
Kamel Daoud et Houris : Le discours d’un écrivain en quête de mémoire et d’humanité
Le 19 novembre 2024, Kamel Daoud, lauréat du Prix Goncourt 2024 pour son roman Houris et premier titulaire de la Chaire d’écrivain en résidence de Sciences Po, a donné une conférence dans l’amphithéâtre Boutmy. Écrivain franco-algérien de renommée internationale, Kamel Daoud a livré un discours inspirant intitulé Lettre à un étudiant anonyme, et s’est engagé dans un moment d’échange intellectuel reflétant son roman et sa carrière, les mémoires algériennes, et l’importance de ne jamais cesser d’écrire.
Auteur : Jimmy Hu
Légende image : Kamel Daoud et Luis Vassy, le nouveau directeur de Sciences Po, lors de la conférence donnée par Kamel Daoud le mardi 19 octobre 2024. Crédit photo : Sciences Po.
Houris, un roman entre poésie et nostalgie
Alors que le public s’installe, de belles phrases nées de la plume de Daoud s’écoulent sur l’écran de l’amphithéâtre Boutmy. Attirés par l’occasion d’écouter les paroles du lauréat de l’un des plus grands prix littéraires français, les spectateurs viennent de Sciences Po mais aussi de l’extérieur, les invités “de haut rang” occupant les sièges des premiers rangs.
La soirée attendue commence par une lecture d’extraits de Houris, interprétée par des étudiants de Sciences Po. Dans le contexte fictif du quartier algérien de Miramar, à Oran, l’obscurité de la nuit sombre devient un lieu où se croisent silence, solitude et éclats de mémoire humaine.
« Même la mer semble chercher par où pénétrer dans les vœux, et dans ce silence, mes yeux seuls parlent pour moi ». Ces phrases élégantes, rappelant la vaillance du protagoniste du roman, Aube, reflètent l’esthétique littéraire de Daoud, une empreinte profonde de mélancolie et détermination.
Un dialogue entre la présidente de la FNSP, Laurence Bertrand Dorléac, et un ancien étudiant de Sciences Po s’ensuit alors, partageant une allégorie pour célébrer la maîtrise des mots de Daoud, qui « enrichit les esprits des lecteurs par les mots et les idées ».
Au tour du directeur de Sciences Po, Luis Vassy, d’introduire formellement l’écrivain, mettant en lumière le rôle essentiel de Daoud dans la quête intellectuelle de l’institution. « Cher Kamel, vous incarnez à la fois le journaliste libre et l’écrivain consacré : vous nous rappelez que comprendre le monde nécessite nuance, courage et mémoire », évoque-t-il.
Lettre à un étudiant anonyme : Un Discours Faisant Appel à L’Engagement
Le discours saisissant de Daoud remet en question les privilèges et les aspirations des nouvelles générations, soulignant quelques thèmes essentiels de son roman Houris. Il fait ainsi appel à « l’incertitude, la liberté et les responsabilités de la jeunesse ».
La mémoire et l’oubli sont des thèmes centraux dans Houris, que Daoud a liés à la valeur de l’écriture. « Faut-il oublier pour être heureux, ou se souvenir pour éviter la répétition ? Est-ce que la mémoire est un devoir, ou le droit à l’oubli est-il légitime ? » L’écriture, c’est pour lui un acte de résistance, non pas pour imposer des vérités, mais pour poser les bonnes questions. Il interroge donc le dilemme entre l’oubli et le souvenir, entre l’apaisement personnel et la prévention de la répétition du passé.
Il reflète aussi le rapport entre le silence et l’expression. « Se taire devant les fièvres de son époque n’est pas les ignorer, mais s’en prémunir, lance-t-il. Garder le silence peut être une décision réfléchie, une manière de reconnaître sa propre impuissance et son humanité, de renforcer son efficacité, d’exprimer sa foi et de se préserver des illusions de ses proches ».
S’adressant aux étudiants dans le public, il accentue l’importance de la raison dans l’action : « expliquez-moi votre vision, vos raisons véritables… si une raison ne peut pas être dépliée dans le raisonnable, elle restera fière et inutile. En fait, elle sera poussée par la colère et l’extrémisme, faute de succès et de victoire ».
« Il faut que la passion soit accompagnée de générosité pour construire son avenir, et qu’elle possède assez de force pour affronter les réalités ». Avec ce vœu, Daoud invite les étudiants de Sciences Po à bien gérer l’émotion dans l’engagement, car bien qu’elle soit essentielle pour fournir l’ambition pour le progrès, la générosité doit la tempérer pour bâtir un avenir brillant.
Les Échanges : Un Voyage de l’Esprit
Après le discours de Kamel Daoud, Delphine Grouès, Directrice de la Maison des Arts et de la Création à Sciences Po, ouvre la séance interactive des questions, abordant une plénitude de sujets posées à l’écrivain.
- La Violence : Entre la Mémoire et le Silence
La première question posée à l’auteur s’intéresse à la manière dont Daoud a retranscrit les traumatismes de la guerre civile algérienne pour trouver un équilibre entre la « fidélité historique » et la « liberté narrative » dans Houris. Daoud répond en s’appuyant sur sa propre expérience en tant que journaliste dans son pays natal, pendant la décennie noire algérienne qui a « marqué sa vie ».
La violence politique en Algérie est le cadre dans lequel l’histoire se déroule, ce qui se relie à la dédicace du roman. « À travers Houris, je voulais explorer cette tension entre vivre pour soi et vivre pour honorer ceux qui ne sont plus là, témoigne l’écrivain. Peut-être que les morts nous demandent de vivre plus intensément, pour que leur sacrifice ait un sens. »
Il conclut avec sa propre vision pour son œuvre : « écrire ce roman, c’était confronter l’indicible tout en respectant la dignité des victimes ; le défi était de raconter l’histoire sans l’épuiser, car certaines choses restent impossibles à dire ».
- Ses Inspirations Littéraires
Quant aux auteurs qui ont influencé et inspiré Daoud, en particulier dans son écriture de Houris, il a cité quelques figures telles que Hermann Hesse, Romain Rolland et Mahmoud Darwich. Pour lui, « Hesse lui a appris l’introspection ; Rolland, l’engagement ; et Darwich, la beauté de la langue ». Ces auteurs lui ont montré que « l’art est un espace où le doute et la nuance doivent primer sur les certitudes ».
Devant l’audience, il distille également un conseil précieux, à partir de son trajet professionnel. Il recommande à lire « les œuvres inachevées ou les brouillons des grands auteurs », car cela nous libère de la pression de perfection et nous rappelle que « l’écriture est un processus, pas une finalité ».
- Sa Jeunesse Algérienne
Face à une question qui lui demande si la nouvelle génération de l’Algérie peut réconcilier « les mémoires brisées du pays, » Daoud répond, très sincèrement, que « la réconciliation commence par la parole ».
D’après lui, « raconter, c’est redonner vie aux morts et offrir aux vivants une langue pour comprendre leur douleur ». Afin d’atteindre ces objectifs, il faut un « espoir collectif » au sein de la nouvelle génération. Daoud croit que « nous devons rêver d’un futur commun, et pour cela, il faut des écrivains, des artistes, des historiens », soulignant l’importance des mots et de l’art en donnant une essence à un peuple en misère.
- L’Acte d’Écrire : Entre les Doutes et la Confiance
Partageant les moments de doute au cours de son écriture, il évoque la vulnérabilité de tout écrivain : « chaque texte est une lutte ; je ressens physiquement la peur de l’échec ». Même pour lui, un sentiment d’être « insuffisant » dans son écriture se révèle parfois. Cependant, il accepte le doute dans le processus, le trouvant nécessaire car il le « pousse à aller plus loin, à être sincère ».
Et de rappeler que le plaisir importe dans l’écriture. Ce qui prime sur tout, c’est la conviction d’écrire pour soi, de « trouver sa voix et d’accepter ses imperfections ». L’écrivain considère que l’enthousiasme pour l’écriture est « contagieux » : « si vous prenez du plaisir à écrire, vos lecteurs le ressentiront ».
Héritage Toujours Brillant
Alors que la soirée s’achève, Daoud partage des mots empreints de gratitude, décrivant Sciences Po comme une « maison » et un « bureau d’écriture », un espace d’accueil et d’inspiration pour lui. « On m’a abrité ici, on m’a accueilli, c’est pour cela que j’ai mis la dédicace à Sciences Po, qui a offert un toit à ce roman », livre-t-il vers la fin de la conférence, scellant une soirée où le dialogue et la littérature se sont unis pour célébrer la quête de mémoire et d’écriture pour comprendre la complexité des mémoires qui font rêver.

