Le récit de deux sciences pistes en 3A au Chili, chronique partie 1.

Moins de deux semaines avant le plébiscite : que se passe-t-il au Chili ? 

“Van a vivir un momento histórico ».

Voici la phrase que nous aurons sûrement la plus entendue depuis notre arrivée il y a trois semaines à Santiago. En effet, les Chilien.e.s ont vécu un tournant politique historique en se rendant aux urnes le 4 septembre dernier. Lors de ce vote à caractère obligatoire, i.e.ls ont eu le choix de changer, ou non, la Constitution encore en vigueur, adoptée en 1980 sous la dictature de Pinochet. 

Ce projet constitutionnel est le fruit d’un long cheminement politique, du coup d’État de Pinochet en 1973 à l’ estallido social de 2019. Pour comprendre ce vote  – qui intéressera plus d’un 1A en pleine découverte du droit constitutionnel ou un 2A en pleine recherche d’un pays où poser ses valises – ; il est nécessaire de remonter en 1973. 

11 septembre 1973 : le coup d’État.

En 1970, le Chili élit le président socialiste Salvador Allende ; perçu encore aujourd’hui comme un héros par une grande majorité de Chilien.e.s. Les premières années de son mandat ont été marquées par de grandes réformes du système de santé et de l’éducation, et la situation économique s’améliore. En 1971, le Président Allende tente de renouer diplomatiquement avec son homologue cubain en le recevant en séjour. Ce rapprochement avec Fidel Castro ne tarde pas à inquiéter la droite chilienne. En parallèle, la situation économique se dégrade :les salaires diminuent et certaines pénuries menacent. Opposants et partisans du régime finissent par se faire face, de plus en plus violemment. L’été 1973 marque un point de non-retour : le Chili atteint un seuil d’instabilité sociale particulièrement critique, et Allende est en quête de solutions afin d’apaiser la situation du pays. Le 23 août, il décide de nommer Augusto Pinochet général en chef des armées ; espérant trouver en lui un allié. Toutefois, le 11 septembre 1973, le général Pinochet ordonne à l’armée d’assiéger le palais présidentiel de la Moneda. Salvador Allende donnera sa dernière allocution, qui restera un des discours les plus connus du président socialiste. Il mourra finalement au sein du palais de la Moneda, marquant alors l’entrée dans le régime dictatorial d’Augusto Pinochet. Ce régime sera officialisé en 1980 par l’adoption d’une nouvelle Constitution, approuvée à l’occasion d’un référendum falsifié, tandis que les opposants politiques étaient violemment muselés. 

1988-2005 : la transition démocratique 

En 1988, comme prévu par la Constitution de 1980, le mandat de Pinochet touche à sa fin. Alors qu’il demande sa prolongation par référendum, afin de légitimer le régime autoritaire, 55,99% des votant.e.s réclament la fin de la dictature. Toutefois, si les partisan.ne.s de cette dernière ont perdu le pouvoir, i.e.ls bénéficient toujours de l’appui de l’armée. Pinochet reste à sa tête durant sept années et s’assure ainsi une immunité constitutionnelle. Il parvient à verrouiller le système judiciaire, octroie l’amnistie aux militaires pour les crimes et délits de la dictature, et impose une interdiction totale de l’avortement.

La Constitution est malgré tout amendée afin de répondre à la revendication démocratique : le pluralisme politique y est inscrit et en 1990 Pinochet cède son poste de président de la République. Pourtant, si la transition démocratique est enclenchée, les disparu.e.s politiques demeurent et la tension entre réforme constitutionnelle et pouvoir autoritaire des forces armées perdure. 

L’année 1998 marque la fin de l’ère Pinochet. Le général déchu est arrêté à Londres en octobre mais rentre deux ans plus tard au Chili, accueilli en grand triomphe par ses partisan.e.s. Alors que son immunité judiciaire lui a été ôtée, il est soumis à un mandat d’arrêt international mais sera finalement relaxé en 2005. Augusto Pinochet décède le 10 décembre 2006 à l’hôpital militaire de Santiago.  

La Constitution de 1980 reste pourtant en place durant toute la transition démocratique (1988-2005). Elle est révisée à de nombreuses reprises, particulièrement en 2005 à l’initiative du président de gauche Ricardo Lagos. Le mandat présidentiel est notamment réduit à quatre ans, les sénateur.ice.s sont désormais toustes élu.e.s, et le Conseil de Sécurité (dernier vestige de la dictature militaire) ne possède plus qu’un rôle consultatif. Pour beaucoup, cette Constitution imposée sous la dictature, a tant été amendée qu’elle est communément nommée la « Constitution de 2005”. 

2019 : une augmentation du prix du ticket du métro qui ne passe pas 

En 2018, le président de droite Sebastian Piñera est réélu pour un second mandat. Le 6 octobre 2019, ce dernier annonce la hausse du prix des transports en commun de Santiago. Le lendemain, en réaction immédiate, des dizaines d’étudiant.e.s décident de faire connaître leur mécontentement en organisant massivement des fraudes dans le métro. Les jours qui suivent, les blocages, les rassemblements étudiants, les affrontements avec la police et les revendications sur des sujets plus larges se multiplient. 

Jamais personne n’aurait pu imaginer que l’augmentation de quelques centimes du prix du ticket de métro provoquerait la colère de plus de deux millions de chilien.e.s, dans toutes les rues du pays. Ce mouvement contestataire s’empare dès lors de revendications plus larges, quant aux inégalités sociales et économiques profondes, ancrées dans le pays depuis des décennies.  Ces mobilisations massives ont débouché sur la déclaration de l’état d’urgence, donnant lieu à la mise en place d’un couvre-feu, mais en particulier de pouvoirs extraordinaires confiés à la police et à l’armée. Cette répression violente a rappelé pour de nombreux.ses Chilien.e.s de douloureux souvenirs des temps de l’ère Pinochet. Finalement, le Ministère Public annoncera que l’Estallido social aura fait une trentaine de mort.e.s, 12 000 blessé.e.s, et 25 000 arrêté.e.s. Au printemps 2020, la pandémie de la Covid-19 mettra un terme au ¡Chile despertó ! , un an et demi après ses prémices, bien que les inégalités et le mécontentement demeurent.

2020 : le plébiscite pour une nouvelle Constitution 

La volonté de clore véritablement l’ère Pinochet en adoptant une nouvelle constitution ne date pas de l’Estallido social. Michelle Bachelet, présidente socialiste de 2006 à 2020 puis de 2014 à 2018 avait déjà soumis au Parlement un nouveau projet de Constitution ; rejeté immédiatement par Sebastian Piñera à son arrivée au pouvoir (il effectue deux mandats : 2010 -2014 et 2018-2022).

Toutefois, en 2019, l’Estallido social met en évidence la centralité de l’ultra-libéralisme dans la Constitution, valeur héritée du régime Pinochet. Tenue pour responsable des inégalités du pays, la Constitution et sa doctrine concentrent alors l’essentiel des critiques adressées par la jeunesse. Le mouvement social qui secoue le Chili s’impose donc comme un moment constituant. Alors que les premières lignes des manifestations laissent apparaître des slogans comme “una nueva constitucion ahora” (ndlr : “une nouvelle constitution maintenant”) ; le gouvernement de droite se voit obligé de signer un accord “pour la paix sociale et une nouvelle Constitution”. Un mois tout juste après le début du mouvement social. 

De cet accord découle la mise en place d’un référendum ; le 25 octobre 2020. Les chilien.ne.s sont amené.e.s à répondre à deux questions : « Voulez-vous une nouvelle constitution ?” et “Quel type d’organe doit rédiger la nouvelle constitution ?”. À la seconde question, deux réponses sont possibles : soit une assemblée constituante intégralement composée de membres élu.e.s ; soit une assemblée constituante mixte composée pour moitié de membres élu.e.s, et pour l’autre moitié de parlementaires. Le résultat est écrasant : 78% des votant.e.s réclament une nouvelle constitution et plus de 79% d’entre i.e.ls par une assemblée constituante entièrement élue. 

Le 4 juillet 2022, un an jour pour jour après le début des travaux, l’Assemblée constituante remet la proposition finale au président socialiste Gabriel Boric, au pouvoir depuis seulement un mois. Le peuple chilien a ainsi été invité à s’exprimer le dimanche 4 septembre sur ce projet…

À dans quelques jours …