François Hollande à Sciences Po : « La social-démocratie peut être une grande force républicaine »

Ce lundi 31 janvier, l’ancien président François Hollande était invité par la section universitaire du Parti socialiste (PS) de Sciences Po. Lors de cette conférence, François Hollande a évoqué les défis que la France doit affronter et a livré son regard sur l’élection présidentielle à venir.

Les étudiants peinent à trouver une place dans les rangs de l’amphithéâtre Émile Boutmy. Le vainqueur de l’élection présidentielle de 2012 se permet même un trait d’humour : « Jai compris quil ny avait pas que des socialistes. Sil ny avait eu que des socialistes, je me serais dit : mais il ny a qu’à Sciences Po quil y a des socialistes’ ». Son livre Affronter, publié en octobre 2021, aborde toutefois des défis plus grands que ceux d’une gauche inaudible et fracturée : dans son ouvrage, l’ancien président expose les défis majeurs auxquels le pays doit faire face, et nous livre ses solutions.

Le régime présidentiel, la solution de tous les maux ?

« Nous avons tous les défauts dun régime présidentiel et aucune qualité dun régime parlementaire », soutient l’ancien président en plaidant pour un véritable régime présidentiel. Regrettant que les questions institutionnelles, pourtant préalables, ne soient jamais évoquées pendant les campagnes, François Hollande dépeint la complexité du système actuel. D’après lui, un régime présidentiel réhabiliterait le parlement, clarifierait les rapports au sein de l’exécutif et simplifierait les relations entre le gouvernement et les citoyens.

François Hollande finit par faire le constat d’une crise démocratique profonde qui, bien qu’elle touche l’Europe entière, est davantage prononcée en France : abstention élevée, parlement atrophié, contestations fortes, faible participation citoyenne, décentralisation réduite, système qui renvoie à l’exécutif la gestion des crises… 

Le presque-candidat Emmanuel Macron

Le premier chapitre d’Affronter revient également sur un quinquennat dit anormal, où Emmanuel Macron a « déchiré les français comme jamais » et où « les ultimes arbitrages résultent davantage d’une fuite en avant qu’une stratégie réfléchie de sa part ». Quel regard l’ancien président porte-t-il sur le mandat de celui qui est encore en fonction ? S’il admet qu’il a affronté une crise sanitaire particulièrement inédite, François Hollande affirme toutefois qu’il n’a pas stabilisé le pays et termine son mandat dans le même état qu’il l’avait commencé, voire « avec une division supplémentaire ».

Selon l’ancien locataire de l’Élysée, le président en fonction « saute d’une conviction à une autre », tandis que sa gestion de la distribution de l’argent public « devient un problème de vertu démocratique ». Ainsi, François Hollande souligne la nécessité pour Emmanuel Macron d’instaurer un programme cohérent et crédible, dès que la levée des restrictions sanitaires entraînera la levée de sa discrétion sur son éventuelle participation à la présidentielle.

« Ce qui est intéressant dans l’Union Européenne, c’est qu’il n’y en a plus »

Alors que depuis le 1er janvier 2022 la France a pris la présidence du Conseil de l’Union européenne, que pense François Hollande de l’état actuel de l’Union ? Selon lui, l’Union Européenne s’effrite et ses fondements s’ébranlent : « Ce qui est intéressant dans lUnion Européenne, cest quil ny en a plus ». La preuve : plus personne ne demande à en sortir. 

À 27 pays, il est encore plus difficile de se mettre d’accord, et selon l’ancien président il s’agit presque d’une prouesse d’avoir pu dégager un plan de relance européen pendant la crise sanitaire. Pour François Hollande, il est nécessaire de mettre en avant un pilier suffisamment sérieux pour que l’Europe puisse agir par elle-même. Il s’agirait du couple franco-allemand, qui pousserait les autres à avancer.

La COP26, un accord en demi-teinte 

Au fil des pages d’Affronter, François Hollande avoue espérer beaucoup de la COP26 : quel regard porte-t-il sur les décisions finalement prises à Glasgow ? Lors de la conférence, celui-ci évoque un accord en demi-teinte, notamment pour la fin des centrales à charbon, et déplore l’absence de consensus, bien que la plupart des familles politiques se réclament aujourd’hui d’une prétendue conscience écologique.

L’accord de Paris, signé en 2015 sous François Hollande, a permis de constater la gravité de la situation et d’établir des objectifs. Aujourd’hui, les hypothèses de réchauffement sont largement dépassées : selon l’ancien président, Glasgow aurait dû rehausser le niveau des engagements. Malgré quelques progrès quant au prix du carbone et l’aide aux pays vulnérables, les décisions de la COP26 sont en-dessous de ce qu’il nous faudrait faire. François Hollande évoque quelques propositions, dont celles de relier l’objectif climatique avec la reconversion du système de production, financer la prolongation des centrales nucléaires, assumer le choix du mix énergétique et isoler tous les logements.

Quel futur pour le socialisme ?

Au cours de la conférence, François Hollande s’est également posé la question suivante : « Est-ce que cette confiance que javais dans les principes du socialisme démocratique a trouvé son point daboutissement ? ». Après avoir développé une bonne couverture sociale, un équilibre entre le droit du travail et la liberté des entreprises, assuré le système fiscal… est-il temps de laisser la place ? Faut-il permettre à la question écologique de se substituer à la question sociale ? En constatant la baisse du vote à gauche des couches populaires, devons-nous croire au libéralisme plus social de la droite ?

Devant un tel état des forces politiques, l’ancien président croit que le socialisme a toujours sa place.« Pourquoi forcément la droite ? », interroge-t-il. François Hollande rappelle que la gauche se positionne aussi sur les demandes de sécurité : durant son quinquennat, trois lois ont été votées sur le terrorisme, une sur le renseignement. Il poursuit, « Avez-vous eu le sentiment de ne pas avoir été protégés et que nous n’assurions pas aux forces de police les moyens nécessaires, alors que nos prédécesseurs avaient supprimé 10 000 emplois dans la police ? ».

D’après celui qui a remporté les urnes en 2012, « la social-démocratie peut être une grande force républicaine ». Seulement, quand le Parti socialiste lui-même doute de cette orientation et que la droite radicale accuse la gauche démocrate des problèmes sécuritaires, il est pour lui nécessaire que la social-démocratie retrouve une ligne politique claire et une certaine audace. Quid d’Anne Hidalgo ? « Elle fait ce qu’elle peut… », répond l’ancien président.

« Le vrai service public est dans l’accompagnement humain »

La dernière question posée par le PS concernait le système universitaire et le financement de la recherche, à la suite des déclarations polémiques de Macron où celui-ci jugeait intenable la gratuité de l’université. Pour François Hollande, le constat est clair : « Nous n’avons pas mis au niveau nécessaire la dépense de recherche, privée comme publique ». Pour autant, est-ce en remontant les droits d’inscription que l’on va trouver des financements ?

D’après l’ancien président, la réponse est négative. Il est selon lui nécessaire de garder les droits d’inscription à un niveau raisonnable mais, surtout, d’avoir un système de bourses plus important. Pour autant, s’il faut rehausser le niveau des bourses, François Hollande insiste toutefois sur l’importance d’être sélectifs : un revenu de 800 euros par étudiant (une référence à Christiane Taubira), est impossible et équivaut à deux tiers du budget de l’éducation nationale. Il termine sur le rôle primordial de l’accompagnement, comme nous l’avons bien vu dans la crise sanitaire : « Le vrai service public est dans l’accompagnement humain ».

« Une note n’est pas un vote »

La conférence passe ensuite aux questions du public, parfois houleuses, souvent inquisitrices. La première porte sur la victoire de Christiane Taubira à la primaire populaire. L’ancien président juge-t-il qu’il s’agissait d’une bonne méthode ? D’abord, les candidats invités à y participer contre leur gré est selon lui  un aspect problématique, privant nécessairement la personne victorieuse de la légitimité de ce processus. Par ailleurs, la primaire, organisée trop tard pour effectuer un réel travail de rassemblement, n’a malheureusement pas constitué un moment de débat pour éclairer le vote. Il critique également le processus du scrutin : « une note n’est pas un vote ». Il ajoute, « les électeurs ne sont pas des juges, ce sont des citoyens ». Au final, la primaire « ne change rien » : même impasse, toujours autant de candidats, pas de ligne politique commune

Macron, le loup dans la bergerie ?

Le 22 janvier 2012, à l’occasion de son discours au Bourget, François Hollande affirme « Mon véritable adversaire, c’est le monde de la finance ». L’a-t-il réellement considérée comme l’ennemie pendant son quinquennat ? A-t-il l’impression d’avoir fait rentrer le loup dans la bergerie en nommant Emmanuel Macron comme l’un de ses ministres ? L’ancien président affirme être toujours opposé à la finance spéculative, prédatrice, qui cause des dérèglements considérables. Il soutient avoir limité cette finance là lorsqu’il était président du pays, notamment au cours de sa lutte contre les paradis fiscaux. Quant à Macron, il admet que celui-ci a peut-être manqué de solidarité et était possiblement un symptôme d’une individualisation croissante des comportements politiques. 

Les questions économiques se poursuivent, notamment sur un potentiel récit alternatif au capitalisme. L’ancien président rétorque : « je pense que c’est une illusion de croire que l’on peut faire un socialisme dans un seul pays, en rompant avec toutes les alliances ». Au cours d’une autre réponse, François Hollande poursuit sur la nécessité d’assurer plus de justice face à l’enrichissement des plus fortunés pendant la crise sanitaire. Pour réduire le niveau de la dette publique, il est selon lui primordial de rétablir un impôt sur la fortune et de corriger les règles sur les transmissions. 

L’ancien président achève la conférence en évoquant le problème de l’abstention dans le vote électoral. « Il y a je ne sais combien de candidats, et les gens ne sont toujours pas satisfaits. Ce n’est pas un problème de nombre, mais doffre politique », il déplore. Va-t-il se rajouter à la longue liste de candidats concourant à la présidentielle de 2022, comme il le laissait entendre face à des lycéens le dimanche 23 janvier sur France 3 ? Le mystère reste entier : « Un ancien président peut toujours être candidat, rien ne l’empêche. Je parle du droit. Je connais même d’anciens présidents qui ont voulu être candidats et qui ny sont pas parvenus. »