Interview: Jean-Baptiste Nicolas, Directeur des études de Sciences Po, sur l’incubateur d’entreprises

Le lancement de l’incubateur d’entreprises le 22 janvier dernier par la direction de Sciences Po a provoqué de nombreux espoirs et intérêts… mais aussi beaucoup d’interrogations. LaPéniche enquête sur ce processus prometteur.

  • LaPéniche.net: Bonjour M. Nicolas. Pouvez-vous nous présenter en quelques mots l’incubateur d’entreprises de Sciences Po ?

Jean-Baptiste Nicolas: C’est en fait plus qu’un incubateur, c’est vraiment un parcours de création d’entreprises qui s’étale de la première année du premier cycle au diplôme et même au-delà. C’est d’abord une série de cours, sur le modèle d’un entonnoir : des cours de sensibilisation mènent à des cours de business plan puis enfin à des cours de coaching sur mesure, quasiment individuels, pour les porteurs de projets les plus solides et prometteurs. En fin de course un jury sélectionne les quelques lauréats qui auront accès à l’incubateur de Sciences Po. L’incubateur lui-même est une structure qui va fournir à des projets très soigneusement sélectionnés un accompagnement à la fois technique, soit une prestation de conseils très experte, un accompagnement logistique, c’est-à-dire des locaux, et un accompagnement financier, un fonds qui va prendre des tickets dans le capital des « jeunes pousses » qui le souhaiteront.

  • LaPéniche.net: L’incubateur d’entreprises s’adresse-t-il en priorité aux jeunes diplômés de Sciences Po ou bien aux étudiants qui poursuivent actuellement leur scolarité à Sciences Po, de premier cycle ou de master ?

Jean-Baptiste Nicolas: Nous voulons que ce dispositif soit le plus ouvert possible, aux élèves de tous les programmes. Nous n’avons pas créé de filière spéciale afin d’irriguer tous les masters, et que les élèves qui soient en scolarité ou diplômés puissent, à partir du moment où ils ont des idées ou un projet, bénéficier de toute l’aide qu’on pourra leur apporter.

  • LaPéniche.net: L’inscription administrative au cours de M. Hayat est cependant obligatoire pour les étudiants du master Finance et Stratégie…

Jean-Baptiste Nicolas: Ce cours est cette année un peu particulier, parce que nous devions déjà en programmer l’ouverture quand nous avons décidé de lancer l’incubateur ; devant l’importance de la demande adressée sur le thème de la création d’entreprises nous avons pris la décision d’ouvrir le cours à l’ensemble des élèves, ce qui explique cette situation un peu spéciale.

  • LaPéniche.net: Le modèle d’incubateur d’entreprise repris par Sciences Po est adopté par de nombreuses écoles de commerce et grandes écoles. S’agit-il d’une volonté de s’aligner sur le même modèle ?

Jean-Baptiste Nicolas: Les incubateurs ne sont pas le propre des écoles de commerce, ni des écoles ou des universités. Il en existe de toutes sortes, créés par des collectivités locales, des clusters qui regroupent des centres de recherche, des collectivités locales, différents pôles… associant diverses échelles et structures.

  • LaPéniche.net: L’incubateur a-t-il vocation à rester destiné uniquement aux étudiants de Sciences Po ?

Jean-Baptiste Nicolas: A ce stade c’est une structure qui est ouverte à nos élèves et à nos diplômés. Il est cependant certain que si nous voulons faire rayonner l’incubateur il va falloir que l’on monte des partenariats certainement avec d’autres établissements, d’autres écoles. Nous y réfléchissons avec Philippe et Serge Hayat et nous devrions avancer dans les mois qui viennent. C’est une structure très récente qui nécessite du temps ; depuis le 22 janvier nous avons créé une série de cours, identifié les porteurs de projet, recruté des chargés de TD, des tuteurs pour les porteurs de projets… l’équipe se met en place. Il nous reste à régler les questions de locaux et l’incubation qui débutera en septembre prochain. Nous allons également avancer sur les partenariats.

  • LaPéniche.net: En quoi consiste la première période dite de « sensibilisation » ?

Jean-Baptiste Nicolas: Elle est assez nouvelle. Le cours de vie de l’entreprise existait déjà en premier cycle mais il n’est pas centré sur la création d’entreprises en tant que telle. A partir de cette année nous avons demandé aux professeurs de ce cours de faire intervenir au moins une fois un créateur d’entreprises. Nous allons également organiser des événements pour le premier cycle, et nous avons donné à tous les élèves l’accès au cours de MM. Hayat. Nous organisons également des événements : un premier était réservé aux porteurs de projets déjà sélectionnés la semaine dernière ; nous avons eu la chance d’accueillir Véronique Morali, directrice générale de FIMALAC, et Orianne Garcia, fondateur de Caramail, pour parler de leur expérience. Ils ont d’ailleurs créé hier une nouvelle entreprise, Web TV. Nous avons d’autres invités en tête et espérons multiplier les rencontres entre les élèves et les professionnels pour stimuler leur esprit d’entreprise.

  • LaPéniche.net: Le cours de MM. Serge et Philippe Hayat est dit obligatoire afin d’intégrer l’étape du business plan et l’incubateur. Comment vérifier la présence des étudiants à ce cours en amphi ?

Jean-Baptiste Nicolas: Il n’y a pas d’inquiétude à avoir à ce sujet, nous sommes encore dans une période de transition. La question est de savoir qui pourra accéder au cours de business plan. Nous allons lancer un appel à projets en mai juin et sur la base des projets qui nous seront communiqués les frères Hayat vont sélectionner les plus murs et les plus avancés pour les faire bénéficier des cours de business plan.

  • LaPéniche.net : En quoi consiste cette deuxième étape dite de business plan ?

Jean-Baptiste Nicolas: C’est un cours dont l’accès est beaucoup plus restreint et où il y aura véritablement un suivi des élèves, dans un format conférence. Ce sont par ailleurs des travaux assez pratiques, soit la production de documents de références et il faut que les enseignants puissent suivre individuellement les élèves. Il est important pour nous aussi qu’il y ait ce contact très rapproché.

  • LaPéniche.net: Une sélection est prévue à l’issue de cette deuxième étape…connaissons-vous déjà la composition du jury ?

Jean-Baptiste Nicolas: Oui, un jury sélectionne les meilleurs projets qui vont être incubés, pour la première vague à partir de septembre, et puis il y aura une seconde sélection à la fin de l’année prochaine. Pour juillet nous commençons à avoir des idées sur le jury, mais nous attendons la confirmation des intéressés.

  • LaPéniche.net: Une fois la sélection achevée, comment se passe la période dite « dans l’incubateur » ?

Jean-Baptiste Nicolas: C’est très simple ; nous installons les porteurs de projets dans les locaux, nous les suivons de manière assez proche en essayant de les aider au maximum dans tous les aspects de leur activité même les plus concrets. Mais à partir du moment où ils sont dans l’incubateur ils s’en remettent surtout à eux-mêmes ; nous sommes là pour les aider et les accompagner au maximum mais nous ne montons pas l’entreprise à leur place. C’est avant tout leur action qui en fera le succès.

  • LaPéniche.net: Le projet d’incubateur a-t-il rencontré des réactions positives et l’adhésion de financiers institutionnels, entreprises ou particuliers ?

Jean-Baptiste Nicolas: Nous recevons beaucoup de manifestations d’intérêt, à la fois de la part d’anciens, de professionnels, d’institutions et d’entreprise mais pas seulement. D’autres écoles manifestent aussi leur intérêt. L’incubateur n’est pas du tout passé inaperçu. Il nous appartient de savoir capitaliser sur ces intérêts convergents pour vraiment bâtir des partenariats, savoir utiliser toutes les bonnes volontés et tous les talents qui se présentent à nous – ce qui est un travail de longue haleine. Nous sommes rentrés dans un processus assez lourd ; notre objectif est vraiment d’agir sur les mentalités, les états d’esprits des étudiants et diplômés de Sciences Po. Nous voulons les accompagner dans une démarche de prise de risques qui n’est pas nécessairement une démarche que la majorité de nos diplômés ont à leur entrée dans le marché du travail. L’aventure de la création d’entreprises existe déjà, et ce sont de très beaux succès, mais en quantité symbolique. J’espère que les prochains seront plus nombreux.

  • LaPéniche.net: M. Descoing parlait d’une enveloppe de 200 000 euros afin d’investir dans les meilleurs projets. Avez-vous des quotas afin d’en limiter le nombre ?

Jean-Baptiste Nicolas: Nous n’avons pas de quotas, c’est quelque chose que nous souhaitons absolument éviter. Nous voulons prendre tous les bons projets, solides et prometteurs. Nous ne voudrions en aucun cas nous priver de certaines opportunités, au contraire. La seule limite va être notre capacité de suivi et d’investissement. Nous allons faire une sélection afin de pouvoir concentrer nos moyens sur les projets dont nous pensons qu’il existe un potentiel derrière et qui valent la peine d’investir de l’argent et du temps.

  • LaPéniche.net: Pouvez-vous communiquer le nom d’entreprises ou de futurs partenaires prêts à investir dans ce processus ?

Jean-Baptiste Nicolas: A ce stade c’est un peu tôt. J’ai bon espoir que nous puissions communiquer sur ce sujet à la fin de l’année universitaire ou au début de l’année prochaine.

  • LaPéniche.net: M. Descoing évoquait à ce sujet – notamment au Forum des entrepreneurs- une collaboration future envisagée avec des écoles d’ingénieurs…

Jean-Baptiste Nicolas: Il y a plusieurs écoles d’ingénieurs qui ont déjà créé des incubateurs, et nous considérons que la complémentarité avec celles-ci est très forte : les ingénieurs ont la maitrise des technologies, et les Sciences Po ont une compréhension et une vision et des usages et usagers de cette technologie qui est particulièrement adaptée. Nous avons envie de capitaliser là-dessus, notamment dans le domaine de l’internet. C’est donc un partenaire naturel, même s’il est de même trop tôt à ce stade pour communiquer à ce propos.

Merci à Jean-Baptiste Nicolas pour avoir répondu aux questions de LaPéniche.

2 Comments

  • Barny

    Oui j’suis d’accord, le mot leur brûle les lèvres! C’est une pudeur un peu ridicule, à la façon ado "Naaaan, j’veux pas le dire".
    Me dites pas qu’ils ont peur que l’UNEF, conformément à ses tracts, se mette à hurler à l’assassin? De toute façon, c’est inévitablement le cas -et quand c’est pas eux, c’est un autre syndicat.

  • C.

    Qu’est-ce que cette phobie des dirigeants de sciences po à reconnaître le fait que Pipo devient aussi une business school ??

    Je comprends vraiment pas, moi je trouve ça très bien au contraire. Mais c’est risible, franchement "ah non non, nous lançons un incubateur d’entreprise mais ça n’a RIEN A VOIR avec les incubateurs des bs! RIEN!"

    Enfin bon, je trouve que c’est une très bonne initiative, cela dit.