La grande interview de Frédéric Mion – Partie 3/3

En début d’année, la Péniche a rencontré Frédéric Mion pour l’interroger sur toute l’actualité de l’établissement. Cette semaine, nous publions l’interview en trois parties, dont voici la troisième et dernière, où nous évoquons entre autres les ambitions écologiques de l’établissement, le partenariat avec Total et la vie associative. Bonne lecture!

La Péniche : Un autre sujet d’actualité brûlant concerne la pelouse du jardin du 27, que lui arrive-t-elle ?

Frédéric Mion : Nous souhaitons donner à cette pelouse la chance d’exister un jour à nouveau, désolés d’observer la dégradation de ce malheureux espace devenant boueux dès qu’il y avait de la pluie ou poussiéreux en cas de sécheresse. Les jardiniers ont recommandé 5 à 6 mois de pousse et de repos pour cette belle herbe, donc elle rouvrira sans doute dans le courant du second semestre.

Sur le thème du reverdissement de l’école justement, il y a quelques mois vous aviez envoyé une lettre ouverte à tous les étudiants au moment de la grève, annonçant une grande consultation Make it Work. Seulement, depuis cette lettre, plusieurs conférences autour de ce thème ont eu lieu, mais en termes d’actions concrètes il n’y a pas eu réellement de réformes de Sciences Po. Que peuvent attendre les étudiants cette année? 

Il y a deux dimensions principales. La première, c’est la création d’un comité chargé de passer en revue l’intégralité de nos programmes de formation et de mesurer la place de la question de la transition écologique. Ce comité est au travail depuis la fin du mois de mars, sous la présidence de Bruno Latour, et il fera ses premières préconisations dans le courant de ce semestre. Le deuxième volet est de penser de façon plus globale notre fonctionnement en tant qu’institution à l’aune des exigences en matière de transition écologique. Une référente a été désignée dans les équipes de Sciences Po pour s’occuper de cette question à temps plein, Juliette Seban, qui est en train de bâtir un plan d’action qui va couvrir des questions très larges du quotidien, qui vont de la manière dont nous traitons les déchets à la manière dont nous éclairons nos bâtiments, consommons, nous nous déplaçons, etc. Certaines mesures entrent en vigueur dès à présent, par exemple s’agissant de la suppression des bouteilles ou gobelets en plastique dans les salles de classe. 

« Certaines mesures entrent en vigueur dès à présent, par exemple s’agissant de la suppression des bouteilles ou gobelets en plastique dans les salles de classe. » 

Pour aller plus loin dans la conception de notre mode de fonctionnement global, nous nous appuyons sur le chantier de l’Artillerie, dont l’ensemble des bâtiments seront pensés à l’aune des nouvelles exigences environnementales. Enfin, nous souhaitons accélérer la prise de conscience mais aussi la compréhension des enjeux. Vous avez noté qu’il y a eu non pas une mais de nombreuses conférences sur ces problématiques depuis le printemps dernier, en particulier lors de cette rentrée universitaire. Les prochaines annonces viendront donc dans le courant de l’automne, au fil de l’eau.

Pour ce qui est de la perception étudiante de l’activité de Sciences Po pour les engagements écologiques, le partenariat avec Total, qui a fait l’objet d’une initiative étudiante Sciences Po Zéro Fossiles est la source de beaucoup d’émoi, donc Sciences Po va-t-il réenvisager ce partenariat? 

Ce sont des préoccupations que nous entendons. L’idée n’est pas du tout d’en balayer la pertinence ou la légitimité. Je pense simplement qu’il y a deux choses à garder à l’esprit : la première c’est qu’on peut s’émouvoir de l’activité de groupes comme Total, de leur impact environnemental, mais je pense que ça n’est pas inutile pour autant de dialoguer avec eux pour comprendre comment ils envisagent les questions liées à la transition climatique et écologique. Au-delà de la nature même des activités de Total, je ne souscris pas du tout à la vision selon laquelle nous serions « sous influence » de Total.

« Je ne souscris pas du tout à la vision selon laquelle nous serions « sous influence » de Total. »

C’est précisément pour objectiver cette question-là que le comité Latour est important, car il permet de nous assurer qu’il n’y a aucun biais quelconque qui soit rattachable à ce partenariat. La deuxième chose c’est que les ressources de Total financent des bourses, sans lesquelles des étudiants ne pourraient sans doute pas étudier à Sciences Po. Total ne choisit évidemment pas les étudiants, qui sont recrutés selon les modalités habituelles. Enfin la troisième chose c’est que nous avons mis en place un comité des dons qui précisément nous aide à envisager la notion du mécénat sous l’angle de toutes les questions éthiques. 

Et est-ce que vous pouvez confirmer que des entreprises comme Total ou L’Oréal n’ont aucun impact sur les programmes académiques ?

Le comité Latour est justement là pour ça, avec un diagnostic et un verdict indépendant, qui nous permettra de nous en assurer.  

Le dernier thème que nous voulions aborder c’était la vie associative, et notamment son bouleversement suite à l’acte II de la réforme du Collège U et la mise en place du Parcours Civique, alors que l’on observe une diminution de l’engagement associatif sur le campus de Paris. Le parcours civique encourage certes l’engagement associatif, mais pourquoi une telle incompatibilité avec la vie associative de Sciences Po, qui occupe déjà beaucoup de temps dans la vie des étudiants ?

Nous ne partageons pas ce constat. Nous avons un document objectif, le bilan de la vie étudiante, qui indique que le nombre d’associations est stable et même en croissance, au même titre que le nombre d’événements et d’étudiants mobilisés dans la vie associative à Sciences Po. Il n’y a pas d’éléments qui permettent d’étayer l’idée d’une diminution de l’engagement associatif. Pour ce qui est du campus de Paris au Collège universitaire, il y a un effet de nombre, il y a toujours plus d’associations pour un nombre plus faible d’étudiants, donc cela conduit nécessairement à un éparpillement.

Je pense que le Parcours civique est volontairement pensé comme un élément de la formation qui se déroule à l’extérieur de l’institution. C’est une occasion de sortir un peu de cet entre-soi que l’on a tôt fait de dénoncer quand on parle de Sciences Po. En créant une obligation de scolarité et donc cette sorte de fil rouge dans la formation des étudiants, on peut même contribuer à un effet plus général, qui est la nécessité de rationaliser leurs engagements associatifs et s’écarter de toute forme de « boulimie d’activités ».

« J’observe par ailleurs qu’il y a peut-être générationnellement une plus grande difficulté à penser l’engagement selon des termes classiques. »

Je pense que la diminution de l’affluence aux évènements est le fruit d’un phénomène plus général : on s’inscrit à un événement et on n’y va pas, il y une sorte d’inconstance, qui par ailleurs peut-être motif à inquiétude. J’observe par ailleurs qu’il y a peut-être générationnellement une plus grande difficulté à penser l’engagement selon des termes classiques. L’engagement, vous le voyez autour de vous chaque jour, étant plus lié à des causes et à des objets, qu’à des structures partisanes et militantes. 

Interview réalisée par Adam Galametz et Pierre-Alexandre Bigel.