LE MAG – Mommy, what’s a DJ ?

Au-delà du plagiat (pardon, de l’adaptation) du célèbre titre de Kerri Chandler, Mommy, What’s a Record ?, il convient de remarquer que la question a du sens. On évoque bien trop souvent ces petits bonshommes derrière leurs machines. Tantôt euphoriques, ils sont capables de lancer en gâteaux de quoi éliminer la faim dans le monde, ou encore de remplir une véritable piscine de champagne. Parfois, simplement, ils jouent des commandes de boutons et des disques. Prenant un cachet, trois petits tours et puis s’en vont.

Mais historiquement, comment s’est construit un tel concept ? Ou plus trivialement, comment un guignol passant des disques à la radio ou devant 1 000 mecs bourrés a-t-il pu en venir à être considéré comme un artiste ? David Guetta serait-il un artiste au même titre que Moby, voire Prince ? Bernard de la Villardière lui-même ne s’étant pas penché sur le sujet, j’entendrai le faire très humblement.

Le Dj, un animateur de radio avant l’heure

Le premier Disc-Jokey serait apparu en 1909. Le jeune Ray Newby, 16 ans, s’amusait à passer des disques à la radio sous la tutelle du vieux maître Charles « Doc » Herrold. Rien de bien compliqué : entre quelques spots publicitaires et émissions, il se contentait de faire profiter les auditeurs d’une détente musicale. Le temps passe, le terme disc-jokey n’est toujours pas utilisé.

Puis viennent les années 1930, et en 1935 le terme est employé pour la première fois à la radio. Martin Block, illustre inconnu en 2015, devient le premier disc-jokey officiel. Ce sont ainsi les années 30 et 40 qui consacrent l’émergence claire et nette du concept de DJ.

Ces intermittents se produisent à la radio et s’adressent à une audience locale, parfois nationale. Ce faisant, ils jouent parfois un rôle déterminant dans la révélation de jeunes artistes prometteurs. Je songe notamment à Elvis Presley, dont les talents musicaux se sont fait connaître à échelle nationale principalement grâce à la radio.

Incontournable des soirées

Les années 1950 suivent, et avec elles l’élargissement progressif du concept de DJ. Ces derniers se détachent peu à peu du support de production qu’est la radio. Ils jouent les meilleurs dance records dans des parties ou autres fêtes. L’idée générale est, sans surprise, de faire danser un public restreint dans un endroit particulier.

Du domaine plus ou moins « public » qu’est la radio, la musique passée par les DJ s’exporte dans le domaine privé. Inviter un certain DJ à une fête privée devient une attraction à part entière.

En Jamaïque, des DJ de renommée nationale développent en même temps les premiers sound systems et participent à la popularisation de la fête animée par des DJ en lançant de grandes dance parties dans les rues.

Bien entendu, l’évolution de la considération du DJ suit le développement de certains équipements aidant aux transitions et au mix. Peu à peu, de supports de musique, les platines deviennent de véritables instruments. Ce développement essentiel se fait dès la fin des années 1960.

A la croisée des chemins

Les rythmiques prolifiques de la musique afro-américaine des années 1970 permettent un meilleur accompagnement des dancefloors, qui se calent désormais sur les lignes de basse et les beat propres à la funk –ou encore au rap, intimement lié aux évolutions du concept de DJ.

À la fin des années 70, la disco confirme cette tendance, évidemment facilitée par l’apparition des discothèques, où s’enchaînent tout au long de la nuit et sans interruption les meilleurs dance tracks du moment. C’est dans une ambiance enfumée et alcoolisée qu’apparaît le DJ tel que nous le connaissons (sans la fumée car aujourd’hui fumer tue et c’est interdit en boîte).

Parallèlement émerge le turntablism, pratique plus proche du rap que de la disco, consistant à créer de la musique à partir de deux pistes et des coupures rythmiques, parfois remplacées par le scratch. De passe-temps, le djing devient un véritable talent. Le DJ ne doit plus seulement capturer l’ambiance de la foule devant laquelle il joue mais s’adapter à des exigences techniques (voire de plus en plus électroniques). Il doit créer de la musique à partir des pistes qu’il passe. L’industrie du rap innove quant à elle en rajoutant un côté humain vocal à cette musique, de par l’émergence des MC (Masters of Cérémonies).

Ainsi l’art du djing évolue-t-il vers de nouveaux genres musicaux. Du jazz, il passe au rock, puis à la funk, et enfin se scinde entre la disco et le rap dans le courant des années 1980. Il s’agit là d’une période déterminante dans la consécration du DJ.

C’est en effet à ce moment qu’apparaissent les premières machines, certes encore basiques, permettant de produire de la musique de manière électronique. À Detroit, Chicago ou encore New York émergent des sonorités révolutionnaires, de la soul à l’acid house, en passant par la techno, en grande partie dans les discothèques.

Quel amateur de musiques électroniques n’a jamais entendu parler du mythique Paradise Garage de New York, et tout particulièrement de sa période Larry Levan ; ou encore du Warehouse de Chicago, considéré comme le lieu de naissance principal de la house music ? DJ, producteurs, ou DJ-producteurs s’y côtoient et donnent un nouveau souffle aux techniques de djing, jusqu’à l’élever au niveau d’art, ou du moins à mon sens.

On connaît plus ou moins la suite, d’abord marquée par l’apparition du mouvement rave durant la décennie 1990 puis par l’émergence des DJ star tels qu’on les voit encore aujourd’hui. À titre d’exemple, un Calvin Harris totalisait 46 millions de dollars de gains en 2014, soit bien plus qu’un malheureux Vincent Bolloré, que l’on confondrait presque avec un SDF…

Que retenir de l’influence de cette époque ? Tout d’abord, qu’elle a conféré aux DJ les moyens d’exporter leurs connaissances de la dance music et d’en faire une nouvelle pop culture (je confère à cette expression le sens de « populaire », comme un attribut largement partagé).

Parallèlement se sont développés les mouvements plus alternatifs ou underground, plus axés sur les capacités techniques du DJ-artiste que sur son talent à passer les bons titres à renforts de paillettes –chose que je respecte tout à fait en ce qu’il s’agit d’un choix de carrière et/ou d’amusement.

Aujourd’hui, il existe toujours une catégorisation potentielle immense parmi les DJ. Certains voient en Seth Troxler un génie, d’autre en David Guetta un nouveau Michael Jackson, etc. Pour ma part, et de par mon intérêt profond pour les musiques électroniques, je tends à différencier le disc-jokey pur jus, celui qui s’adapte au dancefloor et passe les bons disques au bon moment, du réel artiste, l’innovateur, celui qui adapte au goût du jour le turntablism des années 1990. Au fond, n’est-il pas derrière ses platines pour nous raconter une histoire ?

En guise de dénouement final de cet article, je vous invite vivement à écouter les 5 premières minutes du Fact Mix de Ben Klock, artiste classé dans la veine « techno allemande du XXIème siècle ». Ce dernier y fait preuve d’un savoir-faire rarement égalé à mon goût, tant par le choix des morceaux que par la dimension presque spatiale qu’il choisit de conférer à son mix.