteurs les uns après les autres, leurs interventions étant des formes de petites « capsules » pour présenter leur livre.

L’auteure franco-rwandaise Beata Umubyeyi Mairesse a livré un récit autobiographique de sa survie lors du génocide du Rwanda. Elle a été sauvée par des convois humanitaires. Son livre se veut perpétuellement ouvert, appelant de ses vœux au témoignage d’autres survivants dont les circonstances de la survie sont similaires aux siennes.

Tamás Gyurkovics raconte l’histoire de Zvi Spiegel, — transformé pour les besoins du littérateur en Zvi Spielmann —, déporté qui a dû assister Josef Mengele à Auschwitz dans ses expériences sur des jumeaux et dont le sentiment de culpabilité qui l’a assailli s’est transformé en céphalées. Il a pourtant cherché à porter assistance à ces jumeaux, n’étant pas le pourri qu’il croyait être. Tamás Gyurkovics a dénoncé les non-dits de la société hongroise sur la Shoah mais aussi le mandat de Viktor Orban regrettant que « ce n[e soit] pas par la littérature que nous autres Hongrois attirons l’attention des Européens en ce moment ».

Enfin, Chochana Boukhobza, la lauréate, explique que ses travaux se sont étalés sur 7 années pour tenter de saisir l’histoire propre des femmes dans les camps d’Auschwitz-Birkenau. Son travail de recherche a commencé par l’étude de la figure de Roza Robota, déportée qui a participé à un trafic de poudre, contribuant à faire sauter un four crématoire le 7 octobre 1944 avant d’être assassinée par les nazis. Ses recherches l’ont mené à se rendre compte qu’elle « ne savait rien » sur le sujet des femmes dans les camps de concentration. Chochana Boukhobza a alors décidé de raconter les histoires des femmes d’Auschwitz, y compris les surveillantes des camps. « Arbeit Macht Frei » marquait seulement, nous dit-elle dans l’ouvrage, l’entrée du camp des hommes. 

Et après le temps de la réflexion, un verre a été organisé, où se sont notamment retrouvés les membres du jury. 

Parmi eux, le cinéma était représenté par Rebecca Marder, interprète de la jeune Simone Veil dans Simone Veil, le voyage du siècle (2021). Sa présence résonnait avec la place particulière qu’occupe l’auteure d’Une vie au Mémorial de la Shoah comme en témoigne la présence d’une boîte aux lettres à son effigie, graffée par C215. 

Rebecca Marder a aussi joué dans Une jeune fille qui va bien (2021, Sandrine Kiberlain), long-métrage racontant l’histoire d’une jeune fille juive dont l’amour du théâtre est supérieur à sa crainte de la persécution des juifs, à l’été 1942. Pour elle, Grégoire Chertok a « eu l’idée de [la] faire participer parce qu’[elle a] tourné dans des films en lien avec la Shoah ».

L’actrice nous raconte notamment que lorsqu’elle a joué Simone Veil dans une reconstitution du camp d’Auschwitz en Hongrie, elle était « en prière, avec toute l’équipe, pour ne pas que cela se reproduise », évoquant l’éternelle question cinématographique de la représentation des camps de concentration au cinéma. Rebecca Marder considère que montrer les camps est un « bon choix » car c’est une manière de « ne jamais arrêter de raconter » la Shoah. Il existe en effet plusieurs écoles en matière de représentation des camps de concentration au cinéma. Spielberg défend la reconstitution (Olivier Dahan y adhère) quand Godard dit que cela est impossible et Lanzmann, au milieu, montre les lieux tels qu’ils sont devenus. 

Quant à la cérémonie, Rebecca Marder l’a jugée « très émouvante » : « c’était trop beau ». Et, au passage, celle que l’on a vu récemment dans Mon Crime (François Ozon, 2023) nous donne prochainement rendez-vous dans la série Netflix Les Lionnes mais aussi dans le prochain film de François Ozon, une adaptation de L’Étranger de Camus, dans laquelle elle prend la suite d’Anna Karina en interprétant Marie Cardona, l’amante de Meursault.

Autre membre du jury, Emmanuel Carrère nous confie que c’est « par amitié avec Grégoire [Chertok] » qu’il a endossé ce rôle et qu’il a été très marqué par l’œuvre de la récipiendaire Chochana Boukhobza dont l’œuvre s’est imposée pour lui « avec une autorité écrasante ». Le jury, dans lequel on trouvait aussi le Grand-rabbin de France Haïm Korsia, était ainsi unanime.