Revue Ciné: Semaine N°4

Cette semaine, Savages, sorte de Jules & Jim sur fond de guerre de narcotrafiquants, et Compliance, Questionnement dérangeant sur la soumission à l’autorité.

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Savages, De Oliver Stone, avec Blake Lively, Taylor Kitsch, Aaron Taylor-Johnson…

Trio inséparable, Ben, Chon et la belle O partagent une vie de rêve sur la côte Ouest des Etats-Unis. S’ils sont beaux et jeunes, ils sont surtout riches. Leur domaine ? L’herbe. La très bonne herbe, la très rare herbe à plus de 30% de THC ; bref, une perle rare dans la région. A la tête d’un business florissant – et c’est un euphémisme -, les trois amis doivent alors faire face aux convoitises des concurrents, avides de la qualité exceptionnelle de cette drogue. Et lorsque la petite start-up est confrontée au surpuissant cartel mexicain de la Baja, les rapports de force sont changeants. Si l’argent est le moteur des intérêts, le cartel trouve un moyen beaucoup plus subtil pour faire plier Ben et Chon : kidnapper O. Jusqu’où seront-ils prêts à aller pour délivrer leur amie des griffes noires des baroudeurs mexicains ?

savages_2.jpg Oliver Stone nous offre un traitement intéressant de la drogue : loin d’être moralisateur quant à son utilisation, la dynamique de Savages se déploie dans le réseau complexe de relations et d’intrigues abracadabrantes qui s’entortillent autour des personnages, souvent malgré eux. Si les personnalités du trio sont classiques (un écolo, un dur à cuire, une charmeuse), une harmonie singulière se dégage de la manière dont elles sont traitées. Ne nous laissant aucun répit, l’action et l’émotion se succèdent et se chevauchent : impossible de s’ennuyer devant les soubresauts de l’histoire.

Savages porte bien son nom : il nous empoigne par l’épaule et nous jette dans la violente monde du deal : qui verra apprendra qu’on laisse des plumes à faire fleurir le green business.

Clara Duchalet

Compliance De Craig Zobel, avec Ann Dowd, Dreama Walker, Pat Healy (1h30)

« Give me a f*cking break! », crie une spectatrice offusquée en quittant le cinéma new yorkais où était projeté le dernier film de Craig Zobel, « Compliance ». Au fur et à mesure de la séance, d’autres femmes font de même, dix personnes quitteront la salle ce jour là. « Compliance » est un thriller psychologique, au niveau de réalité presque documentaire, et que l’on peut probablement considérer comme l’un des films les plus brillamment joués de l’année.

Et pourtant « Compliance » est profondément inconfortable, on ne peut s’empêcher d’y penser dès la fin de la séance. Outre sa nature psychologiquement dérangeante, l’histoire apparait être presque entièrement basée sur des faits réels. Dans les années 2000, plus de 70 cas furent rapportés aux Etats Unis, à propos d’un homme, prétendant être un officier de police, qui appelait un fast-food au hasard et exigeait une fouille au corps sur certaines employées. Il affirmait avoir besoin d’aide pour résoudre une affaire, et invitait le manager à retirer les vêtements de l’employée désignée, et parfois, à lui imposer des actes sexuels. Le film se base sur un évènement de ce type, l’histoire se passe à « Chickwich », un fast-food fictif d’Ohio, et met en scène Becky (Dreama Walker), une jeune employée blonde et sa manager remplie de « bonnes intentions », Sandra (Ann Dowd). Cette dernière reçoit un appel de la part d’un homme, un officier de police local, qui lui explique que Becky est accusée de vol sur une cliente. L’officier Daniels va demander à Sandra de retirer les vêtements de Becky, ses bijoux, toutes ses affaires, pour l’aider à « retrouver l’argent volé ». Ensuite, et bien, les choses ne font qu’empirer, formant une véritable spirale infernale. Le pire étant que, d’un point de vue externe, l’escalade dramatique semble pouvoir être évitée.

compliance-movie-poster-slice1.jpeg Pourquoi la manager ne réalise pas qu’il ne s’agit pas d’un véritable policier? Pourquoi exécute-t-elle ses ordres sans discuter? Pourquoi la jeune Becky ne résiste-t-elle pas? Ces questions nous poussent à nous interroger sur ce que nous aurions fait à la place de Sandra, et la réponse n’est pas forcément évidente à accepter. Après « Compliance », vous ne regarderez plus jamais la personne qui vous sert au fast-food de la même manière. On ne sort jamais de cette baraque à frites et à hamburgers, et on étouffe à force d’assister au pouvoir extrême de manipulation d’un seul homme sur toute une équipe. Stanley Milgram a dit « Ordinary people simply doing their jobs without any particular hostility can become agents in a terrible destructive process. Relatively few people have the resources needed to resist authority« . On ne peut qu’avoir en tête sa célèbre experience datant des sixties, où il demandait à des sujets divers d’envoyer des décharges électriques sur des personnes, acteurs professionnels, situées dans un autre pièce si elles répondaient mal à des questions, la force de la décharge augmentant à chaque réponse incorrecte. 65% des sujets suivirent les ordres jusqu’à la décharge finale de 450 volts qu’ils administrèrent aux victimes, or ces « tortionnaires » étaient peut être, comme vous et moi, des personnes qui obéissaient simplement aux ordres.

Jusqu’où la docilité peut-elle mener? C’est la question que pose intelligemment ce film.

Anne-Charlotte Monneret