Les MOOC, ou comment Sciences Po tente de s’imposer dans « l’espace mondial »
« L’innovation pédagogique actuellement, se déroule sur les MOOC » annonce Dominique Boullier, coordinateur scientifique du MediaLab , dans une vidéo mise en ligne sur le site de Sciences Po. Le ton est donné : bientôt vous ne pourrez ignorer le sens du mot MOOC sans être marqué du sceau de la ringardise la plus absolue. Les MOOC (acronyme de Massive Open Online Courses) désignent des cours en ligne ouverts à tous, proposés sur le web par les meilleurs établissements d’enseignement et de recherche du monde entier. Apparus au début des années 2000 aux États-Unis, les MOOC se développent depuis peu en France. Différentes plateformes sont désormais spécialisées dans leur diffusion, notamment France Université Numérique (FUN), depuis octobre 2013. Or, pour une université, s’afficher sur FUN c’est un peu comme planter son drapeau sur la Lune, ce qui donne lieu à une véritable compétition dans le monde universitaire. Mais dans cette petite « guerre des étoiles », Sciences Po se défend plutôt bien. Elle a envoyé une première fusée de reconnaissance sur le sol de la France Université Numérique dès le 16 janvier 2014 avec les premières vidéos du MOOC « Espace Mondial » de Bertrand Badie – qui comptent déjà plus de 10 000 inscrits. Quant au MOOC « Scientific Humanities » dispensé en anglais par Bruno Latour, son lancement n’a eu lieu que le 10 février.
Les MOOC : des e-cours 2.0 ?
Si le lancement des MOOC n’a pas eu grand retentissement à Sciences Po, c’est sûrement parce ce que ce qu’on nous présentait comme une « innovation pédagogique » ne témoigne pas vraiment d’une révolution copernicienne des méthodes d’enseignement. Étonnamment, les MOOC restent attachés à un format pédagogique extrêmement traditionnel. Comme l’indique le descriptif du MOOC « Espace Mondial » ce n’est « pas […] un cours en direct mais plutôt la captation du cours du premier semestre de Sciences Po, séquencé, repris et enrichi ». Seulement, les montages finaux n’ont rien de spectaculaire, leur design déçoit par son manque de modernité, et les vidéos gagneraient en clarté si elles étaient centrées sur l’utilisation d’animations.
Malgré tout, pour les étudiants de Sciences Po qui n’ont pas suivi le Cours Magistral de Bertrand Badie et pour les autres internautes, ce MOOC est l’occasion rêvée de s’offrir une petite session de rattrapage.
Aux commandes de l’expédition, une équipe pédagogique (notamment l’atelier de cartographie) s’occupe du contenu des cours et du forum. Ses membres n’ont pas été recrutés pour l’occasion puisque le cours existe depuis près de vingt ans. L’équipe technique est interne au Pôle audiovisuel du service numérique de Sciences Po. En outre les professeurs et maîtres de conférence vacataires sollicités pour le MOOC n’ont pas reçu d’augmentation de salaire puisque la gestion du MOOC fait partie intégrante de leur service d’enseignement, et que la plateforme est financée par l’État. Sciences Po ne devrait donc pas augmenter les frais de scolarité des étudiants pour financer ses MOOC. Du moins, normalement…
Le véritable enjeu des MOOC : favoriser le rayonnement de Sciences Po
Peu onéreux et apparemment très influents, les MOOC seraient donc de véritables mannes pour tout établissement d’enseignement supérieur ambitieux. En effet, l’« espace mondial » n’est pas seulement le titre d’un des MOOC proposés par l’IEP de Paris : c’est aussi la scène sur laquelle ce dernier compte rayonner, en partie grâce à ses MOOC.
Certes, les concepteurs de MOOC revendiquent publiquement la gratuité d’accès à l’enseignement comme garantie d’une « démocratisation du savoir ». Pourtant, si la formule est belle et le concept séduisant, l’idéal pédagogique ainsi promu cache à peine une réalité bien différente : les enjeux des MOOC sont au moins autant économiques. Plusieurs universités utilisent déjà FUN comme une vitrine sur le monde pour augmenter leur visibilité et renforcer leur image de marque. Dans cette perspective publicitaire et commerciale, le choix des professeurs qui représenteront l’école est éminemment symbolique. C’est donc Frédéric Mion lui même qui a choisi quels MOOC porteront aux nues les couleurs de l’école. D’autres poids lourds entendent jouer les gros bras aux côtés de Sciences Po : l’École Polytechnique, l’Institut Mines – Télécom, ou encore l’Université Panthéon-Assas – Paris II.
Les MOOC : un projet mort-né ?
Seulement, parce qu’elle fonctionne sur le mode de l’Open source, la plateforme FUN soulève de sérieuses questions d’ordre juridique, relatives au droit de propriété intellectuelle. En effet, le code source de ce logiciel étant libre d’accès (open source), il est facile d’en redistribuer le contenu (les MOOC en l’occurrence), afin, notamment, de créer des produits dérivés. Ainsi, les professeurs ne sont pas à l’abri d’une captation de leurs cours par d’autres internautes, quand bien même, pendant un an, Sciences Po détient une exclusivité sur les droits d’auteur, et rend donc inutilisable le contenu de ses MOOC par d’autres sites que celui de FUN. Par ailleurs, le contenu des MOOC risque d’être aspiré par le trou noir de la plateforme elle-même. Celle-ci fonctionne effectivement selon une logique oligopolistique c’est-à-dire qu’elle agrège au sein d’une même structure les MOOC de différentes universités – malheureusement au détriment de leur visibilité propre.
D’ailleurs, Bruno Latour semble avoir bien cerné les limites de la plateforme FUN, puisque avec Dominique Boullier, il participe par ailleurs au projet Forccast. Il s’agit d’un consortium international de treize partenaires, mené par Sciences Po, qui forme les étudiants à la « cartographie des controverses » et à l’analyse des sciences et des techniques, en leur proposant de créer eux-mêmes leur site Internet et de participer à des débats. Plus innovants et interactifs que les MOOC, les cours de Forccast seraient-ils donc déjà une alternative à ceux de FUN ?
La question se pose d’autant plus que la postérité des MOOC est loin d’être assurée, puisque, sans diplôme à la clef, ces formations en ligne ne sont pas reconnues par les entreprises.
Mission « démocratisation du savoir » : une mission impossible ?
Mais le but des MOOC n’est pas uniquement de délivrer un cours magistral made in Sciences Po à une classe virtuelle surdimensionnée. D’après la charte des utilisateurs de la plateforme FUN « en vous inscrivant à un cours en ligne sur FUN, vous rejoignez une communauté mondiale d’apprenants ». À l’heure des réseaux sociaux, rien de plus in que la plateforme FUN et son forum de discussion permettant de partager des documents et de poser des questions à l’équipe pédagogique. Seulement, l’ouverture volontairement « massive » des MOOC risque de se faire au prix de leur standardisation, et leur gratuité est maintenue au détriment d’une amélioration technique des montages vidéos. Comment alors ne pas sacrifier la qualité pédagogique de l’enseignement sur l’autel de la commercialisation et de la vulgarisation du savoir ? C’est ce défi que doit relever l’équipe pédagogique du MOOC « Espace Mondial », dirigée et coordonnée par Marie-Françoise Durand. Le plus déroutant, avoue cette dernière, c’est qu’« il faut déjà penser à la version deux » alors même que l’« on ignore tout du public inscrit ». Les questions posées sur le forum reflètent de criantes inégalités d’accès à l’éducation, et l’ironie du sort c’est que « nous nous confrontons là directement à l’un des problèmes soulevés dans le cours d’ « Espace Mondial » ». Espérons donc que le développement des MOOC permettra, sinon de remédier à ces problèmes, au moins de leur donner une visibilité pour qu’ils soient un jour résolus. Si tel est le cas, Sciences Po et toutes les universités présentes sur la plateforme FUN pourront se prévaloir d’avoir fait là « un grand pas pour l’humanité ».
Mais avant de viser ainsi la Lune, et pour se démarquer au sein du gratin des universités françaises, Sciences Po doit sans cesse innover, sans pour autant tirer des plans sur la comète. Les projets ne manquent pas, puisqu’un partenariat avec l’université de Brasilia est envisagé, de même que la mise en place de déclinaisons payantes, un sous-titrage et une traduction anglaise des MOOC. Bref, la compétition est bel et bien lancée. Au profit de la qualité pédagogique ? A voir. Mais, comme le précisait Marie-François Durand, « tout reste encore à inventer ».
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