
« La crise actuelle n’est que la crise terminale de la monarchie présidentielle »
Alors que les Français attendent un budget et que la gauche se déchire à l’Assemblée nationale quant à la stratégie à adopter vis-à-vis du gouvernement, Manuel Bompard, député des Bouches-du-Rhône et coordinateur de La France insoumise, répond à nos questions.
LA PÉNICHE. – Comprenez-vous les critiques selon lesquelles « à refuser tout compromis, on finit par ne rien obtenir » ? Est-ce possible de négocier, discuter avec les centristes ? la droite ?
Manuel BOMPARD. – Parler de compromis, c’est très bien, encore faut-il examiner les conditions dans lesquelles ils sont demandés et la propension de l’autre camp à en faire.
Il faut repartir de la situation politique telle qu’elle s’est dessinée ces derniers mois. Les macronistes ont été balayés par deux fois aux élections européennes et aux législatives. Emmanuel Macron a alors choisi de son seul fait de nommer deux gouvernements rassemblant les deux grands perdants des élections pour poursuivre la même politique. Une politique désavouée dans les urnes par les Français est imposée par un seul homme et nous devrions négocier le poids des chaînes ?
Ces gouvernements qui recyclent tous les responsables de la catastrophe ne sont pas ouverts à un changement de cap. Ils sont précisément nommés pour l’éviter. La preuve en est avec les prétendues concessions obtenues par le PS. Parmi les 23 mesures citées dans le courrier de François Bayrou récapitulant les mesures en direction du PS, 8 figuraient déjà dans le budget initial en octobre, et 11 avaient été obtenues soit par la censure, soit lors de reculs déjà actés par Barnier. Ce qu’il reste est marginal. La légère augmentation de l’ONDAM (Objectif national de dépenses d’assurance maladie, ndlr) permet d’aboutir à des économies de 3,7 milliards d’euros demandés à la santé : est-ce satisfaisant dans un pays où des patients meurent faute de prise en charge adéquate ?
Une fois la parenthèse de cette mascarade fermée, la saignée budgétaire a repris son cours avec des annonces de coupes supplémentaires dans la culture, le sport, la rénovation thermique, la recherche, mais aussi sept heures de travail forcé pour tous, une réduction de l’indemnisation maladie des fonctionnaires ou encore un resserrement de l’Aide médicale d’État. En plus d’augmenter les souffrances de la population, la pente austéritaire est dangereuse pour l’activité économique du pays qui souffrira de la baisse des dépenses et de la demande, mais également contreproductive du point de vue de la réduction du déficit, qui sera rendue plus difficile par le ralentissement de l’activité. Nous censurerons cette politique mortifère.
Le NFP ne tient-il qu’à un fil ?
Il est clair que celles et ceux qui permettent à la politique macroniste de continuer de s’appliquer et soutiennent un budget de casse sociale massive en ne censurant pas le gouvernement Bayrou se mettent à l’écart du NFP.
Cela ne signifie pas pour autant la fin du NFP. Le NFP continue et continuera à vivre en rassemblant toutes celles et ceux qui en défendent le programme et le principe de rupture avec le macronisme. Les groupes communiste et écologiste, ainsi que 8 députés socialistes, ont voté la première motion de censure du gouvernement Bayrou.
Allez-vous censurer tous les gouvernements qui ne sont pas de gauche ? Souhaitez-vous provoquer la démission du président de la République ?
Nous censurerons tous les gouvernements illégitimes d’un point de vue démocratique et s’inscrivant dans la continuité de la politique macroniste largement battue dans les urnes. En quel honneur ne censurerions-nous pas des gouvernements qui viennent demander des efforts à tous les Français et sous-financer les services publics pour combler le déficit qu’ils ont créé avec leurs cadeaux fiscaux ?
Nous constatons le blocage dans lequel nos institutions sont plongées. En démocratie, ces situations sont tranchées par le peuple, c’est-à-dire le retour aux urnes. La seule possibilité d’y revenir, c’est le départ du président de la République, qui se trouve être le responsable du blocage. Ce n’est pas une lubie ou une humeur passagère, mais l’issue inéluctable : plus elle sera repoussée, plus la situation du pays se dégradera. Ce n’est pas sans précédent, ce n’est à vous que je vais apprendre que de Gaulle a démissionné lorsqu’il fut désavoué par un vote, alors un référendum. Une majorité de Françaises et de Français est d’ailleurs favorable à ce scénario.
L’arrivée d’un nouveau Président dans le contexte de l’Assemblée nationale dans sa configuration actuelle changerait-il quelque chose ?
Un nouveau Président pourrait dissoudre l’Assemblée nationale dès l’expiration du délai constitutionnel avec un élan tout autre que les macronistes si l’actuel Président tentait d’y recourir à nouveau. D’ici là, nous proposerions un gouvernement qui aille chercher des majorités texte par texte sur les propositions du programme qui sont capables de rassembler aussi largement dans l’hémicycle que dans la société. Nous avions fait adopter plus de 150 amendements lors de l’examen en première lecture du budget.
Si un éventuel nouveau Président n’était pas de votre bord politique, vous engageriez-vous à ne pas censurer son gouvernement ?
Pourquoi se placer dans une telle configuration ? Quand nous prenons part à une élection, nous concourons pour la victoire, pas pour le témoignage. Le NFP a créé la surprise, du moins par rapport aux sondages, en juillet dernier. Nous mettons d’ores et déjà tout en place pour améliorer cette performance et enfin appliquer la politique de rupture dont le pays a besoin.
Pour donner un élément de réponse à la crise actuelle, faudrait-il passer à un régime présidentiel avec une séparation stricte des pouvoirs, ou au contraire parlementariser le régime ?
La crise actuelle n’est que la crise terminale de la monarchie présidentielle. La concentration d’autant de pouvoirs dans les mains d’un seul homme dessert la démocratie et l’expression populaire. C’est pourquoi nous souhaitons à la fois retirer certains outils comme le 49-3, passer au scrutin proportionnel départemental pour les élections législatives ou encore permettre l’intervention populaire par l’instauration du référendum d’initiative citoyenne. Mais dans notre perspective, ces changements institutionnels doivent se faire par le biais d’une Assemblée constituante qui rédigerait la constitution d’une 6e République. C’est au peuple d’écrire la nouvelle règle du jeu politique.
D’après une enquête Ipsos menée du 26 juillet au 1er août auprès de 11 000 personnes, 72 % des Français considèrent LFI comme un parti attisant la violence et 69 % comme étant dangereux pour la démocratie, contre respectivement 54 % et 53 % pour le RN. Comment souhaiteriez-vous réagir ?
Vous savez comme moi que ces sondages sont à prendre avec d’immenses précautions. Il intervient après une élection lors de laquelle le Front national a obtenu moins de sièges que la coalition dont LFI est membre, ce qui rappelle à la fois l’erreur des sondages précédant le vote et le poids de La France insoumise dans la société.
Néanmoins, j’observe effectivement avec colère la véritable inversion des principes portée dans la sphère médiatique sous l’impulsion du bloc central. C’est en effet une faute politique et morale majeure de mettre sur le même plan un parti républicain souhaitant renforcer la démocratie en permettant une meilleure expression populaire et un parti fondé par d’anciens SS et nostalgiques de Vichy dont le seul projet est d’attenter à l’égalité des citoyens sur la base de leur nationalité et de leur foi. Les indignations sélectives systématiquement dirigées à notre encontre dégrade le débat.
Notre action politique est pourtant fondée sur une pratique démocratique fondamentale, à savoir détailler ce que nous ferons une fois au pouvoir et permettre aux citoyens de décider en toute connaissance de cause. En plus des 694 mesures présentes dans l’Avenir en commun en 2022, nous avons publié plus de 50 documents thématiques approfondissant le programme et notre méthode de gouvernement. Nous avons mis en ligne un comparateur de programmes et avons étudié dans le détail l’impact économique et financier de notre programme, démarche qui a notamment donné lieu à une émission de trois heures pour présenter le chiffrage et en débattre. La démocratie se porterait mieux si nos adversaires politiques et les journalistes accordaient autant d’importance aux sujets de fond.
Auriez-vous des conseils à donner pour les jeunes qui veulent s’engager en politique ?
Restez fidèles à vos convictions en toutes circonstances et ne les abandonnez pas pour plaire au qu’en dira-t-on médiatique. La politique se meurt de l’absence de courage. Montrez le vôtre !
Propos recueillis le 24 janvier 2025.

