Edouard Philippe, entre les lignes
C’est un invité quelque peu surprenant qui occupait l’estrade de l’amphithéâtre Boutmy ce mercredi 30 août. Edouard Philippe, chef du gouvernement, prononçait la leçon inaugurale des élèves de première année. La Péniche revient sur cette leçon à travers les témoignages de ces derniers.
Un choix « risqué et audacieux, à l’image de Sciences Po »
C’est un homme élancé qui s’avance au sein de l’amphithéâtre. Son allure est élégante et assurée. Les nouveaux étudiants, fraichement bacheliers, découvrent un homme à l’air rieur, parfois grave, toujours ironique. Dans son dernier ouvrage Des Hommes qui lisent, le Premier Ministre incitait d’ailleurs ses lecteurs à lire “hors de leur zone de confort”. En dehors des cadres établis, le mot est dans l’air du temps. C’est le fil conducteur du message qu’il est venu délivrer devant les élèves de première année. Il égrène les anecdotes sur ses “années Sciences-Po”, rappelle qu’il a pris connaissance de son admission grâce au Minitel. Oui, vous savez ce Minitel qu’on brandit sans cesse pour souligner le conflit de générations. La touche d’humour est appréciée. Il aime d’ailleurs à rappeler qu’il n’a pas toujours été engagé à droite, que son engagement politique est le fruit d’une réflexion sans cesse en mouvement. Au risque d’enchaîner les paradoxes et les contradictions.
À la sortie de l’amphi, les commentaires s’échangent avec passion sur la prestation du Premier Ministre, sur le choix même d’une telle personnalité pour la première leçon de l’année. Les opinions, tout en contraste, dessinent le portrait d’un homme pressé. Pour Hynde, le choix du premier ministre est “risqué et audacieux à l’image de Sciences Po”. Elle apprécie cependant “le lien qu’il a tissé entre nous et les alumnis, la façon dont il nous considérait comme les nouveaux d’une de ses familles”. C’est sans doute toute la difficulté de la leçon : réussir à captiver l’auditoire tout en s’extrayant d’un positionnement politique affirmé. Trouver un équilibre entre l’actualité politique la plus immédiate et le parcours intellectuel, les expériences vécues avant cette accélération vertigineuse du temps politique qui a vu les partis traditionnels éclater. Équation délicate, surtout dans une école de l’engagement comme celle de la rue Saint-Guillaume.
Entre réflexion et récitation
La familiarité, la décontraction apparentes ne parviennent pas néanmoins à occulter l’aspect solennel du personnage. La désacralisation si décriée ne semble pas affecter l’ensemble de la classe politique. Edouard Philippe le sait, et il en joue. Ainsi, comme le souligne Apolline dans un mélange d’admiration et de circonspection, “c’est le premier ministre et ce qu’il représente plus que Edouard Philippe lui-même qu’on apprécie”. Dans le même esprit, Agathe ajoute qu’une leçon inaugurale donnée par l’un des piliers de l’Etat a un côté “responsabilisant”. On mesure ici la portée, l’efficacité peut-être, d’un discours institutionnel sur un jeune auditoire.
Les critiques se font plus incisives quant au format de la leçon elle-même. Trop brouillon pour certains, peu structuré pour d’autres. On regrette d’ailleurs l’absence de prise de risque de la part du Premier ministre durant son discours. Trop conventionnel, en somme. “Les conseils de lecture étaient intéressants mais j’ai surtout préféré la partie réflexion” ajoute Agathe, surprise du format retenu par l’ancien maire du Havre. Une remarque qui reviendra de façon lancinante, comme une façon de dire que la confrontation des idées vaut finalement mieux qu’une récitation classique d’une liste d‘ouvrages. Le discours du Premier ministre se distingue en effet par sa fluidité, par son art de jongler entre culture classique et références contemporaines, par son style parfois ampoulé, parfois libéré des carcans du verbe. Un étonnant mélange qui déroute certains étudiants.
En définitive, c’est un Premier Ministre en terrain conquis qui s’exprimait mercredi en Boutmy. Un terrain labouré les années précédentes par d’autres figures non moins fascinantes, non moins engagées, comme Robert Badinter ou Dany Laferrière. Il rejoint la longue liste des anciens élèves qui à chacun de leur passage au 27 parviennent à créer une alchimie particulière, une atmosphère propice à l’échange et au débat. Sans doute le point nodal de cette leçon inaugurale. Au fond, il apparaît comme l’un de ses hommes pressés, à l’image de notre époque, à déchiffrer entre les lignes d’une ambition politique dévorante, démesurée diront certains. La différence, c’est que lui “écoute des livres en podcast” et “apprécie les séries Netflix”. Vous avez dit conflit de générations ?