« On n’a jamais autant discuté dans l’hémicycle quand il y a une proposition de loi »

ENTRETIEN – Avant la censure du Gouvernement Barnier, Alexandra Martin, députée (LDR) des Alpes-Maritimes, évoquait pour La Péniche les sujets du retour de la droite, de la coopération à l’Assemblée nationale et du fléau du harcèlement scolaire notamment.

LA PÉNICHE. – Depuis les dernières élections législatives, la droite a obtenu des postes importants au sein du gouvernement : peut-on dire que la droite est de retour ?

Alexandra MARTIN. – Oui, pour nous ça a été un moment assez inédit puisque dans cette configuration, avoir des postes clés comme le ministère de l’Intérieur et bien sûr le Premier ministre c’était important pour pouvoir effectivement montrer que la droite est une droite de gouvernement, une droite sérieuse, solide qui peut faire des choses. Bruno Retailleau, je crois, en deux mois, a démontré qu’il pouvait, en menant une politique de droite, répondre aux attentes des Français d’ordre et de sécurité. Est-ce que la droite est de retour ? Je crois qu’elle a encore du chemin à faire et que nous devons utiliser cette situation d’instabilité que nous vivons aujourd’hui pour continuer à reconstruire cette droite, dite républicaine, pour pouvoir offrir une alternative aux Français qui réponde à leurs besoins tout en étant fidèles à nos valeurs d’autorité, de responsabilité, de liberté.

À Cannes, vous êtes proche de David Lisnard, vous faites aussi partie de son mouvement Nouvelle Énergie. Pourrait-il incarner ce retour ?

Oui, j’ai cette chance d’avoir mené tout ce chemin avec David Lisnard depuis près de 25 ans. Je crois qu’il peut demain incarner cette alternative, une réponse aux Français. C’est quelqu’un qui est à la fois dans la cohérence, la constance et la nouveauté, dans le style, dans les propos, dans l’idéologie… Il a une vraie colonne vertébrale, c’est ce que j’apprécie particulièrement chez lui. Une colonne vertébrale qui ne se construit pas au gré de l’actualité, des émotions ou des sondages mais qui est véritablement ancrée, de droite. Pas extrême, mais radicale, qui s’appuie sur des valeurs et les principes de liberté, de responsabilité et de dignité. C’est ce qui fait l’apport de David Lisnard aujourd’hui dans le paysage politique de droite ; il apporte à la fois cet élan nouveau, tout en n’ayant jamais dévié de sa ligne. Il faudra une compétition, c’est toujours sain, même au sein d’une même famille politique. Avec la censure, je me projette sur la préparation de l’élection présidentielle parce que quoi qu’il arrive, que ce soit Bayrou, que ce soit Retailleau ou n’importe qui demain, il sera suspendu au fil de la menace d’une motion de censure. Il faut donc profiter de ces mois pour préparer la future élection présidentielle. Même si demain il y a une dissolution de l’Assemblée nationale en juillet ou en septembre prochain, ou  même si Macron démissionnait, le nouveau président de la République aurait en face de lui l’Assemblée telle qu’elle est. Le seul moyen de sortir de cette situation, c’est d’avoir un président de la République avec une dynamique majoritaire avec lui.

Pensez-vous que l’Assemblée nationale, morcelée comme elle l’est aujourd’hui, peut quand même permettre l’adoption de certains textes transpartisans ? Vous avez notamment déposé une proposition de loi en septembre sur le harcèlement scolaire.

Je l’ai déposée, elle n’est pas à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale mais bien sûr j’y crois. On le fait pratiquement tous les jours. Dans les semaines transpartisanes – une très bonne initiative prise par la présidente de l’Assemblée – on passe des lois. Par exemple sur les violences intrafamiliales, un sujet qui me touche particulièrement. Au cas par cas, on peut évidemment trouver des majorités quand c’est constructif, dans l’intérêt général, quand c’est du bon sens… On amende aussi : hier on devait passer la proposition de loi de Gabriel Attal sur la délinquance des mineurs, je ne sais pas si elle reviendra un jour mais on l’aurait votée. Je voulais l’amender avec nos idées à nous, pour inverser l’excuse de minorité à partir de l’âge de 13 ans, parce que j’estime que c’est un vrai signal envoyé aux jeunes et à ceux qui les utilisent. Donc bien sûr qu’on peut trouver des majorités, amender, discuter. On n’a jamais autant discuté dans l’hémicycle quand il y a une proposition de loi, c’est très intéressant.

Gabriel Attal se félicitait d’ailleurs récemment des signaux positifs qui émergent des cours d’empathie, qu’il a voulu mettre en place quand il était ministre de l’Éducation nationale. Est-ce déjà beaucoup ? Y a-t-il encore d’autres mesures à mettre en place ?

Je le souhaite. Je ne sais pas comment ils quantifient cela, je ne suis pas documentée là-dessus par des statistiques. Clairement, ce que je vois c’est qu’il y a encore aujourd’hui dans des établissements primaires, collèges (principalement) où le harcèlement scolaire est un fléau et qui est encore mal géré par les établissements et les professeurs parce qu’il n’y a pas la bonne information, la bonne formation. Il y a énormément de progrès mais il y a encore beaucoup de choses à faire. Je travaille beaucoup avec Nora Tirane, la présidente de l’association « Marion la main tendue », avec qui j’ai rédigé ma proposition de loi et je pense qu’il y a encore beaucoup de choses à faire pour qu’il y ait des automatismes qui s’enclenchent lorsqu’il y a le moindre faisceau de preuve d’harcèlement scolaire parce que plus on s’y prend vite, moins il y a de conséquences psychologiques, voire dramatiques. Et l’enquête que peut mener un établissement doit être transparente et inclure les parents. J’ai encore des parents qui viennent me voir en circonscription qui me disent que le principal de leur collège ne les prend pas au téléphone. On sent bien qu’il y a encore de la résistance, donc il y a encore beaucoup de progrès à faire. Je pense que c’est systémique aussi, évidemment, il faut apprendre aux enfants à se respecter. Les cours de bienveillance et d’empathie, je n’y crois pas beaucoup, je crois qu’il faut d’abord revoir complètement le paradigme de notre modèle éducatif et qu’il soit beaucoup plus dans la bienveillance, positif. Quand je vois qu’il y a encore des professeurs – ça fait partie des choses pragmatiques dont je parle – qui appellent au tableau des élèves seuls et critiquent ce qu’ils ont fait devant tout le monde, le professeur ne se rend même pas compte qu’il alimente le harcèlement scolaire qu’il peut y avoir derrière. Dans d’autres pays par exemple, jamais un élève ne sera appelé seul au tableau, ils seront appelés à 2, à 3 et ce sera toujours le point positif qui sera mis en avant. C’est cela que j’appelle un changement structurel, un changement de paradigme, il faut aller vers ça pour que l’on apprenne à vivre avec nos différences, avec nos points forts, nos points faibles… Mais avant cela, il faut être dans la répression mais surtout dans la détection du harcèlement scolaire.

Auriez-vous des conseils pour les jeunes qui aimeraient s’engager dans la chose publique, qu’ils viennent de Sciences Po ou d’ailleurs ?

Avant même que ce soit un conseil, j’ai envie de leurs dire : n’oubliez jamais que tout est politique. Le système économique, le système social, l’hôpital, demander un rendez-vous à un spécialiste, la recherche d’emploi, acheter son pain, pouvoir sortir dans la rue sans avoir peur et j’en passe… Donc déjà la première chose que je veux dire aux jeunes aujourd’hui, c’est de ne pas jeter la politique avec l’eau du bain. Ce n’est pas parce qu’on vit des moments difficiles que « tous pourris », etc. Non, au contraire. Il y a des gens bien qui font de la politique, des gens qui s’engagent pour essayer de faire le mieux possible. Il faut s’engager parce que sinon demain on sera dominés par l’économie, et la politique, c’est ce qui équilibre, c’est ce qui régule, c’est ce qui amène de l’humain et de la dignité. Attention à ne pas jeter la politique aux orties parce que c’est la politique qui régit tous les aspects de notre vie et après si en plus on peut s’engager, c’est mieux. À Nouvelle Énergie, on a beaucoup de jeunes qui nous rejoignent et pour moi c’est un phénomène révélateur de la recherche d’une espérance, et qui de mieux que les jeunes pour être optimistes ? Je pense que les jeunes peuvent nous amener un peu d’optimisme – même beaucoup ! – et nous secouer. Il ne s’agit pas de faire du jeunisme en disant qu’il faudrait absolument que les jeunes fassent de la politique pour la décoration, mais d’apporter à la politique le regard d’un jeune, ses préoccupations. À Nouvelle Énergie, on ne fait pas d’atelier pour les jeunes, on leur dit d’aller dans tous les ateliers de réflexion et d’apporter leur pierre à l’édifice et leur regard. J’ai envie de dire aux jeunes : engagez-vous, parce que c’est votre avenir tout simplement. Si on ne s’engage pas, demain on laisse d’autres décider à notre place. Puis il faut aussi qu’il y ait du renouvellement… et en plus c’est le moment ! C’est plus que jamais le moment.

Propos recueillis le 03/12/2024.