Dominique de Villepin à Sciences Po : vers une souveraineté européenne et française dans un monde en crise ?

Mardi 16 septembre 2025, Dominique de Villepin est retourné sur les bancs de Sciences Po en tant qu’invité de la discussion de rentrée de l’Association du Parlement des Étudiants. Ancien diplomate, et Premier ministre sous Jacques Chirac, il est aujourd’hui à la tête du parti politique la France humaniste, fondé en juin 2025. Pendant près de deux heures, Dominique de Villepin s’est prêté aux questions des deux étudiants modérateurs, concernant la politique internationale de la France et sa souveraineté, ainsi que la République française et ses élites.

Crédit photo : Meg Nihouarn.


Quinze minutes avant l’arrivée de Dominique de Villepin, l’amphithéâtre Boutmy fait salle comble. À la sortie de leur cours, les élèves se précipitent afin de réserver les meilleures places. Certains espèrent entendre des pistes pour relever la souveraineté européenne, d’autres souhaitent recevoir les codes d’un programme présidentiel. Cet échange avec l’ancien Premier ministre, organisé par le Parlement des Étudiants, s’inscrit notamment dans le contexte de la parution de son nouvel ouvrage, Le Pouvoir de Dire Non. Dans la salle, une élève fait part de sa préoccupation devant les nombreuses critiques faites aux présidents français depuis Jacques Chirac dans ce nouvel ouvrage. « Si Monsieur de Villepin se présente aux élections de 2027, comment entend-il nous assurer qu’il ne répétera pas les mêmes erreurs que ses prédécesseurs ? », s’interroge-t-elle.

Sous les applaudissements des Sciences Pistes, Dominique de Villepin arrive et s’installe sur l’estrade aux côtés des modérateurs. Les présidente et vice-présidente de l’association entament alors une présentation de leur invité afin d’inaugurer la saison annuelle du Parlement des Étudiants.

Dominique de Villepin ouvre son intervention en rappelant sa présence 50 ans auparavant au sein de ce même établissement, dans un monde qui a bien changé depuis. Décomposition de la société internationale, déconstruction des états de la vie nationale, raréfaction des talents, crise du monde, panne d’avenir et impuissance… Ce sont par ces mots que l’ancien Premier ministre décrit le monde actuel. 

Un monde dans lequel les États-Unis « découvrent la voracité chinoise », affirme-t-il. Un monde dans lequel l’Europe doit « taper suffisamment fort » contre la puissance américaine, qui veut s’incarner « dans la sidération ». Un monde dans lequel « l’illibéralisme américain marchande les principes démocratiques ». Enfin, un monde dans lequel Donald Trump fait de l’Europe son « vassal », à des lieues du multilatéralisme qui guide les relations internationales depuis des décennies. Dominique de Villepin mentionne alors Hannah Arendt, qui insistait sur la nécessité de questionner les événements et faits politiques au moment même où ils se produisent.

Au tour des modérateurs d’initier la conversation. Le premier sujet est lancé : la politique internationale de la France et sa souveraineté. Les questions s’enchaînent. De la guerre en Ukraine à celle en cours à Gaza, que Dominique de Villepin n’hésite pas à qualifier de génocide, l’ancien ministre des Affaires étrangères propose des réponses détaillées, provoquant quelques baillements dans l’auditoire.

Selon lui, l’Europe doit adopter un esprit indépendant. La fulgurante montée des populismes manifeste un alignement global sur un intérêt qui n’est « pas le nôtre », avance-t-il. « Notre destin se joue à Washington ou Moscou », déplore Dominique de Villepin, qui insiste sur le fait que la guerre en Ukraine constitue une menace pour l’Europe, alors que la compétition entre les puissances américaines et chinoises s’intensifie. 

Ces tensions se reflètent dans la tentative des États-Unis de « vassaliser » la Chine, poursuit-il. Dans sa guerre commerciale contre la puissance asiatique, Donald Trump a fortement augmenté les droits de douane américains sur les produits chinois. Il a ensuite exercé des pressions tarifaires sur l’Union Européenne, afin de la contraindre à adopter les positions américaines. « Tout le jeu américain consiste à couper toute relation libre », fait remarquer l’ancien Premier Ministre. En réaction, il appelle les dirigeants européens et notamment français à s’allier avec l’Afrique face aux manœuvres des États-Unis.

Vient alors une question concernant la guerre au Moyen-Orient. Faisant écho aux questionnements d’une élève précédemment mentionnée, un modérateur demande à Dominique de Villepin ce qui aurait pu être fait durant son mandat afin d’éviter la situation actuelle dans la bande de Gaza. Sans répondre directement, l’ancien haut fonctionnaire perçoit les événements du 7 octobre comme le constat d’une  «  tragédie [qui] peut encore frapper ».

Tout comme en 2001 lors du 11 septembre, ces attentats ont enclenché une dynamique de vengeance qui a conduit à la dissuasion par la force. Dominique de Villepin mentionne alors l’effacement de l’identité palestinienne et l’idée selon laquelle l’Europe ne pourrait échapper au « Projet Trump » dont les principes bafouent le droit international. La parole des européens « ne pèse rien », insiste-t-il, dans un monde dominé par la puissance américaine, elle-même incapable d’appliquer le droit international.

Dans le secteur de la finance, Dominique de Villepin reste concis mais donne des indications précises. Il évoque le fossé financier qui se creuse depuis 2007 et reproche à Emmanuel Macron de ne jamais reconnaître ses erreurs. Le fondateur de La France Humaniste, son parti fondé en juin 2025, estime qu’il faut réduire notre ambition autour de 30-35 milliards d’euros d’effort budgétaire, choisir de faire des efforts consensuels, mettre en place des missions d’audit des fonctions budgétaires et réfléchir aux stratégies qui éviteront de désigner un bouc émissaire.

Bien que l’ancien diplomate rappelle qu’il vaut mieux répondre à moins de questions, mais le faire en profondeur, plutôt que d’enchaîner les propos, le modérateur passe au deuxième sujet de la soirée : La République française et ses élites : crise politique ou crise de régime ? Sébastien Lecornu venait d’être nommé Premier ministre, engendrant une question autour de l’instabilité politique, notamment en raison du pouvoir qui est accordé au chef du gouvernement. Dominique de Villepin rappelle que le Premier ministre tire normalement sa légitimité de sa majorité parlementaire à l’Assemblée nationale. A présent, son pouvoir dépend du président car il ne détient plus de base parlementaire solide.

Il faut donc « réapprendre à faire, » prône l’invité. Au cours des dernières années, argue-t-il, la prise de décision effective a laissé place à la communication stratégique des politiciens. Les partis politiques flottent, l’État flotte, le corps diplomatique est supprimé. Faut-il alors passer à une VIème République ? Pas nécessaire, évacue-t-il. Il faut, à la place, que le Premier ministre forme une majorité de circonstance, afin de ne pas devenir le vassal du président.

Sur la question de l’endettement et des mouvements sociaux, Dominique de Villepin estime qu’il faut écouter le peuple. À propos du « conclave » concernant la réforme des retraites, l’ancien Premier ministre regrette que le Medef, plus grande organisation patronale française, ait pris la décision de ne pas s’engager dans le dialogue, alors qu’il aurait été possible d’y associer une partie de l’opinion publique et des syndicats. L’ancien haut fonctionnaire fustige également la prise de position jugée individualiste d’Emmanuel Macron, qui a cristallisé les réalités sociales et le jeu syndical.

Le temps des questions du public prend alors place. Les élèves accourent afin de pouvoir interpeller Dominique de Villepin. Sur le plan de la sécurité et du nucléaire,  il rappelle que la jeunesse doit être un vecteur de changement social. Elle doit utiliser les plateformes numériques pour se mobiliser, spécifiquement en Europe où l’utilisation des réseaux par la jeunesse est rarement vectrice de changements. Il faut renouveler les outils, dit-il, afin de remédier à cette « fracture entre le peuple et les élites ».

A propos de la question palestinienne, Dominique de Villepin insiste à nouveau sur la reconnaissance d’un symbole, d’une citoyenneté, avec une portée pratique et une portée politique. Comment passer d’un État d’exception à une normalisation ? Comment réconcilier des mémoires crispées ? « Si Donald Trump souhaitait un prix Nobel de la paix, il aurait dû établir un cessez-le-feu », tance-t-il. Les générations à venir doivent, selon lui, « obliger les élites politiques à venir à la table des négociations, les obliger à reconnaître un État palestinien, les obliger à avancer ».

Une question d’un étudiant entraîne les applaudissements de la salle. « En quoi n’êtes vous pas macroniste ? Vous vous définissez comme un homme d’un mètre quatre-vingt onze qui ne rentre ni dans les cases de la gauche ni dans celles de la droite. » Souriant, Dominique de Villepin répond sans broncher aux questionnements de l’élève. « Je ne me mets pas au-dessus du système, en dépit de mes un mètre quatre-vingt onze. »

N’ayant jamais été élu, il souhaite refaire de la politique. Si la gauche doit rester le « défenseur de la justice sociale », la droite a pour mission, d’après lui, de réinventer une politique économique qui ne favoriserait pas seulement les plus riches. Les valeurs républicaines sont aujourd’hui « en danger » et l’ancien chef du gouvernement estime que ses projets n’ont rien de macronistes car il souhaite « faire de la politique un vecteur d’idées » et non un enchaînement de mesures qui divisent le gouvernement.

Enfin, une élève portant un keffieh interpelle Dominique de Villepin à propos de la question coloniale en Palestine. Comme mentionné précédemment, il rappelle qu’il est nécessaire de reconnaître la Palestine, même si cette reconnaissance induit une intervention des puissances anciennement coloniales. Il faut une « démarche légitime », qui transforme le conflit en solution durable.

Ainsi, la discussion inaugurale du Parlement des Étudiants se termine sous les applaudissements de l’amphithéâtre Boutmy. Les élèves sont heureux d’avoir assisté à cet échange avec un potentiel candidat à la future présidentielle. Un étudiant en Affaires publiques est particulièrement impressionné par ses connaissances mais surtout par ses capacités oratoires, notamment face aux questions déstabilisantes de certains élèves. Certains restent cependant sur leur faim. D’une part, Dominique de Villepin semble avoir majoritairement répété les propos de son livre nouvellement paru. D’autre part, en tant que politicien aguerri, l’ancien Premier ministre est parvenu à éviter de répondre directement à certaines interrogations.