« Il faut réformer l’ordre international », la leçon géopolitique de Dominique de Villepin aux étudiants de Sciences Po

Le lundi 24 octobre 2022 se tenait dans l’amphithéâtre Émile Boutmy, la première conférence organisée cette année par le Parlement des étudiants avec comme invité, l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin.

M. de Villepin et Marie Mauron, présidente du Parlement des Étudiants

Il suffit parfois d’un seul discours, dans des circonstances historiques particulières, pour entrer dans l’Histoire. Celui prononcé par Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères, devant le Conseil de Sécurité de l’ONU le 14 février 2003, est encore aujourd’hui considéré comme l’un des plus mémorables de la politique étrangère française, faisant passer son orateur à la postérité. Dominique de Villepin, diplomate de carrière, Secrétaire général de la présidence, Ministre au Quai d’Orsay puis à l’hôtel de Beauvau avant de devenir Premier ministre de Jacques Chirac, a incarné un véritable tournant diplomatique pour la France au début des années 2000, marqué par ce fameux « non » à la guerre en Irak. 

À l’heure d’une grande période d’incertitude mondiale, l’ancien homme d’état a accepté de délivrer aux étudiants de Sciences Po une véritable leçon de géopolitique, mais aussi historique et philosophique, avant de répondre aux questions du Parlement des étudiants (organisateur de l’évènement) et du public. 

Le « piège » de la guerre en Ukraine

Pour l’ancien Premier ministre, la définition de bornes chronologiques d’un siècle ou d’une époque indique une certaine perception de cette-dernière, la défense d’une trame historique particulière. À une ère où les évènements se bousculent, nous sommes déjà tentés d’y trouver un fil conducteur, qui nous permettrait de justifier le déroulement de l’histoire, avec un début et une fin. Pour Dominique de Villepin, ce phénomène s’observe avec la guerre russo-ukrainienne. L’ancien diplomate lui-même la perçoit comme le résultant d’une accumulation de rivalités historiques et de puissances, entre des états, des systèmes politiques, des blocs, mais également « l’illustration d’une situation sans précédent ». 

C’est pour cela que la guerre en Ukraine, à la fois « accélérateur et masque », peut être un piège pour notre pensée et notre analyse selon l’ancien ministre des Affaires étrangères. Elle marque certes un point de rupture,  mais cela peut nous masquer une certaine continuité historique. Il convient ainsi de garder une certaine prudence dans notre manière de l’étudier. 

De plus, il est important pour M. De Villepin de ne pas occulter les multiples dimensions de ce conflit : militaire mais aussi économique et idéologique, afin d’en tirer la perspective la plus globale et riche possible.

Dominique de Villepin déclare ainsi qu’il est nécessaire de comprendre ces différentes perceptions du monde, ces « différentes vérités », pour comprendre d’où nous venons et avoir pleine conscience des chantiers restant à mener, dans le but de finalement « réformer  l’ordre international » poursuit-il.

Des clés de résolution : entre intégration européenne et ouverture outre-Atlantique

Mais quels leviers employer pour parvenir à un tel dessein ? L’ancien Premier ministre apporte des pistes de réflexion. 

Pour M. De Villepin, l’Union européenne peut être une solution, bien qu’il souligne « un risque de dérive en appendice des Etats-Unis », pouvant entraîner une « perte de l’héritage culturel européen ».  À ce sujet, l’ancien ministre des Affaires étrangères déplore le basculement complet de la France dans le camp occidental et son rapprochement avec les Etats-Unis, avec notamment la réintégration dans le commandement intégré de l’OTAN en 2009, « une erreur diplomatique majeure » pour Dominique de Villepin. 

Par ailleurs, M. De Villepin estime nécessaire de s’interroger sur la représentation des nouvelles grandes puissances, à l’instar du Japon, du Brésil ou de l’Inde, et qui n’ont pourtant pas de siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU, en dépit des grandes populations qu’ils représentent. L’ancien ministre des Affaires étrangères juge cette situation « profondément inégalitaire », et affirme que la réforme de cet ordre est urgente.

« Retrouver le goût du monde »

Au cours des réponses aux questions qui suivirent cette conférence, Dominique de Villepin se montre critique de l’état d’esprit diplomatique français de ces dernières années. Il regrette un « manque d’ambition de la France […] et de connaissance sur le monde ». L’ancien Premier ministre affirme que depuis maintenant longtemps la diplomatie française n’a pas rencontré de réels succès à l’international,  faisant écho notamment à certains de ses revers, à l’instar de la crise des sous-marins australiens de septembre 2021.  M. De Villepin affirme ainsi que la diplomatie française doit pouvoir faire respecter sa voix et remporter des succès d’estime pour retrouver un réel prestige et poids international, concluant qu’une « bonne diplomatie, c’est une diplomatie qui marque des points ».

Devant une perte d’influence et d’exemplarité de la posture française, l’ancien homme d’État préconise la reprise de de contact avec les pays émergeants, et déplore les interventions militaires françaises des années 2010, défendant que « le chaos n’est pas forcément une solution et surtout pas une réponse ». De manière générale, l’ancien Premier ministre regrette la rupture avec un positionnement géopolitique realpolitik aux accents gaullistes qu’il considère « incompris » par les prédécesseurs de Jacques Chirac. 

Dominique de Villepin déclare nécessaire que la diplomatie française retrouve « le goût du monde ». La diplomatie nous renvoie à la vie des autres, et la communication avec ces derniers nous rend plus humain, à « une ère de dématérialisation d’un monde qui perd sa chair. ». « Il faut reconnecter la politique au réel » conclut-il.

Face aux étudiants assis sur les bancs du légendaire amphithéâtre, Dominique De Villepin, ancien étudiant de Sciences Po Paris au sein de la section « Service Public » de 1975, souligne enfin  l’immense privilège d’étudier au sein de l’Institut de Saint-Guillaume, et la grande responsabilité qui en découle, incombant désormais à de nombreux futurs administrateurs de l’Etat, et peut-être diplomates.

Crédit images : Siméon Brand