Eliogabalo, empereur de tous les excès

Entre deux fiches techniques et recherches de profit marginal, l’immense opéra Garnier vous ressourcera. Fervente admiratrice de l’oeuvre de Thomas Jolly au théâtre, l’auteur s’est laissée emporter par cet art. Vous voyez dans l’opéra des thèmes surannés aux tableaux surchargés ? La Péniche vous invite à découvrir Eliogabalo de Cavalli, l’histoire surprenante d’un jeune empereur mégalomane, bisexuel et fantasque. Suivez-nous dans les coulisses de celui qui, selon le metteur en scène, «trouble tous les rapports : les rapports à la sexualité, les rapports au genre, les rapports à la religion, les rapports à la loi, il renverse l’ordre établi à tous les niveaux ».

Une exposition émouvante en demi-teinte

Tout au long de la première partie, on découvre l’univers déployé par Thomas Jolly. Prédominance du noir, lumières qui sculptent l’espace, rigueur et impertinence dans le jeu des acteurs : tout est là. Il est émouvant de reconnaître sa patte et de constater les connexions entre cet opéra et sa pièce précédente, Richard III. Le parallèle n’est pas absurde, tant Eliogabalo s’inscrit dans la continuité d’une réflexion sur les tyrans et autres monstres politiques. Toutefois, s’il est habitué à ses innovations permanentes, le spectateur est presque déçu par cette exposition sage et finalement assez peu originale.

Concentrons-nous, en contrepartie, sur la musique. L’orchestre, dirigé par Leonardo Garcia Alarcon, accompagne admirablement les chanteurs et donne de l’impulsion à l’action. Franco Fagioli est particulièrement brillant dans son rôle et transcrit par son jeu et par sa voix l’extravagance d’Héliogabale. La crainte principale est immédiatement évacuée : à aucun moment les chanteurs ne sont statiques. Le jeu est au cœur de cet opéra et même pendant les arias, l’action se poursuit.

Si les costumes de Gareth Pugh sont à eux seuls une œuvre d’art, il n’en demeure pas moins que nous restons sur notre faim quand arrive le premier entracte.

L'opéra Garnier
Opéra Garnier Grand Escalier. Source : Benh Lieu Song (Wikimedia Commons) https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0/legalcode

Les vraies nouveautés

La suite nous détrompe. Là où Richard III était centré sur le texte et le jeu d’acteur, Eliogabalo fait la part belle à l’esthétique. On assiste ainsi à de véritables tableaux dans les actes II et III : le ballet des hiboux, brillamment chorégraphiée par Maud Le Pladec ou encore la scène du bain d’or, symbole de la démesure du jeune empereur, sont à couper le souffle.

La musique donne aussi une nouvelle dimension aux sensations de spectatrice, en particulier les chœurs qui intensifient l’épique de l’action quand ils réclament la mort d’Héliogabale. Le chant, les instruments et la mise en scène sont autant de calques qui une fois superposés donnent à vivre une expérience véritablement unique.

Reste à rendre hommage à Antoine Travert, génie des lumières. Là où le décor est assez dépouillé, représentant, pour reprendre les termes de Thomas Jolly « la Rome instituée », les lumières structurent et déstructurent l’espace, symbolisant à merveille la transgression permanente dans laquelle baigne Héliogabale. La lumière est ici liée à l’inconstance, thématique baroque s’il en est et question au cœur de l’œuvre de Cavalli.

En somme, si le livret de cet opéra est plutôt sage comparé à la légende qui entoure cet empereur, Thomas Jolly n’oublie pas d’y faire référence car selon lui, « le personnage est beaucoup plus complexe, beaucoup plus intrigant que ça dans sa légende ». Ainsi, là où le livret décrit une partie de colin-maillard pour choisir quelles femmes entreront pour la première fois au Sénat, le metteur en scène fait appel à la légende et dévoile subtilement l’orgie lesbienne ordonnée par Heliogabalo pour satisfaire son goût pour la débauche. Pour autant, il n’y a pas travestissement du livret de Cavalli dans cette adaptation. Pour découvrir la légende noire de l’empereur Héliogabale, lisez plutôt l’essai controversé d’Antonin Artaud Héliogabale: ou, L’anarchiste couronné.

Malgré la tentation, la mise en scène ne verse jamais dans la facilité et reste sobre. Fidèle à lui-même, Thomas Jolly privilégie la clarté et la finesse dans l’analyse des relations entre les personnages, sans toutefois oublier le spectaculaire. Encore une fois la force de frappe que dégage le plateau est stupéfiante. (SPOILER ALERT : il faut du temps pour s’en remettre)