Le Mag’ : Rentrée littéraire 2018 – S’il ne devait en rester que trois…
Chaque année, c’est la même chose. Ce déballage de couvertures crème et écarlate, de bandeaux tapageurs et outranciers, d’ouvrages bardés de noms qui se veulent mémorables, de libraires les yeux rivés sur les chiffres de vente et de lecteurs déboussolés par l’offre pléthorique de titres tous plus alléchants les uns que les autres.
La rentrée littéraire.
C’est un peu stérile, sans doute, tous ces prix et ces romans dont beaucoup ne se vendront qu’à quelques centaines d’exemplaires, ces grands noms qui se bousculent et ces jurys qui se réunissent dans des salles coupées du monde.
Et pourtant. C’est aussi et surtout assez magique.
Chaque année, c’est un enthousiasme renouvelé pour la magie des mots, pour le dynamisme de toute une littérature, pour la diversité, une réaffirmation du fait qu’on a besoin d’histoires réelles ou inventées pour s’interroger, rêver le monde, reconstruire la société.
Et au milieu de tout ça, quelques romans se distinguent. Récits intimistes, épopées à travers le monde ou bien fresques historiques, peu importe, ces grands textes ne se restreignent à aucun genre. Alors, pour celles et ceux qui veulent aller droit au but et savourer le meilleur de la littérature française de cet automne, voici un petit florilège partial et partiel :Dix-sept ans d’Eric Fottorino : c’est, comme dans beaucoup de romans, une histoire de secret de famille. Le narrateur redécouvre la vie de sa mère, et à travers l’histoire tout juste révélée de cette femme qui l’a toujours évité, il va pouvoir enfin se confronter à ses propres failles.
(Attendez, je vous vois déjà repartir en fuyant. Restez, promis, vous allez aimer.)
C’est donc l’histoire d’un secret de famille. Certes. Mais c’est surtout, comme si peu de romans savent le faire, une plongée poignante dans les pensées d’un narrateur perdu, en proie au regret de ce qui n’a jamais été et n’a plus aucune chance d’être, une quête absurde et perdue d’avance pour tenter de dénicher quelque part les fantômes du passé et les faire parler. Le narrateur-écrivain erre. Il médite. Il comprend, et ce n’est peut-être pas une vérité absolue, mais ça sonne vrai à ses yeux, à son cœur, et ça le fait avancer. C’est un texte splendide, empreint de nostalgie, d’un amour déchirant et malmené par les non-dits, d’une quête de soi entreprise bien trop tard mais qui n’en est pas moins réparatrice. Bien loin de tout essai prétentieux ou de toute réflexion qui se prend au sérieux, Dix-sept ans est un témoignage brut, puissant, vrai, qui frappe en plein cœur avec sa plume simple, évidente, et même aux accents de poésie. (Et promis, c’est tout sauf snob et inaccessible. Au contraire.)Leurs Enfants après eux de Nicolas Mathieu : années 90. Un moment qui restera à jamais inaccessible pour certains, des souvenirs de jeunesse pour d’autres. Pour Nicolas Mathieu, ce sera le cadre de son très beau roman choral, divisé en quatre parties, chacune dédiée à une période de la vie de ses personnages. A deux années d’intervalle à chaque reprise, il saisit leurs aspirations, leurs doutes, leurs errances, les confronte à leurs propres contradictions et les dépeint dans le contexte dans lequel ils évoluent. Le tout est terriblement touchant, envoûtant même – ce qui est tout de même remarquable dans la mesure où toute l’action se déroule dans un petit village perdu dans la campagne –, et se dévore avec un intérêt non dissimulé. Quel que soit son âge, sa sensibilité, son passé, le lecteur sera touché par l’envie de ces personnages, leurs désarrois, et la façon si pertinente avec laquelle l’auteur transcrit leur soif d’excès et de grandeur. On dévore ces quelques centaines de pages avec une facilité folle, un attachement croissant pour ces figures imparfaites et un peu écorchées par la vie, et surtout une fascination pour l’atmosphère très particulière que Mathieu parvient à instiller à son texte, à la fois douce-amère, dynamique, nostalgique et pleine d’espoir.La Vraie vie d’Adeline Dieudonné : curieuse histoire que celle de ce drôle de petit livre coloré, premier roman d’une autrice belge, dont le nom a circulé de bouche à oreille pour enfin devenir un incroyable succès en librairies. Critiques, lecteurs assidus comme bouquineurs du dimanche, tout le monde s’accorde sur ce fait : Adeline Dieudonné sait ce qu’elle fait. Avec ce roman intrépide, insolent et exaltant, elle donne voix à une jeune héroïne marquante et volontaire, qui parvient à force de détermination et d’imagination à réinventer une vie lugubre à plus d’un égard. La plume est vive, enlevée, l’atmosphère faussement légère, l’équilibre parfait entre ironie, innocence et gravité. Difficile de ne pas se laisser entraîner par la volonté féroce du petit prodige qui mène l’aventure, et surtout, de ne pas refermer le roman un peu chamboulé, perdu et convaincu. Le ton est excessif, épique et tendre à la fois, virevoltant entre des scènes d’une gravité terrible et d’autres qui relèvent de la plus pétillante des comédies. Le tout, loin d’être déséquilibré, constitue au contraire un récit solide, porté par un personnage principal si bien incarné qu’on n’a même pas besoin de connaître son prénom pour s’attacher à elle. Alors n’hésitez pas un seul instant, et jetez-vous sur cet appel vibrant et exaltant à se réapproprier le cours de sa propre existence. Vous serez conquis.e.s, promis.
Sur ce, très belles lectures à vous !
Capucine Delattre