Mort de Robert Badinter : une Lumière éternellement incandescente

Il était une fois Robert Badinter. Aujourd’hui l’impensable est devenu réalité : le Sage a été rattrapé par la mort. L’Incrédulité nous frappe face à l’annonce redoutée, tant l’ancien Garde des Sceaux semblait continuer son combat éternel contre le trépas, tout un symbole.

Bien plus que l’homme de l’Abolition, il était la mémoire ambulante d’une justice tueuse : de Vichy à l’intemporel discours du 17 septembre 1981. La « vie », toujours dans le sillage d’un souffle. Cette « vie », pour lui, fils de déporté, qui a été sauvé avant d’être celui qui sauva. Sa « vie », son combat, son œuvre, son héritage.

Ambitieux, séducteur, charismatique, c’est d’abord sous la robe, que le jeune Maître Badinter va défrayer la chronique, et surtout déchainer les passions. Sillonnant la France au péril de son intégrité physique, surgissant au moindre prétexte pour « défendre l’indéfendable » : pendant dix ans, il plaide sans relâche. De tribunaux hostiles en acquittements inespérés , le « Commandeur » combat l’ordre de la vindicte populaire, des foules chauffées à blanc ayant trop longtemps trouvé refuge dans les salles d’audience. 

Un jour le « parigo », le lendemain « tueur d’enfant », ses détracteurs l’attendent nombreux devant les Palais de Justice. Blessés, trahis, perdus dans la douleur de l’incompréhension de ses plaidoyers, obnubilés par un voile de tristesse, de colère et de ressentiment : l’accusation ne voulait pas comprendre, elle ne pouvait pas comprendre. 

Mais aujourd’hui c’est « le ténor », le « juste entre les justes » et nombreux sont ceux qui désormais l’attendent devant les portes du Panthéon, dernière demeure des grands de ce pays. Néanmoins, son œuvre ne réside pas là.

Patrick Henry en 1977, Jean Portais en 1979, Philippe Maurice en 1981, tous reçurent, un par un, la visite de Robert Badinter et tous, un par un, eurent la vie sauve. Coupables oui, mais humains avant tout. Animé par sa foi inébranlable de l’Être, il gardera en permanence dans un coin de la tête une conviction : « le droit de devenir meilleur », une devise qui ne le quittera jamais. Il a fait sienne cette maxime au détour du claquement sec de l’échafaud, un matin de novembre 1972; où c’est meurtri mais déterminé qu’il est sorti  de l’exécution de Roger Bontems, 36 ans, à qui il avait promis la vie sauve. C’était ça aussi Robert Badinter, le souvenir de tous ceux qui ne se sont jamais échappés de l’ombre de la guillotine.

Méticuleux, exigeant, mais aussi attendri, c’est aussi sous la casquette de professeur qu’il aura servi ses idéaux,formant des générations entières aux principes juridiques. Juriste hors-pair, amoureux du droit, il se réinventera toute sa carrière pour agir au plus proche de sa passion. Un temps défenseur des personnes détenues, mais également grand artisan de la décriminilisation de l’homosexualité, il exerce tour à tour les plus hautes fonctions au sommet de l’État en tant que Ministre de la justice (1981-1986), Président du Conseil constitutionnel (1986-1995) et sénateur (1995-2011).

Sur quatre décennies, Robert Badinter aura bouleversé l’actualité politique et juridique de notre pays, par sa détermination et son patriotisme chevronné. Bercés que nous sommes par ses récits, adoubés par ses mots, l’humilité de sa plume a indéniablement initié quantité de vocations pour gagner le parquet et poursuivre ce qui l’animait : la quête d’une justice plus humaine au service d’un idéal universaliste.

Après Simone Veil et Gisèle Halimi, respectivement disparues en 2017 et 2020 , c’est une autre Lumière incarnant les acquis sociaux du XXème siècle qui s’est éteinte vendredi. Alors oui, il était une fois Robert Badinter, mais il était aussi une fois l’échafaud. Alors à nous de porter son œuvre vers l’éternité pour que les Bontems de ce monde ne soient plus que des souvenirs lointains..

Et quelle meilleure sortie pour clore une vie que d’évoquer son leg et d’incanter la prochaine génération en utilisant ses propres mots, ceux que Monsieur Badinter avait si brillamment prononcés par deux fois en octobre 2022 devant un amphi Boutmy incandescent : « Bonne chance les enfants » ! Le relai était lancé, à nous de jouer !

Crédits photo : Leçon inaugurale de Robert Badinter à Sciences Po, le 28 août 2015. Par Thomas Arrivé. (©Thomas Arrivé / Sciences Po)