La part de gâteau indigeste de Cédric Klapisch
Quand Klapisch fait du Klapisch, on s’amuse. Mais quand Klapisch fait du cinéma social, on s’indigne.
Ma part du gâteau, nouveau film de Cédric Klapisch (L’auberge espagnole, Les Poupées russes, Paris), relate la rencontre entre Steve, trader richissime et arrogant, et France, ouvrière de Dunkerque au chômage. Elle devient sa femme de ménage, puis la baby-sitter de son fils. Peu à peu les relations se font plus chaleureuses, jusqu’à ce que France découvre que son nouvel employeur est responsable de la faillite de son usine.
Le film est bien parti pour rester en haut de l’affiche pendant quelques temps. Servi par une campagne de lancement invasive, il a tous les ingrédients du succès: une actrice populaire (Karin Viard), un acteur beau gosse en pleine ascension (Gilles Lellouche), une histoire de bergère/femme de ménage et de prince/trader. Rajoutez à cela la marque de fabrique de Klapisch, à savoir une ambiance bon enfant, des gags, de l’émotion, et hop, vous obtenez un blockbuster à la française.
Les mêmes éléments que dans ses précédents films donc, ce qui satisfera sûrement les fans de Klapisch. Les situations comiques s’enchaînent: France obligée de parler avec un accent bulgare pour décrocher une formation de femme de ménage, Steve qui escalade un pont à Venise, en pleine balade romantique sur une gondole avec un mannequin sublime, le mieux restant Karin Viard chantant à tue-tête « Les rois du monde ». L’émotion est elle aussi au rendez-vous. Le lien qui se noue entre les deux personnages principaux est sincère, sobre, touchant. Ni pathos, ni niaiseries, on retrouve là le Klapisch qu’on aime : un cinéaste qui sait observer les rapports humains et les restituer avec justesse dans ses films.
Mais Klapisch ne vise plus le succès populaire, il semblerait qu’il s’en lasse. Non, maintenant, ce qui l’intéresse, c’est d’être reconnu comme un cinéaste social (à l’image de Ken Loach, dont il dit s’être inspiré). C’est lourd, la part de gâteau devient vite indigeste. Dès le début, Klapisch affiche ses intentions: Dunkerque contre Londres, France contre Steve, les ouvriers contre les traders, les millions en quelques secondes contre les indemnités de licenciement qui n’arrivent pas. Pour ceux qui n’auraient pas compris, Klapisch veut ainsi démontrer que la mondialisation, c’est mal, et qu’il faut se tourner vers les vraies valeurs, celle de la France du travail manuel, des balades au bord de la plage en famille et de la solidarité à toute épreuve. Caricatural? Je ne vous le fais pas dire… Mais ça s’aggrave encore par la suite. Ainsi, la prime de 100 euros offerte par Steve va donner lieu à une scène d’euphorie au milieu d’un supermarché. On se croit dans une série américaine vaguement croisée avec une comédie musicale. Changement de registre un peu déplacé ? Sur l’air de Pretty Woman, France laisse ses filles remplir le caddie sans compter. Bien sûr, on voit la réalité sociale : la joie de pouvoir satisfaire ses besoins sans entrave financière. Mais est-il vraiment à propos de mettre en scène une telle fête? Un caddie LidL qui fait le bonheur, cela montre-t-il avec suffisamment de justesse la difficulté de la vie ? Une condescendance extrême de la part d’un cinéaste qui prétend défendre son personnage. Et comme les grandes démonstrations ne vont pas sans petits exemples, Klapisch illustre sa dénonciation du système social français à l’aide de canards. Vous avez tous déjà remarqué, quand vous jetiez du pain aux canards, que les grands mangent tout. Si les petits tentent de s’interposer, ils sont frappés. Au final, qu’ils se battent ou non, ils n’ont rien à manger. Mais aviez vu perçu la métaphore sociale ô combien pertinente que cette scène propose ? Hé oui, grâce à Klapisch nous découvrons que, dans la vraie vie, c’est pareil, les grands finissent toujours par tout avoir et les petits se retrouvent le bec dans l’eau. Pensez-y la prochaine fois que vous irez nourrir les canards…
Malgré de bons moments et de vrais fous rires, tout cela est quelque peu affligeant, voire très énervant. Klapisch se permet de nous donner de grandes leçons moralisatrices, tout en étant en permanence dans la caricature. Le vrai cinéma social, sans pathos ni facilités scénaristiques, veut nous faire réfléchir. Il ne prétend pas nous donner à voir la réalité de la misère sociale, seulement celle d’un personnage à un instant précis. L’erreur de Klapisch est de penser qu’il peut dénoncer tout le système économique mondial grâce à une comédie bourrée de clichés et de bons sentiments.