Les protestations en Iran ou comment les femmes mènent la danse : retour sur l’échange avec M. Alinejad et M. Stephan

Le 13 septembre 2022, Mahsa Amini, une étudiante iranienne de 22 ans, a été arrêtée et placée en détention par la police des mœurs locale  lui reprochant le port de vêtements inappropriés : elle meurt trois jours après, toujours en détention.

L’annonce du décès de Mahsa Amini a provoqué de nombreuses réactions et protestations contre le régime en place depuis 1979. Les manifestations se sont répandues en peu de jours à l’entièreté du pays, et n’ont pas cessé depuis. 

Pour la première fois dans l’histoire iranienne, les femmes sont à l’origine d’une révolution, et elles conduisent la lutte depuis désormais un mois. 

UN ÉCHANGE FAISANT INTERVENIR TROIS FEMMES ENGAGÉES ET EXPERTES DANS LA QUESTION. 

Le 19 octobre l’École d’Affaires Internationales (PSIA) de Sciences Po organisait un échange avec Masih Alinejad, Elisabeth Marteu, et Maria Stephan. 

Masih Alinejad est une journaliste et militante politique iranienne, fondatrice en 2014 du mouvement My Stealthy Freedom, qui lutte pour la promotion des actions des femmes iraniennes dans la lutte pour leurs droits. Masih Alinejad a été contrainte de quitter l’Iran en 2009, et elle habite aujourd’hui à New York, d’où elle continue de militer contre la République Islamique et de dénoncer le mépris des droits humains de la part du régime iranien. 

Étaient également présentes lors de cet échange la Professeure Elisabeth Marteau, experte des questions de genre, et enjeux de paix et sécurité ; et Maria Stephan, politologue américaine, experte en manifestations et résistance civile, ainsi que co-autrice du livre Why Civil Resistance Works : The Strategic Logic of Nonviolent Conflict (2011). Maria Stephan a pu porter un regard analytique sur la situation, l’importance du rôle des femmes dans la résistance et les possibles évolutions du mouvement. 

La discussion visait à éclairer la situation tout en se concentrant sur le rôle inédit des femmes dans les protestations. 

LA CONTESTATION DU POUVOIR EN PLACE ET DE LA RÉPRESSION DES LIBERTÉS.

Ce n’est pas la première fois que des contestations contre le régime éclatent dans le pays, mais cette fois la portée des protestations est différente. Les manifestations ont investi l’entièreté du pays, et les Iraniens de toutes parties de la société se sont unis dans la lutte contre la République Islamique, au pouvoir depuis 1979. La Révolution Iranienne de 1979 avait renversé l’Empire impérial iranien de la dynastie Pahlavi, transformant l’Iran en République Islamique. À la tête du pays se trouve le Guide Suprême de l’Iran :  l’Ayatollah Khamenei, qui est fortement contesté par cette vague de protestations. Au cœur des revendications : les droits des femmes, et notamment le port du voile, actuellement obligatoire

UN MOUVEMENT INÉDIT, INITIÉ PAR DES FEMMES, ET TRIOMPHANT PAR UN SOUTIEN POPULAIRE MASSIF.

En effet, Masih Alinejad relève que les combats s’étendent au-delà de la résistance à la police des mœurs. Ils revêtent aujourd’hui une portée bien plus large de contestation de la République Islamique en elle-même. C’est un combat contre ce qu’elle définit “l’apartheid du genre”.

Maria Stephan a souligné l’importance du caractère universel de la contestation. En effet, les protestations en Iran sont menées par des personnes issues de l’entièreté de la société : c’est une participation de masse en opposition ouverte au régime. C’est cette mobilisation généralisée qui fait précisément la force du mouvement et qui le rend si difficile à réprimer. La participation féminine contribue activement à la réussite des manifestations. De même, l’organisation massive de tactiques de non-coopération civile, de défection publique ainsi que la résilience face à la répression sont des éléments fondamentaux pour le succès de la mobilisation. La force de l’organisation et de l’infrastructure seront fondamentales pour le triomphe du mouvement. 

FACE AU RELATIVISME CULTUREL : LE CONSENSUS PASSIF DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE FACE À L’OPPRESSION DES FEMMES IRANIENNES.  

À propos du soutien étranger aux causes des protestations, la Professeure Elisabeth Marteu a interrogé Masih Alinejad sur la question du féminisme universaliste, historiquement problématique en raison de son instrumentalisation de la part du régime. En effet, la crainte des féministes occidentales est celle de favoriser le régime en aidant les femmes iraniennes. 

Au contraire, Masih Alinejad appelle les femmes occidentales et de tous les pays à soutenir la lutte en Iran, qui dépasse les seuls droits des femmes et est une lutte pour la démocratie et la liberté. 

Depuis des décennies, les féministes, mais aussi les figures politiques occidentales, ont manifesté une réticence dans la dénonciation des actions du régime iranien au nom du “relativisme culturel”. Parmi les femmes occidentales, notamment les mouvements féministes, une crainte est répandue de soutenir les combats des femmes vivant dans des régimes autoritaires, craignant une instrumentalisation du soutien au nom d’un discours anti-Occidental. Au contraire, Masih Alinejad dénonce la façon dont cette rhétorique, qui croit ne pas prendre parti, favorise le régime. Ainsi, la dictature agit librement depuis des années pendant que le reste du monde regarde ailleurs. 

L’Occident est informé de « l’apartheid de genre » mis en place en Iran, et en refusant de soutenir les luttes par peur d’interférer, les occidentaux prennent parti en faveur de la République Islamique et le mépris des droits humains. Masih Alinejad reprend l’exemple des femmes politiques, comme Ségolène Royal, qui, en visite institutionnelle en Iran, se sont soumises à l’obligation du port du voile sans pour autant la dénoncer. Cette ainsi que depuis désormais 40 ans, les femmes sont oppressées en Iran, et leurs droits bafoués. 

POUR MASIH ALINEJAD : LA NON-INTERVENTION DE LA COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE FAVORISE INDIRECTEMENT L’OPPRESSION

La journaliste Masih Alinejad insiste sur le fait que le discours du relativisme culturel n’a pas de fondement. Ce n’est pas une question de culture ; l’obligation du port du hijab ne relève nullement de la culture du pays. Par ailleurs, serait-il même le justifier que de se référer à une culture nationale unique ? Qu’est-ce que « la » culture d’un pays, ou d’une religion ?

Aujourd’hui, la lutte n’est pas contre le port du voile, mais bien contre l’obligation de le porter : pilier principal de l’oppression des femmes. En effet, le hijab est, en Iran, le symbole le plus visible de l’oppression des femmes. Ce n’est donc pas un élément culturel, mais bien un élément d’oppression, un instrument de domination masculine. La lutte concerne la dignité des femmes, leur liberté d’expression religieuse. Le symbole de la lutte devient ainsi le fait d’enlever le hijab, de montrer les cheveux. Il ne s’agit pas de lutter contre le voile en lui-même, mais lutter pour être libres de le porter ou pas. Ainsi Masih Alinejad a dénoncé la volonté de certains politiciens occidentaux d’empêcher le porte du voile au nom de la lutte pour les droits des femmes. Comme la République Islamique qui oblige les femmes à porter le hijab, leur empêcher de le faire est également une forme d’oppression. 

DES ENJEUX SÉCURITAIRES QUI GÈLENT LES POSITIONS.

L’enjeux du refus d’interférer en Iran n’est pas seulement le mépris des droits humains, mais aussi la sécurité. En effet, l’Iran est une puissance nucléaire, et pour cela les hommes et femmes politiques occidentaux ont voulu éviter l’ingérence par crainte de représailles.

Depuis quelques jours, l’Iran est devenu un nouvel acteur de la guerre en Ukraine. En soutien de la Russie de Poutine, le pays a envoyé dans les derniers jours des drones en Crimée pour aider l’action du Kremlin.

Finalement, la mobilisation de femmes fait la clé de voûte de cette lutte : celles-ci font la force de ces protestations qui déstabilisent le régime iranien depuis désormais un mois. 

Face à cette mobilisation de masse et à la participation de personnes issues de tous milieux et de toutes classes sociales, une brèche s’ouvre en faveur d’une capitulation de la République Islamique, qui mettrait ainsi fin à ce régime autoritaire. Si la protestation du peuple est forte et déterminée, l’Occident devrait lui aussi participer à cette lutte. 

C’est ainsi que Masih Alinejad invite les femmes occidentales à arrêter de se couper les cheveux pour montrer leur solidarité aux femmes iraniennes, et à privilégier la cessation des liens entretenus avec la République Islamique. 

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