Religion, Religions

Le Moyen-Orient, terre mythique et mystérieuse, berceau des religions monothéistes, est rongé par ses conflits qui le sévissent. Ces conflits apocalyptiques se voilent de mystères qu’on attribue au religieux à tort ou à raison.

Le Club Conf de Sciences-Po MOM a invité Georges Corm pour essayer d’éclaircir la situation. C’est la croix et la bannière dites-vous ?! A vous d’en juger…

Les Vendredis de Sciences Po est un cycle de conférences organisé par le Club Conf de Sciences Po Moyen-Orient Méditerranée. Les étudiants du campus de Menton ont accueilli Georges Corm, le premier intervenant de la rentrée. La conférence ouverte au public a abordé le thème du recours au religieux dans les conflits géopolitiques au Moyen-Orient. Après une demi-heure d´attente, l´intervenant entre sous l´applaudissement des invités venus nombreux.

La région est déchirée par des conflits dont les racines puisent dans d´autres conflits plus globaux. Le conflit israélo-arabe tel que le pose Zbigniew Brzezinski, par exemple, est intrinsèquement un produit de la seconde Guerre Mondiale. Ces conflits ne peuvent être abordés et encore moins résolus si les termes du sujet sont mal posés. Une série d´idées reçues, parfois sans fondement, embrouillent la situation. De la hiérarchisation des peuples, civilisations et valeurs au mode de pensée manichéen (« éxotisation de l´autre », la croisade du bien contre le mal), l´intervenant insiste sur l´Anthropologie culturelle comme clé du conflit. L´enjeu religieux a certes une symbolique, mais il ne peut expliquer les conflits. Il convient alors de sortir de cette vision binaire.

Le droit international ne peut être que laïque. Le religieux avait entamé sa sortie du politique en Europe à la suite des guerres de religion, en se concentrant sur le progrès matériel et humain. Cependant, l´abus du religieux n´avait pas totalement disparu. La colonisation française, à titre d´exemple, s´est faite sous l´étendard du christianisme. Dans le monde arabe, suite à la chute de l´empire ottoman, la région a subi une sorte de balkanisation coloniale brisant le rêve d´une grande entité politique arabe. L´Arabie saoudite wahhabiste a émergé, le Pakistan et Israël ont vu le jour. Le lien religieux ne peut remplacer le lien de la langue et vis versa. On note aussi l´emploi du religieux pour lutter contre le marxisme, ou encore la création en 1969 de l´organisation de la conférence islamique pour faire concurrence aux non alignés, et à la ligue arabe. Il convient de déconstruire les discours de clichés sur le Moyen-Orient. La frontière imaginaire entre l´Orient et l´Occident peut être plus dangereuse que la frontière géographique. Elle est à but de puissance et de géopolitique. Une guerre qualifiée de froide et binaire vise à anéantir l´ennemi, voire arrêter son existence. La séparation de l´Orient et l´Occident a eu lieu au sein même du christianisme entre l´église d´Orient (Constantinople) et d´Occident (Rome), l´une reposant sur des valeurs grecque et l´autre sur des valeurs romaines. L´Islam a très peu été une ligne de fracture malgré les croisades : échanges économiques et culturels, culture arabo-syriaque (empire abbasside), ou encore l´Espagne musulmane. La thèse de Huntington jouant sur cet imaginaire peut facilement être rejetée. L´islam n´est point insécable étant donné la différence culturelle et idéologique entre musulmans.

Sur ce principe de choc des civilisations (annuaire des cultures) repose le choc des mémoires et des malentendus. Les mémoires historiques sont différentes puisqu´elles sont la projection des peurs passées et des douleurs. On ne peut demander à l´Orient d´avoir les mêmes sensibilités que l´Occident. Le monde arabe n´a pas vécu les traumatismes de la Shoah tant bien même que l´imaginaire collectif arabe est habité par des événements tels que les croisades, l´expulsion d´Espagne, la colonisation ou encore la création d´Israël. Les valeurs exaspèrent d´autant plus ces mémoires.

Le second problème qui se pose est l´existence de deux dynamiques historiques lourdes entre Orient et Occident. La première est une dynamique d´échec pour certains pays arabes et musulmans. L´un des plus grands échecs est : l´effritement de la ligue arabe, qui a entre autres participé au regain du fait religieux. La seconde dynamique concerne le type de propos désignant le monde arabe et musulman. En effet, la structure du discours paraît épouser le discours sur le danger communiste (ennemi global, semant la subversion). Ces tensions donnent lieu à guerre idéologique, une guerre de valeurs.

L´intervenant insiste sur le fait qu´un conflit non résolu est un conflit dont les termes sont mal posés. Il ne convient pas de « conjuguer le religieux à tous les temps » et de mêler le théologique au profane. Le droit international a sauvé Bosniaques, Kosovars, Sud-africains, mais qu´en est-il des Palestiniens et des Israéliens. Peut-on espérer un avenir meilleur avec un droit à plusieurs vitesses ?

D´un point de vue régional, tous les pays arabes se sont dessaisis de leur rôle vis-à-vis du conflit israélo-arabe. Par ailleurs, on note un flagrant vide de puissance et d´idéologies que les régimes dictatoriaux se disputent. D´ailleurs, depuis 1798, les armées étrangères investissent le territoire à leur guise. L´intervenant a certes relevé des problématiques essentielles à la compréhension des conflits moyen-orientaux. Cependant, suffit-il de poser un point de vue manichéen illustré d´exemples empreint d´une certaine complaisance pour illustrer les relations conflictuelles dans le monde arabe. Les origines de ces conflits remontent bien plus loin dans la mesure où leurs causes sont une succession d´échecs nourris par des conflits d´intérêts économiques et idéologiques. Le religieux ne peut expliquer à lui seul la dégradation de la situation mais son rôle est non négligeable dans la mesure où il est devenu le premier élément identitaire et que la sphère privée intègre de plus en plus la sphère publique. Les raisons de cette confusion puisent dans des structures politiques indigestes, combinées à un mal-être sociétal vertigineux, lui même associé à une extension de conflits intestinaux ayant profondément bouleversé les idéologues et réformateurs, de la Fitna à la Nahda.

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