Basquiat/Schiele à la Fondation Vuitton : une vive palette d’émotions
Depuis le 3 octobre, deux expositions dédiées à l’œuvre d’Egon Schiele et de Jean-Michel Basquiat sont ouvertes au public à la Fondation Vuitton. Que vous soyez amateur complet ou au contraire fin connaisseur d’art, votre humble rédactrice ne vous conseille qu’une chose : courez-y. L’art est un remède souverain à la grisaille hivernale et à l’évolution façon Pokémon au stade « boule de stress » qui guette tous les sciencepistes en cette fin de premier semestre.
Le bâtiment à lui seul vaut le détour : le bébé de Frank Gehry, ni tout à fait vaisseau spatial ni pleinement construction terrestre, détonne dans le paysage du Bois de Boulogne. Sous les immenses verrières, vous êtes déjà transportés dans un monde à part, et vous ne regretterez pas le trajet, un tantinet long, il est vrai.
La visite démarre par l’exposition consacrée à l’œuvre d’Egon Schiele, peintre majeur de l’esprit viennois du début du XXème siècle. Mais si, l’esprit viennois ! Pensez Klimt, vous verrez tout de suite ce dont il s’agit. Sur une carrière très courte – à peine une dizaine d’années – l’autrichien a toutefois été prolifique, surtout en matière de dessins, qui se comptent en milliers. Ces derniers succèdent aux autoportraits et aux paysages, sous les immenses plafonds des salles de la fondation. L’exposition est bien agencée, condensée et intense, et permet de se prendre en pleine figure tout le génie et la beauté des œuvres de l’artiste. Il faut en revanche s’habituer aux contrastes : entre les personnages torturés et les nus amoureux, l’on est confronté à une palette complète d’émotions, mais avec un trait toujours gracieux et sensible.Autoportrait avec Physalis – Schiele (1912)
Ne soyez pas surpris lorsque, pratiquement sans transition, vous quitterez Vienne en 1918 pour arriver à New York en 1980, dans le royaume de Basquiat. Cette fois-ci, l’exposition prend une ampleur gigantesque : quelques 120 œuvres sont réparties sur quatre niveaux. Il faut ajouter que l’on est gâtés : un échantillon très divers d’œuvres est présenté ici, certaines parmi elles ayant été très peu exposées depuis leur création, et d’autres n’ayant jamais fait auparavant le voyage jusqu’en Europe.
Petit à petit, l’on commence à percevoir les liens entre Schiele et Basquiat : tous deux anticonformistes, morts à 28 ans après une carrière éclair mais très productive, l’on retrouve des thèmes communs dans leurs tableaux : les personnages torturés, en souffrance, ou les saints, la mystique. L’émotion qui s’en dégage est également forte, et vous serez balancés sans ménagement de l’amour à la colère, en passant par les problèmes psychiatriques.
Prévoyez au moins deux heures pour avoir le temps de vous imprégner des toiles, et de scruter les petits détails cachés par l’artiste qui leur donnent tout leur sens. Le message politique est en effet un fil conducteur crucial dans l’œuvre de Basquiat : ce dernier dénonce pêle-mêle le racisme et la société de consommation en Amérique, et peint le lourd héritage de l’esclavage. Héros, sportifs, musiciens noirs et conteurs africains, sont revisités dans l’esprit street art, pour former des toiles rudes, vivement colorées, et parfois incompréhensibles au premier abord. A ce titre, les « micro-visites » organisées à tous les étages de l’exposition, sont parfaites pour dépasser le sentiment d’hermétisme qui survient facilement face aux œuvres de Basquiat : d’une durée de 15 min environ, les guides, charmants et très érudits, vont présenter et expliquer deux ou trois peintures de leur choix. Je vous les recommande très chaudement : la visite devient un million de fois plus intéressante et parlante : on se surprend à décoder les tableaux et on se félicite lorsque l’on parvient à un niveau d’analyse plus poussé que la simple contemplation – qui au départ, ne mène pas beaucoup plus loin que la question « est-ce un enfant ou un escroc du monde de l’art qui a peint cela ? ».
Ainsi, ne tardez pas : pour la modique somme de 10€, jusqu’au 14 janvier, vous avez une chance unique de découvrir une exposition très riche et bien documentée, qui vous laissera, j’en suis sûre, une impression durable et un cerveau en ébullition, curieux d’en savoir plus sur ces deux étoiles filantes de l’art du XXè siècle.Obnoxious liberals de Basquiat (1982)
Camille Simon