Harcèlement sexuel : Sciences Po aussi dit « NON »

Le 20 avril dernier, le BDE, l’AS et le BDA co-signaient sur notre site une tribune promouvant une culture du consentement dans les soirées étudiantes de Sciences Po. Avec plus de 1800 lecteurs, ce texte témoigne d’une prise de conscience rapide et massive du problème du harcèlement sexuel dans notre école. La soirée de la Cash and Trash fut un électrochoc. Les « cols blancs » ne sont pas des remparts aux agressions. Cette lutte pour la mise au jour du harcèlement se réveille conjointement dans d’autres universités, puisque l’Université Sorbonne Paris Cité (USPC) a lancé le 15 février la première campagne de prévention dans l’enseignement supérieur français. Qu’en est-il précisément à Sciences Po ? Et quelles sont les mesures mises en place pour y faire face ?

Un dessin d’Albane Miressou-Got

 

« À Sciences Po, comme ailleurs »

Les étudiants sont souvent étonnés de l’existence de harcèlement sexuel à Sciences Po, et selon Hélène Kloeckner, responsable égalité femmes-hommes et coordinatrice de la Cellule de veille sur le harcèlement sexuel, la réaction est la même au sein du personnel administratif, comme si les bonnes manières et l’éducation protégeaient du harcèlement sexuel.

« La première chose à savoir est qu’il y a du harcèlement dans tous les milieux et toutes les catégories socio-professionnelles. Donc il y en a à Sciences Po, pas plus et pas moins qu’ailleurs. »

Le nombre de dossiers traités par an serait proche des statistiques globales sur les violences sexuelles en France. En 2014, 0,4% des femmes françaises ont subi des tentatives de viol ou des viols, de même qu’une femme sur cinq est victime de harcèlement sexuel au cours de sa carrière. Si l’on applique ces chiffres aux 18 000 personnes qui composent la communauté sciencespiste, « il y aura forcément plusieurs cas par an », souligne Hélène Kloeckner, d’autant que les victimes qui contactent la cellule de veille ne sont qu’une minorité parmi les personnes concernées.

« Cela ne veut pas dire qu’il y a beaucoup de violences sexuelles à Sciences Po, mais que c’est une école où le harcèlement existe, comme ailleurs. »

 

Qui sont les personnes concernées ?

Les victimes qui contactent la Cellule de veille contre le harcèlement sont majoritairement des étudiantes, bien que quelques hommes et salariés aient déjà été reçus.

Le public concerné est ici aussi similaire à celui donné par les statistiques nationales. « Pour ce qui est des circonstances et des auteurs, chaque cas est complètement différent. Nous faisons plutôt la distinction entre les auteurs présumés internes à Sciences Po et externes », ajoute Madame Kloeckner.

En effet, au-delà de l’accompagnement de la victime, l’administration doit également, dans le premier cas, prendre une décision vis-à-vis de l’agresseur. Une étudiante déplore toutefois auprès de La Péniche le manque de soutien lorsque la menace est extérieure à Sciences Po. « Ça m’est arrivé. Je suis allée sur place, j’ai laissé mes coordonnées  Mais personne ne m’a rappelée. » 

« Nous veillons à répondre à chacune des demandes qui parviennent à la Cellule de veille. Si celle-ci nous était adressée directement, et nous a échappé, ce qui est en effet fort regrettable, nous nous en excusons et invitons cette personne à nous contacter de nouveau. »

Une cellule de veille contre le harcèlement sexuel

En janvier 2015, Sciences Po a en effet mis en place une cellule de veille contre le harcèlement sexuel afin de recevoir et d’orienter les victimes ou les témoins, et de leur apporter un accompagnement psychologique, médical, et juridique. Le tout se fait en lien étroit avec le Pôle santé.

« Nous pouvons notamment accompagner dans leurs démarches auprès des autorités de police des étudiants étrangers qui ne parlent pas suffisamment le français, ou des personnes qui ne se sentent pas à l’aise pour entamer une procédure », souligne Hélène Kloeckner. Parfois, pour le bien-être des étudiants ou en prévention dans l’attente d’une enquête, Sciences Po prend des mesures pour séparer les étudiants dans les cours qu’ils peuvent avoir en commun, et faire ainsi en sorte qu’ils ne se croisent plus.

Enfin, l’école a la responsabilité de saisir le Procureur de la République si des faits particulièrement graves lui sont rapportés, et semblent suffisamment avérés. « La solution la plus efficace reste le dépôt de plainte par les victimes elles-mêmes, qui peut se faire avec le soutien de l’administration via la Cellule de veille », précise Madame Kloeckner.

Cette cellule a permis de formaliser le recours de la communauté de Sciences Po devant l’administration, et de centraliser les dossiers, dans le respect des procédures établies par la CNIL. « Aujourd’hui, nous sommes deux à avoir accès aux compte-rendus d’entretiens validés par les personnes et archivés : cela permet le cas échéant de faire des liens entre des cas qui paraîtraient n’avoir rien à voir, mais qui pourraient mettre en cause la même personne. »

Une réussite ? Pour Madame Kloeckner, « on ne peut malheureusement pas parler de réussite, tant que ces phénomènes existent, mais nous apportons une réponse à des sujets sensibles. Et nous avons reçu à peu près autant de dossiers en 2015 que dans les trois premiers mois de l’année 2016. Cela ne veut pas dire qu’il y a plus de cas, mais que le bouche à oreille fonctionne. »

La cellule agit aussi indirectement dans la lutte contre le sexisme, à laquelle les étudiants prennent part de plus en plus régulièrement. « Ils prennent l’habitude, souvent en groupe, de nous signaler des cas précis et datés de propos sexistes dans les cours, qui vont souvent de pair avec des propos racistes et homophobes. Cela nous permet d’alerter l’administration qui reçoit les enseignants concernés, et d’expérience, ils arrêtent directement. »

 

La prévention et l’information en ligne de mire.

Sur les faits qui se sont déroulés lors des dernières soirées étudiantes, l’affaire « est traitée » par l’administration, nous n’en saurons pas plus pour des raisons juridiques et éthiques. Madame Kloeckner reconnaît que ce cas a malheureusement servi « d’électrochoc », et de nombreux projets de prévention sont réfléchis en coordination avec les associations étudiantes.

La cellule travaille notamment avec le BDE, l’AS et le BDA qui ont manifesté la volonté de traiter la question du consentement. « Il y a notamment un travail d’information à effectuer, en particulier auprès des étudiants qui n’auraient pas conscience que leurs actes relèvent de l’agression sexuelle, voire du viol. » Pour cela, la cellule souhaiterait étendre la présentation de première année aux campus et en début de master, et développer des séances d’information durant l’année universitaire.

Les syndicats l’UNEF et Solidaires s’intéressent également au sujet, ce dernier proposant de mettre en place des services de prévention aux soirées. Solidaires n’hésite d’ailleurs pas à parler d’une « culture du viol ».  « On justifie des pratiques qui n’ont pas lieu d’être. Les excuses du type ‘elle était trop chaude ce soir’ sont complètement déplacées », insistent Morgan et Véra, militantes en première année.

« On ne devrait pas dire, pour un même comportement, d’un garçon qu’il est un Dom Juan et une fille une pute. Tout est question d’éducation. »

Un propos repris dans une moindre mesure par les membres de la cellule, qui soulignent la difficulté de mener une politique de prévention contre le harcèlement sexuel quand certaines associations développent une communication qui reproduit des stéréotypes et des images de femmes-objets. « Je pense également aux chants du CRIT, il y a deux ou trois passages qui sont quand même…sur lesquels il faudrait entamer une réflexion si on veut faire de la prévention efficacement », ajoute la responsable de la cellule.

 

Un travail coordonné avec les associations de Sciences Po

Une lutte en amont contre le harcèlement qui nécessite donc une forte implication des associations, au vu de leur rayonnement à Sciences Po. C’est pour cette raison que la nouvelle Charte pour l’égalité hommes-femmes a été entièrement rédigée par les associations. Elle prévoit notamment une formation des responsables associatifs sur les questions du harcèlement sexuel et de l’égalité au cours du séminaire de début d’année, une requête sur laquelle ont particulièrement insisté les membres des associations. Cela permettrait notamment de rendre la Charte accessible à tous les étudiants.

La chape de plomb qui pèse sur le harcèlement sexuel et le viol à l’Université commence doucement à se soulever, tandis que les campagnes de lutte contre les violences sexuelles se multiplient dans l’ensemble de la société. On découvre alors que Sciences Po ne fait pas exception.

Petit rappel utile si vous êtes victime, témoin de harcèlement sexuel, ou si vous souhaitez simplement vous informer dans un cadre bienveillant

« Il faut contacter la cellule de veille, en envoyant un mail à harcèlement.sexuel@sciencespo.fr, ou en en téléphonant au 01 45 49 54 00. On peut aussi me joindre directement, pour les personnes qui le préfèrent (helene.kloeckner@sciencespo.fr, 0145495986). On propose un entretien et on prend ensuite une décision ensemble sur la suite à donner au dossier. »