Où l’ascenseur social est-il bloqué ?
L’ascenseur social est-il en panne ? Telle était la problématique qui a agité la troisième table ronde de la journée des Gracques le 21 novembre dernier. Yann Schreiber, étudiant à l’école de journalisme de Sciences Po et membre de notre rédaction, ouvre le débat en rappelant que 69% des Français trouvent que l’égalité des chances n’est plus garantie. Pourtant, d’après le centre de recherche l’INSEE, un enfant a aujourd’hui plus de chances d’accéder à une profession d’une catégorie supérieure à celle de ses parents, qu’il n’en avait il y a cinquante ans. D’où provient ce paradoxe ? Comment lutter contre l’impression d’un irréductible déterminisme social ?
Sharan Burrow : A l’école de la réforme
La vigoureuse secrétaire générale de la Confédération Internationale des Syndicats, Sharan Burrow, introduit le débat en répondant sans détour à la question : l’éducation est et sera la solution au problème.
Elle doit être accessible, ouverte à tous et permettre aux jeunes d’entrer sur le marché du travail rapidement. L’éducation doit mettre un terme au chômage endémique qui, au-delà des conséquences économiques, crée des tensions sociales qui nourrissent la défiance au sein de la société.
Madame Burrow parle même « d’aliénation » des travailleurs aujourd’hui et « d’esclavage moderne ». Ces réalités ne peuvent plus durer. Le G20 se doit non seulement de débattre sur ces questions, mais de mettre en place des réformes concrètes. Il s’agit de « construire le pont entre le présent et le futur », conclut-elle. Un brin de poésie dans un monde de brutes.
Une coopération doit voir le jour pour garantir une « croissance éthique ». Pas question d’un oxymore : elle se baserait sur une énergie propre et la création d’emplois dans les secteurs d’avenir.
Un investissement conséquent doit être mené dans les services publics, notamment la sécurité sociale, afin de créer une nouvelle forme de société où la distinction « insiders/outsiders » n’aurait plus lieu d’être. Une société où plus personne n’est laissé de côté.
Sharan Burrow invite à repenser la société dans un climat propice à l’épanouissement économique et social. Les différents intervenants présents au pupitre de l’imposant hémicycle ne semblent pas être désarmés face à cette utopique ambition .
Haro sur les charges des entreprises
Agnès Verdier Molinié est la première à prendre la parole sur la question du chômage. C’est non sans une certaine lassitude que la directrice de l’IFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques) souligne la nécessité de remédier à un modèle de surprotection sociale. Selon elle, il est paradoxalement l’un des moins efficaces d’Europe alors même que la France détient le record des dépenses sociales (34% de son PIB).
Que faire face à un tel paradoxe ? La réduction des dépenses sociales n’est pas suffisante. Pour Agnès Verdier Molinié, la réduction du coût du travail s’impose également si la France souhaite rester compétitive. Les entreprises font face à une fiscalité trop lourde tant au niveau du coût salarial que des charges sur la production.
La conseillère de Matteo Renzi, Carlotta de Franceschi, appuie l’argument à l’aide de l’exemple italien. Le marché du travail n’était pas assez libéral en Italie puisque le juge détenait le droit de décider si l’entreprise pouvait licencier, ou non, un salarié.
Maintenant que ce n’est plus le cas, et que les charges sociales ont été de surcroît réduites, des milliers d’emplois ont été créés. « An atomic bomb », à entendre la présidente d’Action Institute.
Contrat de travail : le talon d’Achille français
Mais le coeur du débat tourne autour du contrat de travail. Agnès Verdie Molinié affirme sans détour que la situation ne pourra pas s’améliorer tant que celui-ci n’aura pas été flexibilisé.
La difficulté à licencier amène de facto la difficulté à embaucher. Ce cercle vicieux n’aiderait pas à reprendre un emploi compte tenu du faible, voire inexistant, écart de revenu entre les actifs et les chômeurs.
L’entrepreneur Ryad Boulanouar rejoint la directrice de l’IFRAP. La difficulté à licencier rend les entreprises contre-productives. Celles-ci sont alors amenées à délocaliser leur production, entraînant dès lors du chômage.
Pour lui, cette spirale infernale ne pourra cesser que lorsque l’on pourra « débaucher comme on embauche ». Les intervenants s’accordent sur le fait que la France prend trop de retard face à ses partenaires européens. D’où de faibles performances économiques.
La jeunesse détient aussi une partie des solutions. Elle doit créer les métiers de demain.
Il y a une nlle génération d’entrepreneurs responsables qui émerge et qui est attachée à faire du bon économique et du bon social #Gracques
— PS Sciences Po (@PSSciencesPo) 21 Novembre 2015
Une alliance complexe entre social et économie
Jean-Baptiste de Foucauld, cofondateur de l’association « Solidarités nouvelles face au chômage » rejoint les intervenants sur la critique des dépenses sociales en France.
Mais il pointe du doigt l’inefficacité du système. Malgré ce système de protection généreux envers les chômeurs tous ne sont pas couverts, et pire encore, tous ne sont pas accompagnés. La suspicion réciproque entre acteurs sociaux et acteurs privés ne leur permet pas d’expérimenter, et de choisir ensuite « ce qui marche ».
Les chômeurs se retrouvent donc rapidement marginalisés. Ryan Boulanouar déplore le fait que ce sont souvent des individus ayant abandonné leurs études et décroché du système scolaire.
C’est là une autre faiblesse du système éducatif français : son indéniable élitisme. Il est nécessaire de revaloriser toutes les filières, et plus que jamais, de rapprocher les écoles des entreprises.
Ainsi, cette troisième table ronde ne manquait pas de propositions concrètes et de suggestions pour améliorer le fonctionnement du marché du travail. Si certains participants ont déploré que le débat ait dévié du sujet initial, il semble nécessaire de souligner que la remise en marche de l’ascenseur social passe aujourd’hui par une réforme urgente du marché du travail.