Christian Blanckaert, de l’électroménager à la chaussure de luxe

« Qu’est ce qu’un honnête homme ». C’est grâce à ce sujet de l’épreuve de culture G que Christian Blanckaert réussit le concours d’entrée de Sciences Po, à 18 ans – signe du destin ? Direction de Bricorama, Thomson, du Comité Colbert, du groupe Hermès, c’est aujourd’hui avenue d’Iéna que je rencontre cet homme enjoué à la carrière brillante.

Enfant il voulait être chirurgien ; il aura finalement passé toute sa vie dans les affaires. Grand passionné d’histoire, l’enseignement multidiscuplinaire est l’une des raisons pour lesquelles il a voulu entrer à Sciences Po, qu’il pensait être « formidable, mais sans trop savoir pourquoi ». N’ayant pas d’idée précise de ce qu’il voulait faire c’est en entrant à l’institut qu’il s’est découvert une vocation pour le monde de l’entreprise grâce à ses maîtres de conférences, Pierre Soudet et Raymond Barre. Il entre ensuite à l’INSEAD afin de compléter sa formation et atteindre ses objectifs. La carrière professionnelle de Blanckaert est longue, et ses secteurs d’activité variés.

Il intégra d’abord l’industrie lourde dans les produits grands publics, comme DG de l’enseigne Bricorama en 1976, puis comme PDG et président du conseil d’administration de Thomson-SDRM en 1980. Ce n’est que par hasard qu’il entra dans l’industrie du luxe en prenant « le train du comité Colbert ». Il devint alors membre du comité de direction de cette association de 70 groupes français de l’industrie du luxe dont le rôle est de développer l’image du luxe français à l’étranger. Il entre ensuite en 1996 chez Hermès, comme PDG de la principale filiale du groupe, Hermès Sellier, puis comme DG des affaires internationales d’Hermès ayant pour but le développement d’Hermès dans le monde, où il reste jusqu’en 2009.

Christian_Blanckaert-petit-.jpgCe sont les différences inhérentes de ces secteurs qui ont passionné Blanckaert. L’industrie classique et lourde, contrairement à l’industrie du luxe, ne fait pas la différence entre créateur et manager. Elle permet d’acquérir une logique, ce dont le luxe lui a permis de s’émanciper pour donner une plus grande place à l’irrationnel. La base du luxe ainsi est de savoir différencier l’indépendance du management et l’indépendance de la création.

3 caractéristiques de l’industrie du luxe ont incité Blanckaert à se spécialiser dans le milieu. Tout d’abord, le succès dépend de l’innovation et de la créativité. Dans ce milieu n’existent pas d’études de marché qui annoncent le potentiel de vente comme dans l’industrie lourde : lorsqu’on vend des cravates, sacs ou foulards, on ne peut connaître le taux d’équipement des ménages. « Vous pouvez vendre autant de paires de chaussures que vous voulez à toutes les femmes, elles n’ont jamais un taux d’équipement que l’on peut rationaliser. Vous en savez quelque chose ! » – les lectrices de l’article s’y reconnaîtront. Ensuite, le monde du luxe est totalement international, sans frontières. « A partir du moment où la maison a une culture et un savoir faire, elle peut conquérir toute la planète, en particulier chez Hermès ou la culture est très forte. Pas la peine de se déguiser ! ». Enfin, au moment où l’on ne parle que de mondialisation, contrairement à ce que l’on peut lire Blanckaert la présente comme positive puisque de plus en plus de gens accèdent à un pouvoir d’achat et accèdent à la classe moyenne. Le luxe en a profité et en profite encore.

Le milieu du luxe, il faut le savoir, est un milieu très compétitif en raison de son envergure mondiale et financière. Les places y sont chères, il faut y avoir les meilleurs managers et les meilleurs créateurs. Tout le monde n’y réussit pas, mais il est néanmoins tout à fait possible d’y accéder notamment pour les étudiants de Sciences Po, mais ce à certaines conditions. Il faut pouvoir comprendre l’importance de la création par rapport au management, être complice de la création et être enthousiaste de la maison que l’on représente : il faut croire au produit, être vigilant, avoir le sens de l’ambition et du détail. Comme dans le reste de l’industrie, il faut savoir être modeste, rire, écouter, se faire adopter, et évidemment avoir du goût. Cela ne veut pas dire « aimer le luxe », ce qui est absurde et ne veut rien dire, mais aimer les choses bien faites et avoir de l’intérêt pour l’art. Ces qualités, en plus de la formation suivie à Sciences Po, est la recette pour percer dans le monde du luxe.

Christian Blanckaert est un véritable passionné de Sciences Po. L’institut lui a permis de se créer une véritable culture, une ouverture sur le monde et une base structurelle qui ont été capitaux dans sa vie. Il lui a aussi donné le goût pour la chose publique – ce qui l’a incité à se présenter aux élections municipales de sa ville et à être maire pendant 31 ans. Il a lié lors de ces 3 ans des amitiés très fortes, notamment avec certains maîtres de conférence comme Soudet, Jacques de Larosière ou Raymond Barre. Ces rencontres constituent ses meilleurs souvenirs de l’école. Le souvenir du soir où Soudet leur a appris la mort de Kennedy, celui de s’être lié d’amitié avec Barre après avoir discuté des raisons pour lesquelles il avait été collé en économie et redoublé sa 3e année. Le souvenir des voyages au Cambodge et en Tunisie avec la conférence Olivaint dont il était le président dans laquelle il s’est tellement investit. Que de moments ayant rendues particulièrement heureuses ces 3 années à Sciences Po.

Il est important de dire, en cette période de crise que traverse Sciences Po, que Blanckaert est fier de ce qu’est devenu l’institut sous « l’ère Descoings », en s’ouvrant à l’international et aux jeunes par les CEP dont il fait d’ailleurs partie du jury. Auparavant établissement parisien socialement fermé, Sciences Po est « devenue une grande université à vocation mondiale, et c’est extraordinaire ». Certains anciens étudiants se sont ainsi regroupés autour de Descoings pour aider, donner, sponsoriser des élèves, donner des bourses : il est du devoir de chacun de rendre à Sciences Po ce qu’elle nous a donné.

Blanckaert considère avoir eu beaucoup de chance dans sa vie. Maire, membre d’ONG, voyages, écriture de livres, vie professionnelle trépidante, il revient à son sujet d’entrée de Sciences Po – Qu’est ce qu’un honnête homme ? – : un homme qui ne se polarise pas sur sa carrière professionnelle mais qui parvient à prendre d’autres chemins en même temps. Aujourd’hui professeur de Management à l’ESCP et Président du Conseil de Surveillance de Petit-Bateau, il vient de publier un livre au Cherche-Midi, Luxe Trotter. C’est en prenant mille chemins différents qu’il a eu une vie palpitante. « Je peux parler au passé, je peux parler au présent, et je vais même vous amuser mais je parle au futur. Je n’ai pas du tout l’intention d’arrêter ma carrière, je n’ai pas du tout l’intention de ne pas travailler. Je crois qu’il faut continuer à être acteur ». Blanckaert est un enthousiaste, un hyperactif, qui a décidé de rester acteur de sa vie.

9 juillet 1945 : naissance à Paris 1967 : diplômé de Sciences Po Paris 1980-1984 : DG puis PDG de Thomson-SDRM 1996 : entrée chez le groupe Hermès 1989-2008 : Maire de Varengeville-sur-Mer 2011 : Commandeur de la Légion d’Honneur