Les Gracques : « une société secrète qui opère à visage découvert »

Alexandre Wickham, directeur éditorial d’Albin Michel, pose en ces quelques mots le paradoxe accompagnant l’action en clair-obscur des Gracques. Derrière ce nom choisi en 2007 lors d’un séminaire « ski et idées » aux Arcs, sous l’impulsion de Denis Olivenne le dirigeant du pôle média de Lagardère, se cache en effet un « groupuscule » crypto-politique se targuant d’un héritage antique pour mieux construire le futur français. A l’instar des hommes d’états romains et frères Gracchus, ils souhaitent réformer le système social tout en y ajoutant leur propre succès. Leur influence sur le pouvoir est controversée, quand elle n’est pas niée. Qui sont ces tribuns « sentant le souffre » mais dont pourtant les « idées triomphent », pour reprendre les termes d’un de leurs propres piliers ?

Un think tank de hauts fonctionnaires ?

A priori, il semblerait qu’appartenir aux Gracques soit l’apanage des plus grands. Réseau et entre soi élitiste dignes des clubs les plus enclavés. Ne s’agit-il pas exclusivement d’hommes et de (quelques) femmes de pouvoir sortis de l’ENA et de HEC ? N’occupent-ils pas des postes hauts placés, leur assurant une légitimité politique dans les cabinets ministériels ? Ne s’imposèrent-ils pas dans un temps dans les années Mitterrand, avec pour perspective de regagner leur tour d’argent quand la droite fut venue ?

Force est d’admettre que les ramifications des Gracques jusqu’aux plus hauts sphères sont, de fait, du ressort de tout groupe d’influence. Néanmoins, il ne s’agit pas de leur attribuer une étiquette source d’homogénéité. S’ils se retrouvent dans leurs projets économiques et sociaux, ils s’enrichissent également de leurs nuances professionnelles et culturelles. Ainsi, des intellectuels comme l’écrivain et académicien Erick Orsenna, l’historien au CNRS Pascal Blanchard ou bien encore le professeur de médecine René Frydman, côtoient des maestro de la finance tel Guillaume Hannezo (gérant de FDR finance) ou de l’assurance comme Bernard Spitz (président de la Fédération française des sociétés d’assurance…et des Gracques !).

Il serait donc restrictif de considérer que les Gracques constituent un simple groupe de hauts fonctionnaires. Ils sont surtout les carreaux d’une mosaïque d’inspirations et de réflexions. Loin de l’élitisme d’une classe politique.

De droite ou de gauche ?

Question existentielle de tout français habitué au clivage bipartisan. Se posant ici, d’autant que rejetés par une partie de la gauche, les Gracques se défendent d’être de droite… Alors ? Centristes ? Bien au contraire, comme en témoignent certaines de leurs positions loin de faire aujourd’hui l’unanimité.

Dans leur Manifeste pour une gauche moderne, les Gracques demandent « une société plus juste » dans l’optique de lutter contre « la fatalité qui enfermerait les plus démunis dans leur destin social ». Réclamant, en outre, une « politique plus vraie », plus prosaïque et concentrée sur des objectifs concrets. Il en découle parfois une revendication libérale « moderne ». Les Gracques veulent « cesser de voir dans l’entreprise un ennemi » et « mettre de la redistribution partout où il y a du marché, et du marché régulé partout où il y a des rentes ». Cette politique sociale-libérale souhaite concilier (ou réconcilier ?) « la croissance économique et [le] progrès social », dans la lignée du ministre de l’économie Emmanuel Macron.

Les Gracques sont loin d’être en osmose avec la gauche « traditionnelle », voire conservatrice, dont « les leviers ne répondent plus ». Ils l’enjoignent d’ailleurs à « changer de méthode, modifier profondément son mode de pensée, ses modèles, ses méthodes d’action, sa conception de l’Etat, son rapport avec les citoyens ». Tout un programme. Qui ressemble étrangement à celui en cours d’application…

Quelle puissance d’action ?

La frontière entre le club, le lobby et le parti politique est ténue. Les Gracques semblent occuper toutes ses fonctions sans réellement en prendre la mesure. Au-delà d’un think tank -ou « laboratoire d’idées » pour abroger tout anglicisme superficiel- ne posant que leur réflexion au cœur des débats, leurs propositions sont plus qu’écoutées par nos dirigeants.

Aquilino Morelle déclara ainsi à Vanity Fair, sur le ton de l’évidence, que « ce sont leurs idées qui sont aux commandes, tout simplement ! ». Le secrétaire général de l’Elysée, Jean-Pierre Jouyet est également désigné comme membre, une preuve de plus pour le conseiller déchu, corroborant ses accusations.

Alors, dans un objectif démocratique, comment accepter la domination d’un groupe d’influence sur des enjeux politiques censés être « la chose du peuple » si ces propos sont avérés ?

© La Péniche

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