Témoignage : un stage civique dans une école Montessori, ou comment repenser l’école républicaine
Quand les offres de stage sur SciencesPo Carrières viennent à manquer et que le recours à la procrastination n’est plus permis, on doit enfin lui faire face : le stage de parcours civique est droit devant nous et bloque le paisible paysage de nos vacances d’été en Espagne.
Comme un certain nombre d’étudiants, mon thème d’engagement est de promouvoir l’éducation, et fin avril, j’ai envoyé mon CV dans plusieurs lycées et des collèges de Paris… sans réel enthousiasme à vrai dire. Je n’étais pas enflammé de désir à l’idée de remettre les pieds dans ce milieu que j’avais quitté a peine un an plus tôt.
Prenant une pause lors de mes révisions pour le galop de sociologie, j’ai trouvé une vidéo Brut sur les écoles Montessori. J’ai tout de suite été intrigué. Il y avait de quoi : le spectacle d’une classe où des élèves jouaient, lisaient des BD puis se levaient et sortaient tranquillement de la salle tandis que le prof donnait son cours avec d’autres était déroutant… et voir ensuite le même prof expliquer devant la caméra que c’est là une journée tout à fait normale et assurer que c’est ainsi que fonctionne l’école l’est encore plus.
Mais cela « fonctionne-t-il » au moins de faire crèche à des enfants jusqu’à 15 ans ? N’est-il pas irresponsable de ne pas assurer aux élèves un socle commun en français, en histoire, en mathématiques ? Est-on vraiment préparé au monde du travail quand on a passé sa scolarité à jouer à chat perché et à lire Spirou ?
Pour autant, je ne me voyais pas chanter les louanges de la très sainte école républicaine. J’ai donc décidé que j’irais voir sur place ce qu’il en était. J’ai envoyé un mail à l’Institution Maria Montessori d’Angers : une semaine plus tard je passais un entretien… et j’avais mon stage.
Sans m’étendre sur le déroulement de ce stage, mais sachez que je m’y suis plu au-delà de mes espérances, et que les rencontres que j’y ai faites étaient très enrichissantes humainement. Mon regard actuel sur le système éducatif français a considérablement mûri, et je vais tenter de partager avec vous ce que j’ai appris.
La première chose que j’ai comprise est que la posture pédagogique de l’Education Nationale aurait beaucoup à gagner à s’inspirer des pédagogies alternatives. Le principal défaut de notre système éducatif est son attitude paternaliste. Par paternalisme, j’entends l’attitude qui consiste à imposer une autorité sur une personne pour son bien. C’est exactement le discours que tient aujourd’hui l’école publique, ce commandement sacro-saint « travaille, sinon tu seras au chômage » qu’on a tous déjà entendu. On se donne le droit d’imposer un cadre strict et stressant aux élèves car on pense que l’on sait mieux qu’eux ce qu’il faut pour leur bien et pour leur avenir. C’est ce que je pensais aussi avant… Mais est-ce avec ce genre d’attitude que nous les aiderons à grandir et à devenir des citoyens ?
Pour commencer, n’avez-vous jamais songé au fait que nous infantilisions les enfants ? Notre école publique encourage pas (ou peu) à prendre nos propres responsabilités, à penser par nous-mêmes, à être curieux, à oser mettre en place des projets… Bref : à grandir. Aujourd’hui; après avoir donné des cours particuliers à des élèves du public comme du privé, je peux vous affirmer que ce sont les élèves Montessori les plus autonomes. Est-ce surprenant que les rendre responsables de leur emploi du temps et de leur rythme de travail les fasse grandir plus vite ? Contrairement à ce que beaucoup penseraient : aucun élève ne passe son temps à jouer dehors. Chacun va au travail à son rythme mais AUCUN ne reste sans rien faire. Quand on observe que les élèves restent parfois même sur leur temps de pause pour finir un travail qu’ils ont commencé je pense que l’on peut convenir que la marge de liberté qu’on leur a laissée n’a pas fait d’eux des enfants sauvages.
De plus, ces élèves organisent eux-mêmes leurs sorties scolaires (avec l’aval des éducateurs). Cela peut paraître surprenant que des enfants de 11 à 14 ans s’occupent de prévenir les parents, de faire une liste du matériel nécessaire, de joindre l’organisme d’accueil, de collecter l’argent… mais ils apprennent ainsi à prendre en charge des projets et à assumer des responsabilités. Ces exemples montrent bien qu’on ne devrait pas sous-estimer le sérieux et la maturité dont peut faire preuve un élève.
J’admets qu’ils passent moins de temps derrière les bureaux que les élèves du système national et consacrent moins de temps à faire leurs devoirs. Cela en fait-il de mauvais élèves, quand les élèves finlandais (cinquième selon le classement PISA 2016) disent eux-mêmes travailler moins d’un quart d’heure chaque soir ? Pour le rappel, les élèves français dans notre système actuel sont à la vingt-sixième place selon ce même classement.
Ceux qui pensent que sans professeurs sur le dos l’enfant n’apprendra jamais à lire, à compter ou à écrire se trompent. Les enfants ont un désir inné d’appréhender le monde autour d’eux, et tous voudront un jour pouvoir lire le journal de leurs parents, le texte de leurs cartes Pokémon, compter combien de billes ils ont, écrire tous seuls sur le tableau leur nom en dessous de l’activité à laquelle ils veulent s’inscrire… et leur curiosité ne s’arrêtera pas là ! Certains vont s’intéresser aux planètes, aux livres d’histoire, au bricolage, à la langue des signes… Chacun va acquérir par lui-même un socle commun, à son rythme, socle qui sera enrichi par le(s) domaine(s) intellectuel(s) ou manuel(s) qui l’auront intéressé. Ce que ces enfants apprennent par eux-mêmes, ils le garderont davantage en mémoire que si la source de ces connaissances était extérieure et que leur cours leur était tombé de l’éducation nationale directement sur leur cahier 21×29,7cm à grands carreaux. Qui se rappelle du mouvement de convection, du numéro atomique ou de la synecdoque en français ? Qui n’a jamais été largué en cours ? Ou qui n’a jamais trouvé les autres lents ? Et surtout qui peut affirmer n’avoir jamais perdu son temps en cours alors que l’on aurait été plus efficace si l’on avait travaillé seul.e ?
Et si un jour ces élèves voulaient rejoindre un lycée public sans s’être jamais vraiment intéressés à l’anglais ou aux maths ? La réponse est simple : quand ils ont soudainement besoin de connaissances dans un domaine, alors ils font ce qu’on a tous fait un jour : ils se donnent à fond. Un élève de seconde capable d’apprendre de lui-même et de faire preuve d’autonomie et de curiosité sera en mesure de rattraper (voire de dépasser) ses camarades, sans être nullement désavantagé pour le bac. De plus, dans un monde où la mobilité professionnelle est devenue la norme, l’apprentissage par soi-même et la faculté d’adaptation n’ont jamais été aussi précieuses.
D’autres me diront encore : si les enfants sont passionnés de littérature, très bien, mais si leur passion est le foot ou les jeux-vidéo, ils ne seront pas avancés à la fin de leurs études. C’est en partie vrai : il existe une culture dominante et une culture dominée. Tous les savoirs et toutes les compétences ne se valent pas socialement. Cependant il ne faut pas dénigrer le potentiel de ces passionnés de foot ou de jeux-vidéos : ils peuvent devenir de bons voire d’excellents élèves. Pendant la première semaine de mon stage, j’ai aidé un élève qui avait décidé qu’il rédigerait un dossier sur la Coupe du Monde… dossier d’une trentaine de pages sur lequel je l’ai vu travailler pendant des heures en prenant peu de pauses. A travers le foot, il exerçait ses capacités de rédaction, de recherche d’information et son aisance orale lorsqu’il a présenté son travail à la classe.
Je sais qu’il est souvent difficile de faire confiance aux enfants, parce qu’on veut leur réussite donc on veut leur imposer la même rigueur qu’on a subie, mais à mon avis, les élèves des institutions Montessori sont sans doute les mieux adaptés au monde contemporain. Plutôt que l’obéissance, ce sont l’audace et la débrouillardise qui sont mises en valeur dans ces établissements. Nous ne sommes plus des générations destinées à des travaux de bureaux ou à l’usine, beaucoup d’entre nous ont l’ambition de créer leur propre entreprise, de s’engager dans des associations, d’être des entrepreneurs et des leaders. Les élèves Montessori sont libres de proposer des projets et de les mettre en application, et il y a fort à parier qu’ils soient ceteris paribus bien plus capable de monter des projets et d’innover que leurs camarades.
De plus, les écoles Montessori encouragent bien plus la prise de parole devant la classe : des conseils sont organisés pour discuter des règles, les litiges se règlent lors de discussions, les exposés sont très fréquents… Dès 8 ans, les élèves ont une aisance à l’orale une articulation, un vocabulaire qui m’ont surpris à plusieurs reprises. Enfin il n’est pas anodin de mentionner que tous les élèves (et les professeurs aussi d’ailleurs) avec qui j’ai passé des entretiens m’ont confié qu’ils se sentaient mieux ici que dans leur précédent collège. Les raisons ? Ici ils se sentent moins jugés et plus libres…
Cependant, les écoles Montessori sont aujourd’hui limitées dans leur ambition : tant que ces écoles ne seront pas subventionnées par l’Etat, elles devront rester privées et seront inaccessibles à certaines catégories sociales défavorisées. Le gouvernement devrait sérieusement considérer les méthodes de ces écoles et s’en inspirer pour se moderniser, mais au lieu de cela, il a répondu au geste du lycéen qui braquait sa professeure par l’autorisation de l’intervention des forces de l’ordre à l’intérieur de l’école.
Pas besoin d’être Akinator pour prédire que les tensions ne vont pas s’apaiser de sitôt…
Gabriel Allegret