Valls sans fausse note : de la sécurité au discours

Un article de Martin Lewandowski et Marin de La Rochefordière

Le quartier est bloqué et les voitures de la rue Saint Guillaume gardée par des policiers sont enlevées dans l’après-midi. Vers 17h30, dans la file d’attente qui s’allonge en péniche, on parle même d’un « sniper sur un toit, près de Sciences Po ». « La venue d’un Premier ministre en exercice à Sciences Po est une grosse affaire en matière d’organisation », rappelle le Directeur, dans un amphithéâtre bondé bien silencieux. Pour l’occasion, la scène de Boutmy s’est habillée de sièges en cuir blanc. L’éclairage est tamisé. On se croirait presque sur un plateau télé. Il est 18h00 pile. Manuel Valls accompagné de la ministre de l’Education Nationale et du secrétaire d’état à l’enseignement supérieur apparaissent sous un tonnerre d’applaudissements. Une prestigieuse conférence réglée au millimètre commence alors…

© Yann Schreiber

Une séance de lecture de la « feuille de route »

« Vous manquiez à notre tableau de chasse », se réjouit Frédéric Mion après de nombreux salamalecs. « Si vous êtes satisfait des échanges que nous aurons ce soir, je vous en prie Monsieur le Premier ministre, n’hésitez pas, revenez, revenez très vite. », ajoute-t-il, sourire aux lèvres. Le ton est donné. Malgré les « Valls, tire-toi ! » scandés par une vingtaine de tumultueux étudiants de gauche à son arrivée en péniche, Manuel Valls est en terrain favorable.

Le premier ministre a revisé sa leçon d’histoire, commençant par rappeler la vocation de Sciences Po à former des élites, au lendemain de la défaite de Sedan en 1870. S’en suit une demie heure d’un monologue qui a tout d’un cours d’introduction au monde contemporain.

Ne tarrissant pas d’éloges sur la France, « 5ème puissance économique », « un acteur diplomatique de taille », allant même jusqu’à évoquer « un beau pays, avec ses paysages, ses reliefs, ses arts de vivre, ses traditions, son climat tempéré », Manuel Valls souligne ensuite le paradoxe d’évoluer dans un monde hostile, où les crises se multiplient. Désaveu des institutions, montée du chômage et de l’abstention politique, manque de compétitivité, recrudescence de l’immigration, réchauffement climatique, précarisation de l’emploi, risque terroriste… La liste des défis s’allonge. Or, heureuse coïncidence, Manuel Valls a bien l’intention de les relever. « La vie est faite de difficultés. Il y a deux attitudes : s’arrêter, se recroqueviller, dériver, – c’est l’extrême droite, ou avancer, se confronter mais avancer« , martèle-t-il.

© Yann Schreiber

Le temps passe et l’heure est surtout au meeting politique déguisé. L’auditoire, happé par une progressive torpeur, l’écoute rappeler fièrement l’importance du pacte de responsabilité et de la loi Macron. « Ce gouvernement a réformé. Ca n’a pas toujours été facile, mais il l’a fait », lance-t-il. De quoi se réclamer du « social-réformisme », choix du « dialogue et du courage ».

En bref, c’est « un Premier ministre heureux (qui) ne vi(t) pas l’enfer de Matignon, mettant toute son énergie au service de la France », qui vient se rasseoir en compagnie de cinq étudiants de l’Ecole d’Affaires Publiques et de son directeur, l’économiste Yann Algan.

© Yann Schreiber

La spontanéité de retour face aux étudiants

Pendant un peu plus de vingt minutes, Manuel Valls va alors poursuivre son récital « réformiste-libéral » de gauche. « L’école n’a pas assumé son rôle d’aide à la progression et à l’émancipation de l’individu (…) Il faut redonner envie de l’école publique », « Thatcher et Reagan ne sont pas la réalité de notre pays », « Nous devons gagner en souplesse et en compétitivité », « Il faut réformer avec ceux qui refusent le statut quo », les déclarations de politique générale sont légions. Manuel Valls, dont le regard se porte souvent sur ses notes, ne semble même pas avoir besoin d’entendre chaque nouvelle question posée autour de la table ronde pour y répondre…

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Le micro passe alors dans la salle. Les questions s’enchaînent. Le registre reste complaisant. On parle Smart, TAFTA, institutions, droit de vote des étrangers, chômage et frustration. Benjamin Duhamel, l’un de nos chers confrères de Sciences Po TV, s’exclame : « Monsieur le Premier ministre, vous semblez avoir perdu de votre fougue réformatrice, êtes-vous frustré par le Président ? »

Face à une conférence jusqu’alors millimétrée où chaque mot prononcé était réfléchi par des conseillers en amont, la spontanéité refait surface. Un à un, le Premier ministre reprend les sujets, qu’il a soigneusement notés, avec un talent oratoire qui n’est plus un secret.

© Yann Schreiber

« C’est un sentiment insupportable que de croire qu’il y ait des négociations secrètes sur le traité TAFTA. (…) C’est un débat ouvert que nous devons avoir en France, comme en Allemagne », s’insurge-t-il.

Sur le cas de Smart dont les salariés ont récemment émis le souhait de travailler 39 heures par semaine, malgré la loi, le Premier ministre accepte et demande un dialogue avec les syndicats. Il s’oppose toutefois au principe de « référendum permanent ».

Attendons les résultats… Par le rappel de toutes les réformes entreprises depuis sa nomination à la tête du gouvernement, Manuel Valls admet « Faire des compromis. »« C’est difficile de gouverner, mais j’avance avec beaucoup de détermination. Je pense que je suis utile à mon pays », poursuit-il. Avant de rajouter « Je vais bien ». Nous voilà rassurés.

Sur le plan du chômage, le Premier ministre reconnaît faire face à un échec. « On peut parfaitement être de gauche, avoir des valeurs dont celle du travail et en même temps en appeler au mouvement et à la réforme », soutient-il, rappelant au passage l’importance de la création de richesses pour engendrer de nouveaux emplois.

La question du droit de vote des étrangers aux élections locales clôt cette conférence. L’engagement numéro 50 de François Hollande a, depuis 2012, été abandonné. L’échec n’est pas seulement dû à un obstacle constitutionnel, – une telle mesure demandant en effet une modification de la Constitution, par voie référendaire ou parlementaire. Ce n’est plus « une priorité ». « Il y a déjà une citoyenneté française et une européenne, il faudrait en profiter », résume l’invité.

 

La venue du Premier ministre Manuel Valls à Sciences Po ne fera pas partie des annales d’annonces politiques. Parfaitement contrôlé par Matignon, ce « discours de politique générale simplifié » est resté barbiturique. Mais c’est en fin de conférence que nous avons retrouvé notre Premier ministre : fier de ses valeurs, qui assume ses actions, et par dessus tout, heureux.