Le graffiti, un art loin du gribouillage

A une semaine d’intervalle, les murs des bâtiments de Sciences Po ont été dégradés à deux reprises par des inscriptions dénonçant des actualités récentes, les dernières contestant la reconnaissance d’une association Front National Sciences Po. Bien que la peinture puisse s’effacer, les images, elles, resteront encore longtemps dans nos esprits. Entre dégout et colère, ces actes de vandalisme ont laissé chez beaucoup un sentiment de malaise et d’incompréhension.

Pourquoi choisir le débat avec un mur muet ? Quel sens peut-on donner un à tel mode d’expression ?

Sans prétendre à une analyse exhaustive, la Péniche est allée à la rencontre d’un graffiteur qui préférera rester sous son nom d’artiste : DOCTEUR.

La puissance du graffiti

La différence fondamentale entre un tag et une confrontation orale réside dans le fait que le graffiti, « est quelque chose qu’on t’impose à la gueule. C’est comme une publicité, les gens sont obligés de le voir ». Et en effet, si l’on peut ignorer un discours ou même des paroles, aucun regard ne s’est détourné de ce qu’il y avait écrit sur la façade de Sciences Po, bien au contraire. C’est toute la force du graffiti. Il donne en effet la possibilité d’« entrer en interaction avec les gens, sans les voir, juste avec une bombe ».

Cependant, contrairement aux gribouillages observés sur la face de notre école, DOCTEUR insiste sur l’importance de l’esthétisme dans un véritable graffiti. « On veut que les gens s’arrêtent dessus, on travaille la pièce, et si une partie des gens restent énervés et réticents, l’autre partie est souvent admirative », explique-t-il.

© DOCTEUR

Pour DOCTEUR, le lieu n’est jamais anodin. Il représente « 75% de l’œuvre d’art » et est choisi « en fonction du message ». De ce point de vue, c’est un « succès » pour les dernières inscriptions quant au FN.

Faire passer un message

Le graffiti ne délivre pas toujours un message stérile. Si certains en doutent encore, l’analyse de l’œuvre phénoménale de Banksy pourrait bien les faire changer d’avis.

« Le graff cherche d’abord à susciter une réflexion en passant par la réaction. Dans un graffiti travaillé, rien n’est laissé au hasard. Le spot a une fonction hautement symbolique, mais aussi la forme, les couleurs, l’esthétique », indique DOCTEUR. Les graffitis font partie intégrante du monde de l’art. Ils offrent au public de véritables galeries publiques d’art comme des gigantesques fresques particulièrement expressives, dont l’exemple le plus significatif est celui de l’East Side Gallery à Berlin. Certains street-arteurs comme Nasty ou Azyle réalisent des travaux « dignes des beaux-arts », aussi respectés que reconnus.

Les graffiteurs ne peuvent donc se réjouir que d’avoir fait de la publicité à la cause qu’ils dénoncent.

Le graffiti, une culture à l’origine « peace, love, unity and having fun »

Avant tout, le graffiti est une pratique issue de la culture hip-hop dont la devise est « peace, love, unity and having fun ». Pas besoin d’avoir réussi l’IELTS pour comprendre que graffiti n’est pas, à l’origine, une discipline agressive.

Il est d’abord censé véhiculer des valeurs positives et universelles, qui transcendent les groupes sociaux et les frontières. Ce lien avec la culture hip-hop reste très fort dans le monde du graffiti, qui est devenu un lieu d’échange entre street-arteurs de différentes nationalités. Le street-art se caractérise essentiellement par sa fonction de partage : « tu ne gardes pas ta pièce pour toi : tu veux d’abord la montrer, que ça plaise aux gens, puis regarder et entendre les réactions des gens, sur les réseaux, le net etc… »

Le graffiti est aussi une philosophie de la liberté. C’est un art libre qui se pratique dans la rue et qui est censé rester accessible pour tous. L’artiste de rue est libre, reste libre et c’est pour cela que le graff représente un vecteur de communication informel dans la société. En s’appropriant l’espace public pour véhiculer leur message, les graffeurs jouent de la « liberté d’expression » qui prend alors tout son sens. Cependant, la légitimité de se revendiquer de ce monde artistique spécifique n’est pas innée, elle s’acquiert bien au contraire, après de longues années d’expériences…

On ne peut pas associer les écritures rouges gribouillées et occasionnelles sur les murs de Sciences Po, à la communauté bien spécifique du street-art. Tout un milieu s’est en effet développé autour de cette pratique et de cet art. Certains street-arteurs se distinguent plus que d’autres. Des « monstres » comme Banksy ou space invader, mais aussi des graffeurs « tristement connus dans le milieu », des vandales qui préfèrent lâcher leur « blaze (ndlr : signature) partout mais sans aucune esthétique ».

Il existe un respect mutuel entre tous les graffeurs « reconnus » du milieu ; et même si c’est une pratique illégale et qu’il n’existe pas « d’éthique à proprement parler », les graffiteurs respectent entre eux quelques principes de bases. Celui de ne pas taguer des bâtiments historiques ou religieux, par exemple. « Un tag sur un bâtiment religieux est très mal vu car il amène des amalgames avec notre milieu. On peut dessiner des graffs choquants mais le but n’est jamais de blesser », souligne DOCTEUR.

Les graffiteurs se rassemblent aussi en bandes organisées, en collectifs transnationaux. Ainsi, DOCTEUR a retrouvé un graffiti de la signature de son collectif sur un poteau perdue au fin fond…d’une plage brésilienne.

Vous l’aurez compris, les graffitis sur les murs de Sciences Po n’ont pas enrichi la culture urbaine ni les débats politiques à Sciences Po. Ils ont simplement suscité des réactions à chaud sur un sujet polémique.

19586732Entre deux galops, nous vous conseillons le film Faites le mur ! qui développe très bien certains aspects évoqués plus haut.