Et maintenant ? Manifeste pour un autre débat

La Péniche donne la parole aux syndicats étudiants, aux sections des partis politiques et aux étudiants souhaitant publier un texte ou une tribune, dans notre rubrique « Tribunes ». La position des auteurs de ces tribunes n’engage pas la rédaction de La Péniche.

Nous, élèves de Sciences Po Paris, de différents courants politiques, souhaitons nous associer aux étudiants de la Harvard Kennedy School pour proposer une autre réflexion après les terribles attentats du 13 novembre en cosignant la tribune Et Maintenant ? Manifeste pour un autre débat.

Les frappes en Syrie, les mesures sécuritaires, certes nécessaires, ne suffiront pas à éradiquer une idéologie qui se nourrit de nos propres faiblesses, de l’effritement des liens sociaux dans nos propres sociétés. C’est pourquoi, nous devons de toute urgence repenser notre modèle d’intégration, combattre le décrochage scolaire qui plonge des générations dans l’ignorance, et retrouver la force inclusive du projet républicain.

Conscients des défis immenses que nous devrons tous affronter, les signataires de cette tribune appellent solennellement les responsables politiques de notre nation à endosser enfin la responsabilité qui est la leur, en formant un gouvernement d’union nationale. Seul un gouvernement d’union nationale aura la légitimité suffisante pour s’attaquer sur notre sol aux cellules terroristes. Seul un gouvernement d’union nationale saura porter ce renouvellement du projet républicain. Seul un gouvernement d’union nationale pourra définir une véritable stratégie politique extérieure dépourvue d’ambiguïtés. Seul un gouvernement d’union nationale sera à l’image de l’unité de la Nation française depuis le massacre de Vendredi.

Antoine Gastinel
Jean Galve de Rochemonteix
Milan Malik
Antoine Willenbucher
Raphael Saidi
Louis de la Rochère
Guilhem Morvilliers
Salih Yuce

 

Et maintenant ? Manifeste pour un autre débat

La poussière des explosions retombe à peine et il est difficile de mettre des mots sur l’émotion qui nous saisit. Tristesse de voir l’étendue de la violence créée par des barbares en cours d’identification. Compassion évidente pour celles et ceux dont les proches ont été affectés. Détermination de parvenir à rétablir une situation qui permette aux Françaises et aux Français de vivre à nouveau une vie sans cette menace permanente.

Le monde tourne les yeux vers un pays dans la tourmente dont la réaction façonnera celle de la communauté internationale face à la menace que représente le terrorisme sous toutes ses formes.

Nous pouvons bombarder Daesh à Raqqa, et d’autres organisations terroristes où qu’elles se trouvent. Mais pour un terroriste abattu, combien se relèveront, radicalisés grâce aux images de sa mort ?

Nous pouvons surveiller de plus près nos citoyens afin d’essayer de prévenir de nouvelles attaques. Mais comment surveiller toujours plus de gens, et selon quels critères, sans abandonner une partie des libertés individuelles qui constituent précisément le cœur de ce que nous prétendons défendre ?

Ces décisions ne parviendront pas à rétablir notre sentiment de sécurité. Cette « guerre » dans laquelle nous sommes engagés, nous ne la gagnerons ni par les armes, ni par le sang versé. Nous ne croyons ni en l’intensification des frappes en Syrie, ni en la surveillance de nos propres citoyens, même si nous reconnaissons volontiers qu’il s’agit là de débats légitimes. Nous croyons en revanche qu’ils nous empêchent d’engager le débat sur une autre question bien plus importante : comment éviter la radicalisation des laissés-pour-compte à l’intérieur de nos frontières.

Nous devons chercher à utiliser une autre forme d’artillerie pour renforcer l’affirmation du modèle de société que nous défendons : les mots. Ces mots, nous devons les adresser non pas seulement aux gens à l’extérieur de nos frontières, mais surtout à ceux de nos compatriotes qui choisissent de rejoindre leurs rangs. Nous devons nous appliquer de façon permanente à ce que les conditions de vie difficiles au sein-même de nos frontières n’augmentent pas le risque de radicalisation à travers une vision du monde axée autour du « Eux contre Nous ». Certains critiques nous taxeront de naïfs, de pacifistes forcenés ou d’idéalistes (des mots dont nous nous désignerions volontiers nous-mêmes).

Que pensons-nous donc que l’État puisse faire?

L’État peut tout d’abord se rassembler autour d’un projet commun pour dépasser les différences partisanes qui nous empêchent d’avancer. Une opposition stérile entre droite et gauche empêche la résolution des problèmes des français de primer sur les enjeux politiciens. Ce projet commun apparaît désormais avec une clarté éclatante : voulons-nous nous replier sur nous-mêmes pour assurer la sécurité d’un nombre restreint de gens, ou voulons-nous au contraire promouvoir le plus largement possible un modèle de société basé sur la liberté fondamentale de chacun à vivre une vie heureuse, l’égalité de tous devant l’État et la fraternité d’une communauté d’envies, d’émotions et de générosités ?

L’État doit également mettre en place des politiques de soutien aux plus fragiles, car ce sont les plus vulnérables aux discours radicaux. L’image de politiques élitistes opérant en circuit fermé pour un État pris au piège de l’illusion de sa propre impuissance transforme ces populations marginalisés en un formidable réservoir pour les violences qui nous répugnent. Plutôt que de chercher en un exercice grotesque de simplification aveugle à distinguer les bons des méchants immigrés, les bons des méchants chômeurs, les bons des méchants musulmans, les bons des méchants arabes (pour utiliser des terme qui ont, à tort, acquis une connotation négative), nous devrions nous appliquer à faire en sorte que tous aient envie d’être bons, en leur promettant un pays qui les accueille, qui les écoute et les aide, et qui leur fournit un environnement dans lequel ils peuvent s’épanouir. C’est notre échec collectif à réaliser les conditions de cette réussite qui nous a conduit à la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui.

Ouverture, Solidarité et Participation. Tels doivent être les maîtres mots de notre démarche. Cessons de tracer des lignes futiles et illusoires entre les bons et les méchants. La réalité, ce n’est pas que le nombre de « méchants » a augmenté depuis quelques années. La réalité, c’est que la politique de la France contribue depuis des décennies à produire une catégorie de laissés-pour-compte, que ce soit dans des banlieues défavorisées où un système éducatif défaillant laisse les élèves sur le bord de la route, dans des zones rurales ou désindustralisées où les perspectives d’emploi ont tout simplement disparu, ou sur un marché du travail criblé de discriminations latentes. Dans un pays comme la France où la place du citoyen au sein de la République est si importante, être étiqueté comme un laissé-pour-compte produit un sentiment de marginalisation qui peut être d’une violence inouïe.

Cela n’est d’ailleurs pas spécifique à la France et peut dans une certaine mesure s’étendre à toute l’Europe, avec la montée parallèle des laissés-pour-compte et des extrémismes de tous bords. Dépourvus d’avenir économique, intellectuel et social, comment ne pas se tourner vers des idéologies alternatives dont la propagation est facilitée par l’ubiquité du cyberespace ?

Nous appelons à un Gouvernement d’Union Nationale, où des personnalités de droite et du centre rejoindraient un gouvernement de gauche pour les 18 mois qui restent avant la prochaine élection présidentielle. Il s’agirait de mener les réformes devant faire reculer cette marginalisation et cette classe des laissés-pour-compte. De nouvelles politiques publiques pourraient servir à entamer un dialogue avec les populations marginalisées ainsi qu’à permettre à plus de citoyens de se saisir de questions cruciales liées à l’identité, à la religion, à la race, à la discrimination et à la tolérance.

En un mot, la France doit proclamer sa vision d’une société moderne et démocratique, où chacun peut trouver sa place, vivre ensemble et participer à la vie de la cité, face à un modèle de société basé sur la violence et la loi du talion. La démocratie n’est jamais acquise ; elle est plutôt l’effort de tous les instants de prendre la décision la plus juste pour chacun des citoyens qui placent leur confiance en l’autorité de l’État. C’est cette participation de chacun, cette démocratie vivante et en mouvement que nous devons chercher à défendre au lieu d’un modèle poussiéreux que nous aurions du abandonner il y a bien longtemps.

Nous avons tous envie de croire en une solution miracle qui nous apporterait le faux réconfort d’une sécurité retrouvée. Cette solution n’existe pas. Les hommes politiques doivent dépasser le besoin de “faire quelque chose” pour trouver de nouvelles solutions aux problèmes qui existent déjà pour nos concitoyens les plus en détresse. Faisons en sorte qu’il ne leur vienne plus l’idée de se retourner contre une République dont ils bénéficieraient au même titre que tous les autres. Cela exige effectivement d’avoir un minimum de confiance en l’espèce humaine: un humain heureux est un humain qui ne tue pas.

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