Souvenirs fuyants de journées oubliées

Demain

Je serais mort

Sans amour ni regret

Sans regret ni remord

J’ai eu tort de tarder

Sans main pour refermer

Mes paupières immobiles

A la croisée des routes

Qui mènent toutes à jamais

Demain je serais mort

Sans l’amour convenu 

Je serais l’inconnu 

Dont on oublie le corps

Pendant bien des années

Je l’ai trop attendu 

Cette illusion charnelle

Ne m’est jamais venue

Mes rêves m’ont menti

Ils m’ont fait des promesses

J’ai vécu d’espérances

Je meurs avec tristesse

Cent fois j’ai revécu 

Nos belles retrouvailles

Avec toi

Mon amour

Qui ne m’as jamais vu

Demain

Je serais mort

Et la pourpre éphémère

Qui sur moi flotte encore

Fuira de mes artères

J’ai fait le deuil de tout

Mon lit est déjà fait

J’ai attendu l’amour

Trop longtemps pour aimer

.

Ivresse

Je glisse comme l’oie et sa plume d’albâtre,

Coulante et trébuchante et bâillée par le vent ; 

Le sol, me happe, froid ; le blanc ciel, de son âtre, 

Écrase ma rétine et ma noirceur se tend. 

Et je m’en vais, malade, écrasé par la pluie, 

Le sable, les passants, la pâle odeur du bruit. 

Mon sang se tasse et prend l’essor avec le temps

Qui file et effile mon corps tressaillant. 

Moi, plume, me déplie et maudis les ténèbres, 

Ces pompes gémissantes, ô combien funèbres, 

Qui pleurent sous la bruine et ignorent l’orage. 

Je veux qu’après minuit, leur soupir chronophage

S’étouffe et puis se noie dans le vide béant ; 

Celui qui trop m’effraie, ce silencieux néant. 

.

Âme sœur 

Il en a fallu des chances, des circonstances, 

Pour qu’entre des milliards de gens, de lieux, d’années,

Ce fût toi, celui-ci, aujourd’hui, qui soit né.

Nous nous sommes trouvés dans une foule immense.

Il en a fallu des hasards, pour que le monde 

S’effondre devant nous. Des milliers de naissances

Qui nous ont donné vie ; des amoureux, des danses

Tous perdus dans l’oubli. J’entends leur sang qui gronde.

Te souviens-tu des amants, mignons, benêts,

Qui, il y a mille ans, dans l’ondée d’un ruisseau,

Ont à jamais mêlé leurs deux écrins de peau ? 

Sans ce plaisir, combien ne seraient jamais nés ? 

Il en a fallu des rencontres avortées

Pour qu’à la place des autres, ce soient tes yeux

Qui m’aient paru d’abord les plus merveilleux.

Le hasard a la main sur nos éternités.

Si j’étais né ailleurs, qui donc m’aurait aimé ? 

Pourrais-je rencontrer ces femmes inconnues

Qui, dans une autre vie, m’auraient déjà vu nu ? 

Si vit une âme sœur, m’aurait-elle trouvé ? 

Ou errons-nous encor en nous accommodant 

De timides bonheurs ou de rêves ardents ? 

Que meure la patience abrutissante et morne ! 

Il faut se dépêcher de cueillir son bonheur : 

Trop d’âmes attendent, bien qu’il soit déjà l’heure.

Que s’effondrent la peur et les ennuis qui l’ornent !

Car le moindre inconnu cache en lui, sans le voir,

Une sœur à notre âme espérant notre histoire. .