Stagiaires: quoi de neuf pour la génération précaire?
«En cinq ans, j’ai cumulé un peu moins de trois ans de stages. Sans mon CV sous les yeux, je ne pourrais même plus énumérer toutes mes expériences professionnelles ! J’ai eu le temps de développer des compétences en droit, en finance en passant par le marketing. Pour moi, il y a longtemps que la dimension formation du stage n’a plus de sens« .
C’est avec ce témoignage d’Audrey, 29 ans, que Libération annonçait dans un article fortement teinté de pessimisme le vote de la nouvelle loi de protection des stagiaires. Rémunérée 436€ par mois, avec l’espoir d’obtenir un CDD comme seul objectif, où en est aujourd’hui la grande famille précaire des stagiaires ?
Génération précaire, entre veille juridique et action politique
Cumul des stages sans perspective d’emplois, rémunérations dérisoires, tâches de responsables mais statut de stagiaire… l’encadrement juridique du stage est parfois une énigme, un statut professionnel un peu bâtard pour lequel il semble difficile de mobiliser les responsables politiques.
Exaspérée, une internaute lance en septembre 2005 un appel à la grève des stagiaires sur un forum d’internautes pour protester contre des conditions de travail abusives, le stage se voulant être un outil mais devenant souvent le placebo d’un véritable emploi. C’est à partir de cette initiative que le collectif Génération Précaire se forme sur le tas en septembre 2005 et devient la première organisation de défense des droits du stagiaire. Le message circule et prend rapidement la forme d’une action médiatique coup de poing lorsque les membres du collectif envahissent plusieurs entreprises, masques blancs sur le visage.
Le collectif Génération Précaire entend défendre les droits des stagiaires aux moyens d’une plateforme internet par laquelle des stagiaires peuvent poser leurs questions sur les conditions de travail et le déroulement de leurs stages. Un travail d’expertise que les membres du collectif assurent à l’aide d’outils juridiques et d’un réel suivi des projets de lois portés par les politiques autour du statut du stagiaire.
Lors des élections présidentielles de 2012, le collectif renforce son action médiatique en créant l’agence de notation « Young and poor » afin d’évaluer les candidats sur leurs propositions pour la jeunesse et plus précisément leur position pour la lutte contre la précarité des emplois jeunes et l’encadrement des stages.
Une loi d’encadrement des stages votée en juin
Ces actions rencontrent un écho politique et trois députés PS ont ainsi déposé en janvier 2014 une proposition de loi qui tend à encadrer le recours aux stages en limitant sa durée et le nombre de stagiaires rapporté aux effectifs de l’entreprise. Cette loi relative à l’encadrement des stages et à l’amélioration du statut des stagiaires qui a depuis été adoptée par le Parlement en juin poursuit un triple objectif : protéger les droits en améliorant le statut des stagiaires, favoriser le développement des stages de qualité, enfin éviter les stages se substituant à des emplois.
Le texte prévoit qu’aucune convention de stage ne peut être conclue pour exécuter une tâche correspondant à un poste de travail permanent, pour faire face à un accroissement temporaire de l’activité de l’organisme d’accueil, pour occuper un emploi saisonnier ou pour remplacer un salarié en cas d’absence ou de suspension de son contrat de travail. La loi a également revalorisé l’indemnité des stages et fixé une limite de 6 mois à la durée d’un stage.
Une petite victoire pour les membres du collectif Génération Précaire mais qui n’apporte en rien la recette magique du stage vers l’emploi. Pis, il semblerait que cette loi soit une pommade pour des stagiaires désireux d’améliorer leurs conditions de travail dans l’attente d’un véritable contrat de travail. Eric Decouty, éditorialiste chez Libération notait ainsi après le vote de la loi que « l’avancée significative que constitue ce texte ne doit pourtant pas éluder la question majeure qui se pose au gouvernement : la difficulté des jeunes à intégrer rapidement le marché du travail. (…) Entre les études et le premier emploi, le temps s’étire de plus en plus avec des stages, des CDD, des périodes d’attentes et parfois même de ruptures qui conduisent la plupart du temps à la marginalisation des moins diplômés. ».
Le stage, étape douloureuse mais inévitable sur la route du CDI ?
A SciencesPo, il est clair que le stage a un impact décisif sur le taux d’emploi (cf. graphique ci-dessous).Aussi, les occasions d’effectuer des stages tout au long de sa scolarité à SciencesPo sont multiples, du stage de terrain en première année à l’année de césure jusqu’au certificat d’aptitudes managériale, programme qui vise à accompagner les jeunes diplômés dans leur insertion sur le marché du travail en leur proposant d’accroître leur employabilité à travers un ou plusieurs stages. Les statistiques sont d’ailleurs éloquentes : le stage est un vrai plus pour l’obtention d’un emploi (cf. graphique ci-dessous).
Si à SciencesPo, le stage semble s’imposer comme la condition sine qua none de l’entrée rapide sur le marché du travail, quid des conditions de travail en tant que stagiaire ? S’agit-il d’une simple étape, nécessaire même si parfois douloureuse ?La perception du déroulement du stage est quelque chose d’extrêmement individuel et les échos de cas cas de stages dans de mauvaises conditions sont extrêmement rares affirme SciencesPo Avenir. A ce titre la direction insiste sur la vigilance avec laquelle les conventions de stages sont accordées aux étudiants souhaitant effectuer un stage en parallèle de leurs études.
Une position que tend à contraster le membre de Génération Précaire interrogé : beaucoup de stagiaires n’ont pas connaissance de leurs droits et des limites dans lesquelles ils peuvent exercer leur stage car ils ne sont pas conseillés par les universités qui leur délivrent des conventions de stage. La structure étudiante qui accorde la convention de stage deviendrait ainsi le garde-fou des dérives en stage, un interlocuteur précieux qui permettrait aux étudiants ou jeunes diplômés d’émettre un retour sur de mauvaises expériences ? C’est là où le bât blesse : le suivi de tous les stagiaires est coûteux, il demande un service à la personne régulier et de long terme que tous les établissements supérieurs ne peuvent assurer.
Les stagiaires français, mieux lotis qu’à l’étranger
Si le stage connaît un renforcement de son encadrement juridique avec la loi de Juillet 2014 au niveau national, de façon générale il n’existe aucun statut légal du stagiaire en Europe. La notion de stage conventionné est une formule typiquement franco-française qui n’a aucune valeur juridique dans les autres pays. SciencesPo dans sa quête d’ouverture vers l’international propose des offres de stage qui le sont également et les étudiants « s’arrachent » les conventions de stage pour quelques mois de projets menés à l’étranger.
Mais au regard du site européen « euroguidance » effectuant l’inventaire des différentes règles juridiques qui encadrent le stagiaire, l’étudiant et l’employé dans les pays membres de l’Union Européenne, la France fait figure de pays de Caucagne. Avec ses 436,05 euros par mois de rémunération (augmentation à 523 à partir de 2015), elle est l’un des rares pays dans lequel la gratification du stagiaire est une loi. En Allemagne, il n’existe pas d’obligation de rémunération minimum mais dans la pratique, l’échelle de rémunération est comprise entre 300 et 800 euros en fonction du niveau de vie et du pouvoir d’achat de la ville en question. Ainsi, Stuttgart, Francfort ou Munich connaissent des indemnités supérieures à
En Espagne, les « Becas de practica » sont des stages sous convention n’ayant pas de réglementation particulière autour de la rémunération minimum, c’est donc à l’entreprise de défininir les indemnités qu’elle est prête à verser au stagiaire. Seuls les « Contrat liberal de practicas » sont réglementés et proposent une rémunération minimum progressive en fonction du salaire minimum. On est toutefois encore loin de la protection juridique sur la rémunération du stagiaire français.
Le stage dont le statut international reste flouté devient toutefois très en vogue dans les start-ups. Un salaire de misère mais le droit de faire du skate et de jouer à la gamecube pendant sa pause déjeuner, toi aussi tu as envie d’avoir un patron cool comme Zuckerberg et de manger des jambon beurre pendant tout le mois ? Face à cette nouvelle forme d’emploi précaire, un mouvement de mobilisation « Coalition for fair internship » est né aux USA et au Canada en 2013, dont les actions médiatiques sont restées célèbres pour ses fameux « sandwich-protestants » venant perturber les entreprises soupçonnées « d’abus de stagiaire ». Les yeux rivés vers les étoiles du CDI et les mains dans le camboui de la vie de l’entreprise, oui. Mais pour combien de temps ?
3 Comments
Une 5A
Sciences Po Avenir valide des conventions de stage pour des stages (en France, dans un organisme français) supérieurs à 2 mois et non rémunérés (donc illégaux). Donc je ne sais pas si on peut dire qu’ils sont si vigilants.
En revanche, je confirme qu’ils sont assez réactifs sur le boycott de certaines entreprises dans lesquelles les élèves signalent des expériences de stage très négatives (type harcèlement moral hein, pas non plus « j’ai fait plus de 35h ma vie est foutue »).
JimmyF
« Le texte prévoit qu’aucune convention de stage ne peut être conclue pour exécuter une tâche correspondant à un poste de travail permanent, pour faire face à un accroissement temporaire de l’activité de l’organisme d’accueil, pour occuper un emploi saisonnier ou pour remplacer un salarié en cas d’absence ou de suspension de son contrat de travail. La loi a également revalorisé l’indemnité des stages et fixé une limite de 6 mois à la durée d’un stage. »
Protéger les stagiaires est primordial, mais là, je ne vois plus très bien l’intérêt pour l’entreprise d’en prendre … Enfin si elle suit le texte.
Nicolas
Certes certains grands groupes abusent clairement du stage. En revanche la remarque sur les startups est selon moi infondée. Souvent lors de la première année de l’entreprise le stage est la seule solution qui permet d’accélérer sa croissance dans le cadre de ses faibles ressources. Facebook a engagé des stagiaires au tout début et ceux-ci ont pour la plupart été embauchés par la suite et même parfois sont aujourd’hui associés au capital (et donc sont millionaires). De plus, les stagiaires de Facebook aujourd’hui touchent en moyenne 5000$ (http://www.lexpress.fr/emploi/chez-facebook-les-stagiaires-touchent-le-jackpot_1109079.html). Un stage au sein d’une startup est donc, je crois, quelque chose d’à part, permettant de vivre une expérience totale et souvent d’intégrer par la suite des postes très intéressants lorsque la startup devient profitable.