Et Lou s’en alla… Hommage à Lou Reed
Il aurait été un peu trop facile de faire une biographie de Lou Reed en usant du vocabulaire froid des encyclopédies, suivant scrupuleusement la procédure de l’hommage. La mort de Lou Reed, un dimanche matin qui plus est, n’est pas anodine : elle est une mutilation de plus à un monde du rock qui autrefois assumait ses pulsions les plus morbides. L’œuvre de Reed est comme une semaine où il n’y aurait que des dimanches, une fin prolongée, l’alcool aidant, pour repousser toujours insolemment le curseur de la vie. Pourtant, le regard du musicien a en lui une lueur perçante : un analyste talentueux y verrait les séances d’électrochocs subies par le petit Lewis Alan Reed dans sa jeunesse, destinées à éliminer ses penchants homosexuels. Les fans y voient l’inspiration d’un artiste qui a toujours préféré la pesanteur des bitumes, ceux-là même qui portent les cauchemars d’un homme pendant soixante et onze années.
Vous avez peut-être réécouté les titres les plus célèbres de Lou Reed ces derniers jours – Heroin et Venus in Furs avec les Velvet, Perfect Day et Walk on the Wild Side en solo – et vous avez eu amplement raison. J’ai pour ma part choisi trois titres qui correspondent à mon Lou Reed, celui avec lequel j’ai entretenu des dialogues de sourds, celui qui m’imposait sa noirceur aveugle au réveil, qui crachait ses faussetés crues sur fond de tempos énervés ou énonçait des vérités terribles sur des mélodies sans âge.
Sunday Morning
The Velvet Underground (The Velvet Underground and Nico, 1967)
L’album à la célèbre banane peinte par Andy Warhol : image puissante et inscrite dans la mémoire de chacun des adolescents qui a eu sa « période rock » (souvent synonyme de « période acné » au passage). The Velvet Underground and Nico s’ouvre par quelques notes de célesta qui font penser à une berceuse mais introduisent en réalité une des plus belles mélodies de l’histoire du rock : les dimanches matins n’auront plus jamais la même couleur. Le groupe, proche de la Factory de Warhol et actif entre 1965 et 1973, signe avec cet album le « most prophetic rock album ever made » selon le magazine Rolling Stone.
Men Of Good Fortune
Lou Reed (Berlin, 1973)
Lou Reed était un poète. Ce titre, assez peu connu, illustre à la perfection les tourments qui rongeaient l’homme : l’album Berlin, produit par Bob Ezrin, désastre commercial à sa sortie, livre une vision lucide jusqu’à l’indécence de l’amour. Il est également l’œuvre la plus ambitieuse de Lou Reed, une narration chaotique nourrie par la drogue et construite autour de deux personnages, Jim et Caroline. Le critique Timothy Ferris écrira dans les pages de Rolling Stone : « C’est un disque amer, sans compromis et l’un des concept albums les mieux maîtrisés de l’histoire. La beauté, le bon goût, les bonnes manières et la moralité n’y ont pas été conviés. »
Style It Takes
Lou Reed & John Cale (Songs for Drella, 1990)
L’album-concept Songs for Drella est lui aussi méconnu, mais donne pourtant lieu à quelques beaux morceaux. Première collaboration de John Cale et Lou Reed depuis la séparation du Velvet, il est un hommage à Warhol (« Drella » aurait été un surnom donné à l’artiste, synthèse de Dracula et Cinderella) et une nouvelle preuve d’audace commerciale. Lou Reed déclarera : « Personne n’a suivi un disque comme Songs For Drella : je pensais naïvement que ça allait lancer une série de disques biographiques, que des groupes allaient faire la même chose avec la vie de Malcolm X, Picasso ou même Jacques Chirac. Enfin, peut-être pas Chirac (rires)… Mais rien. » Une vidéo (accompagnée étrangement de sous-titres français) montre les deux musiciens jouant « Style It Takes », un jeu de regards troublant de sens s’établissant entre eux. Reed paraît alors apaisé.