La révolution de velours des procédures d’admission
L’introduction des Conventions d’Education Prioritaires par Richard Descoings à Sciences Po, en 2001, a fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le paysage de l’enseignement supérieur français. Destiné à recruter des élèves venant de lycées de Zones d’éducation prioritaire, il apparaissait pour beaucoup comme l’introduction des « affirmative actions » (discrimination positive) à l’américaine dans le système français. Et ce dans une institution dont l’examen-concours d’entrée était l’image même de l’égalitarisme républicain à la française.
Pourtant en 13 ans, les choses ont bien évolué. Des voies d’admissions parallèles ont vu le jour, avec les double-diplômes ou la place croissante des admis par la procédure internationale, au point que pour la première fois à la rentrée 2013 plus de la moitié des admis en première année provenaient de ces nouvelles voies d’admission.
Parallèlement, la procédure par examen s’est transformée, avec depuis la rentrée dernière la suppression de la sacro-sainte épreuve d’ordre général, autrement nommée « culture G », le renforcement du poids joué par les dossiers, et l’oral, devenu obligatoire. Au point que certaines sources internes, dans les couloirs de l’Institut, n’hésitent pas à évoquer la suppression définitive des épreuves écrites de l’examen d’entrée.
« LE CONCOURS N’EST PAS ÉGALITAIRE. IL DISCRIMINE SOCIALEMENT » RICHARD DESCOINGS
Le constat effectué par l’école au tournant des années 2000 était en effet celui de l’absence de diversité sociale parmi les étudiants. Le coupable ? Les épreuves écrites de l’examen d’entrée, machine à reproduire des élites déjà socialisées au plan en deux parties, et qui exclurait de fait les élèves issus de milieux sociaux plus modestes et moins à l’aise dans l’exercice de la dissertation. Comme l’expliquait Richard Descoings en présentant la procédure CEP, « le concours n’est pas égalitaire. Il discrimine socialement« (1).
LES CEP OU LA FISSURE DU MYTHE DE L’EXAMEN RÉPUBLICAIN
Les CEP représentaient dès lors un moyen d’aérer l’élite, d’aller chercher les bons élèves dès le lycée, alors même que Sciences Po ne faisait pas forcement partie de leur horizon. Comme l’explique Hakîm Hallouch, responsable du pôle égalité des chances et diversité à Sciences Po, cette procédure permet d’abord à l’école d’améliorer la diversité de ses étudiants, et d’améliorer son attractivité auprès de recruteurs de plus en plus demandeurs de profils variés. Sans compter un bénéfice pour l’image de l’IEP.
Mais de fait, cette voie d’admission parallèle ne repose plus sur un examen écrit. En effet, les candidats des CEP doivent présenter à l’oral une revue de presse, accompagnée d’une note de synthèse et d’une réflexion personnelle.
Une logique opposée à la plupart des dispositifs d’aide aux lycéens défavorisés lancés par la suite. Ainsi, le programme « Une grande école : pourquoi pas moi ? » lancé en 2002 par l’ESSEC visait lui aussi l’aide aux lycéens défavorisés, mais sans leur offrir de voie d’entrée parallèle.
UNE PROPORTION CROISSANTE D’ADMIS VIA LES VOIES D’ADMISSION PARALLÈLES
Dans le même temps, l’attrait croissant des doubles-diplômes ouverts par Sciences Po avec des universités partenaires (Paris IV, Université Pierre et Marie Curie, Columbia, UCL…) venait aussi remettre en cause la primauté de l’examen, en introduisant une épreuve orale et un examen du dossier très sélectif destinés à juger des aptitudes du candidat.
Mis en place par Françoise Mélonio, alors doyenne du collège universitaire et qui est aujourd’hui directrice des études et de la scolarité, les doubles-diplômes avec Paris IV semblent bien illustrer cette popularité : pour la rentrée 2013, ce sont pas moins de 2000 candidats qui ont postulé pour les trois options, littérature, histoire et philosophie (contre environ 1500 l’année précédente), pour 132 admis, soit près de 9% de la promotion.
Pour Eric Anceau, responsable du double-diplôme Histoire-Sciences sociales avec Paris IV et maître de conférence à Paris IV, la procédure est idéale pour le recrutement d’une « élite aérée » qu’il appelle de ses vœux, tout en étant partisan d’un maintien de l’examen parmi les autres procédures.
En effet, le mode de recrutement des doubles cursus permet de maintenir une diversité sociale légèrement supérieure à celle de l’ensemble — près d’un tiers des admis au double-diplôme histoire étant boursiers, contre 29% pour l’ensemble des admis en première année.
De même, la procédure internationale attire chaque année plus de candidats. Parallèlement, la proportion d’étudiants admis par cette voie augmente, puisqu’elle est passée de 36,5% à la rentrée 2012 à 41% à la rentrée 2013 (voir le graphique). Au point que, en 2013, plus de la moitié des admis est entrée sans passer d’épreuves écrites (en comptant les CEP, qui doivent préparer une revue de presse, mais pour la présenter à l’oral, après un examen du dossier du candidat par les lycées partenaires).
LES TRANSFORMATIONS DE L’EXAMEN D’ENTRÉE : VERS UNE SUPPRESSION DES ÉPREUVES ÉCRITES ?
Suite logique de ces évolutions, l’examen lui même a changé depuis 2013, toujours dans le sens d’une plus large diversification des étudiants. La suppression de l’épreuve d’ordre général faisait partie de cet objectif. De nombreuses voix, dans les pas de Pierre Bourdieu, mettaient en effet en évidence le caractère particulièrement discriminant de cette épreuve. Suite à une étude menée en 2008 avec deux collègues de l’INED, Dominique Meurs, professeure d’économie à l’université de Nanterre et chercheuse à EconomiX et à l’Institut national d’études démographiques (INED), expliquait que « la culture générale (relève) non pas de connaissances ou de capacités de raisonnement acquises à l’école, mais de quelque chose d’indicible qui se transmet dans le milieu social. »(2).
Par ailleurs, l’oral est désormais devenu obligatoire, avec un examen systématique du dossier — bulletins scolaires, lettre de motivation, résultats des épreuves anticipées du bac. De là à envisager une suppression des épreuves écrites ? « Les grandes universités étrangères se passent d’épreuve écrite, mais dans le système français, en l’état actuel, l’épreuve écrite fait partie de nos habitudes de recrutement » nuance Françoise Mélonio, « l’épreuve écrite limitée à trois épreuves nous convient« . La mesure, en effet, ferait l’effet d’une bombe dans un système éducatif français très attaché aux concours et à la tradition de l’égalité républicaine.
Certes, il est encore trop tôt encore pour évaluer avec précision les effets des transformations récentes des procédures d’admission. Mais force est de constater que les changements sont majeurs, et transforment profondément la physionomie de l’école. Le nombre de boursiers augmente chaque année, la diversité sociale et géographique des étudiants s’accroit, même si demeure une nette surreprésentation des enfants issus de CSP+ (68% en 2010-2011, contre 9% dans la population totale), et l’école continue d’attirer un nombre croissant de candidats. Alors, les épreuves écrites, est-ce bien nécessaire ?
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1 : Cité par les Échos : http://www.lesechos.fr/25/06/2012/LesEchos/21212-040-ECH_dix-ans-apres–ce-que-sont-devenus-les—zep-sciences-po–.htm
2 : Citée par Le Monde (édition abonnés) : http://abonnes.lemonde.fr/enseignement-superieur/article/2012/04/15/la-culture-generale-outil-de-selection-rouille_1684688_1473692.html