Béate Klarsfeld, un témoignage entre courage et détermination

Une rencontre sur un quai de métro. 11 mai 1960. Deux cœurs qui se rencontrent. Des centaines de nazis traqués. 

C’est l’histoire de Béate Klarsfeld, aussi appelée « la chasseuse de nazis ». Mais qui est-elle réellement ? C’est ce qu’elle a tenté d’expliquer lors d’une leçon inaugurale présentée aux étudiantes et étudiants de Sciences Po Paris ce mercredi 24 août 2022. Il n’y a plus un seul siège de disponible dans l’amphithéâtre Émile Boutmy, des centaines de cœurs en transe, prêts à écouter le témoignage de cette héroïne retransmis à travers toute la France. Après une longue introduction du directeur de Sciences Po Mathias VICHERAT, puis du directeur de recherche au CNRS et au CERI Jacques SEMELIN, nous retraçons avec Béate Klarsfeld son histoire.  

Une jeunesse à Berlin au temps de la seconde guerre mondiale. 

Béate Klarsfeld, née en 1939, grandit dans une Allemagne divisée. Née sous les bombardements et la peur, elle évolue dans les ruines de la première guerre mais surtout dans une capitale déchirée et séparée en deux. Cette jeune allemande, née Béate Auguste Künzel, n’acceptera jamais ce partage entre Berlin-Est : partie dirigée par les Allemands ; et Berlin-Ouest : dirigée par les Américains. Béate Klarsfeld se construira avec ce traumatisme de la violence inouïe et de la guerre. 

« Vous êtes tous issus d’une génération privilégiée, qui n’a connu ni privation de liberté, ni barrières pour voyager, ni service militaire, ni guerre » disait-elle aux étudiants et étudiantes qui l’écoutaient avec attention et admiration. 

Béate Klarsfeld a ainsi grandi dans une société à l’inverse de la nôtre et, selon ses mots, était victime de « privations de liberté, barrières pour voyager, service militaire, guerre ». Il s’agit ici d’un constat frappant d’une enfance difficile au milieu des bombardements constants et de l’omniprésence de la mort. 

Direction Paris à la rencontre de l’homme de sa vie.

À 16 ans, elle décide de changer de vie. Béate Klarsfeld se rend à Paris pour être jeune fille au pair. Le 11 mai 1960, sur un quai de métro, sa vie sera bouleversée : celui qui deviendra son mari, Serge Klarsfeld, est assis sur ce quai, direction Sciences Po Paris. D’après les mots de Béate Klarsfeld, cette rencontre relève du destin, de la magie : c’est précisément le 11 mai 1960 que le gouvernement israélien capture Adolf Eichmann. Symbole de son combat, cette capture est un signe. Ensemble, les époux Klarsfeld pourchasseront les nazis qui ont échappé au procès de Nuremberg, procès qui visait à juger les criminels de guerre nazis. 

Son combat se déploie sous plusieurs formes. Béate Klarsfeld nous explique dans un premier temps sa traque des nazis, qui lui a valu une inscription dans l’Histoire et a permis le jugement de certains criminels nazis s’étant enfuis en Amérique latine. Alors que son époque promeut plutôt l’oubli de la guerre, des crimes nazis, et manifeste une volonté de tourner la page ; Béate Klarsfeld ne baisse pas les bras et émerge en battante. Elle s’oppose aux lois d’amnistie qui régissaient le monde entier ; et consacre sa vie à faire ce que la justice internationale n’a pas su faire : traquer les nazis et les mener de force devant la justice. 

Lors d’une réunion du parti conservateur et libéral allemand, elle gifle le chancelier d’Allemagne fédérale Kurt Georg Kiesinger en le qualifiant de nazi. La force, le courage et le combat de Béate Klarsfeld ne s’arrêtent pas là : elle a permis le jugement de Kurt Lischka (ancien membre du parti nazi, très impliqué dans la solution finale et directement responsable de la rafle du Vel d’hiv). Elle avait prévu de le kidnapper à Cologne (Allemagne) afin de l’emmener de force vers la France. Kurt Lischka sera condamné à 10 ans de prison (dont il n’en exécutera que cinq). Les Klarsfeld seront sera condamnés à un mois de prison pour tentative d’enlèvement. 

La liste du couple de « traqueurs de nazis » s’allonge petit à petit : Herbert Hagen, chargé de la politique d’exécution des otages, condamné à douze ans de prison (dont il n’en effectuera que cinq). Enfin, Klaus Barbie : « le Boucher de Lyon » , connu pour avoir torturé et exécuté de nombreux résistants français, dont Jean Moulin ; est capturé par Béate Klarsfeld en Bolivie en 1983. Après quarante années de vie tranquille en Amérique latine, il sera condamné à la prison perpétuité (peine qu’il effectue en France), pour « crime contre l’humanité. » 

En parallèle, Béate Klarsfeld voue sa vie à la politique en se présentant aux élections présidentielles allemandes de 2012, qui seront malheureusement une défaite pour elle.

La jeunesse : un espoir grandissant pour Béate Klarsfeld.

« Qui guidera et protégera cette planète si ce n’est votre génération d’étudiants, élevés dans un monde libre et prospère ? »

Exprimant une confiance aveugle en la jeunesse, elle parlera brièvement du climat et de l’état de la planète que seule la jeunesse pourrait améliorer. Suite à son témoignage, une longue série de questions/réponses entre Béate Klarsfeld et les étudiants de Sciences Po Paris a lieu : preuve d’un intérêt très fort que la jeunesse porte pour la mémoire. Un jeune étudiant de première année posera d’ailleurs la question, avec inquiétude, de la mémoire et de sa fragilité suite aux décès progressifs des principales victimes qui perpétuaient la mémoire de la Shoah. Madame Klarsfeld n’a pas hésité à conter sa confiance aveugle en la jeunesse pour écouter les victimes encore aujourd’hui et faire vivre leur souvenir à travers les siècles. 

La question du regret, de la peur, du courage est également souvent revenue parmi les interrogations des étudiants : Béate Klarsfeld n’a jamais regretté ses choix, n’a jamais regretté ce qu’elle a fait, mais n’a surtout jamais regretté ce qu’elle n’a pas fait : les nazis qu’elle n’a pas pu traquer. 

Aujourd’hui, Béate Klarsfeld est une icône de l’Histoire et une héroïne : elle lutte en continu pour la mémoire de la Shoah, mais également contre l’antisémitisme encore fortement présent au sein de nos sociétés. Pour sa lutte exemplaire et sa défense continuelle envers Israël, elle reçoit la nationalité israélienne en 2012 qui s’ajoute aux nationalités française et allemande.

Exemple de courage, de force, de détermination, de volonté, de justice, et d’un amour éternel partagé avec Serge Klarsfeld ; elle ne peut être qu’une héroïne sans cape.