LE MAG – La Fiche de lecture: Paul Fournel, « Jason Murphy »

Paul Fournel est docteur de l’École Normale Supérieure, grand éditeur et homme de lettres français. Jason Murphy, son nouveau roman, s’adresse donc naturellement à la recherche universitaire, à l’édition et à la poésie…

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Paul Fournel.

 

Non. Ce n’est pas tout à fait ça. Voyons plutôt : dans Jason Murphy, la recherche universitaire et l’édition se méprisent l’un et l’autre mais adulent conjointement la poésie qui elle, de toute manière, se fout des deux. Voilà qui est mieux. À travers le plus jeune des poètes de la Beat Generation – l’un des moins connus aussi –, Paul Fournel confie ses opinions tranchées ou troubles sur le ménage à trois de ses passions, parfois amies, parfois rivales, dans un récit quasi-épique réunissant des étudiants adorateurs de grandes figures de la littérature, des éditeurs assoiffés de best-sellers et des poètes hédonistes traversant le nouveau continent d’est en ouest.

D’un côté, Madeleine, étudiante à la Sorbonne, rédige son Défi (Diplôme de fin d’études) sur Jason Murphy, dirigée par le « joli professeur » de lettres américaines, Marc Chantier. L’histoire raconte qu’il serait l’un des seuls à avoir posé le regard sur un rouleau légendaire de Jason Murphy, écrit en prose, à la machine et à toute vitesse, dans une course éperdue contre Jack Kerouac durant sa propre rédaction de Sur la route. De l’autre, Meunier, le directeur général des éditions Robert Dubois, obsédé par la fortune et la réputation que lui permettrait d’endosser la publication inédite du fameux scroll, s’évertue en stratégies afin de retrouver la trace du poète. Ses manœuvres sont tortueuses quelquefois, lorsqu’elles impliquent la sulfureuse Stern, prostituée et blogueuse à ses heures, et le professeur Chantier qui, d’ailleurs, savoure la manigance. Et puis au milieu, ce clochard rachitique de l’autre bout du petit monde littéraire parisien, embarqué tous les quatre matins par une police zélée qui le toilette avant de le remettre à la rue, tout beau, tout propre, le tout sans se demander une seule seconde ce qu’un personnage aussi fantasque fabrique avec un exemplaire de Howl de Ginsberg au milieu de ses mouchoirs sales et de ses pauvres pièces.

Jason Murphy est une course de gens qui cherchent, et qui « jouent le jeu ambigu des gens qui cherchent », nous précise Paul Fournel dans un interview pour les éditions P.O.L. Meunier et Madeleine s’envoleront même pour San Francisco afin de se mettre sur la route, eux-aussi, de leur obsession. Et pourtant. Le premier se perd dans ses pistes, la seconde va trop vite et trébuche avec dédain sur le clochard au croisement de Market Street. Ils rentreront à Paris satisfaits, mais le lecteur sait, lui, qu’ils sont passés à côté de la raison de leur voyage. Si le côté « épique mais pas trop quand même » de Jason Murphy agace, parfois, s’étalant à toute vitesse comme s’il était écrit sur un scroll lui aussi,  puis s’arrêtant tout net comme ça, c’est toutefois une jolie leçon que nous lègue Paul Fournel entre les lignes des mensonges et des vérités de la littérature sous toutes ses formes.

 

Jason Murphy, de Paul Fournel

Editions P.O.L

Septembre 2013

192 pages, 16€