Ecriture, Méditerranée et langue française – la rentrée littéraire de Daoud et Darrieussecq

Auteure et psychanalyste, lauréate du prix Médicis pour Il faut beaucoup aimer les hommes, Marie Darrieussecq anime cette année un cours d’écriture à SciencesPo. Elle succède à Kamel Daoud comme titulaire de la chaire d’écrivain en résidence. Ce lundi 16 septembre, la rentrée littéraire était l’occasion d’une rencontre entre les deux auteurs.

Écrire, traduire, rêver

Marie Darrieussecq a intitulé son propos inaugural “Écrire, traduire, rêver”.

Rêver, car pour écrire, “il faut une solide confiance dans les rêves”, affirme-t-elle.  “Il s’agit de devenir un attrape-rêves. Les siens, ceux des autres. Il faut laisser venir les rêves et les possibles. Être ouvert et poreux au monde.” Savoir s’ouvrir, mais savoir se protéger aussi. “Écouter le monde battre en soi, et réguler ce grand battement. J’essaie de transmettre comment construire cette bulle de l’écriture. Apprendre à construire son scaphandre.”

Traduire, car la traduction constitue une autre façon d’écrire, puisqu’il s’agit de trouver les mots justes. Comme l’écriture, elle part d’un désir et demande de l’obstination.  “Une pelote de laine à retricoter dans sa propre langue” décrit celle qui est l’auteur de nombreux travaux de traduction dont Tristes Pontiques, d’Ovide, ainsi que des oeuvres de James Joyce et de Virginia Woolf.

Écrire enfin, comme un impératif. “On n’a pas le choix d’écrire” assure-t-elle. “Je ne crois pas qu’on puisse enseigner l’écriture. Aucun enseignement ne fera de vous un écrivain ou une écrivaine”, prévient-elle d’emblée. Cependant, l’atelier d’écriture révélera les écrivains, ceux qui n’osent pas écrire, pense l’auteure. Car dans l’écriture réside une énorme part de confiance en soi.

La Méditerranée

Kamel Daoud et Marie Darrieussecq ont un point commun : la Méditerranée. Pour elle, c’est une obsession. Cette mer, à la fois berceau et tombeau, est présente dans son dernier roman La mer à l’envers.

La Méditerranée. Pour une fille de l’Atlantique. C’est plat. Une mer petite. Les côtes sont rapprochées. On a l’impression que l’Afrique pousse de tout son crâne contre l’Europe, d’ailleurs c’est peut-être vrai. Une mer tectonique, appelée à se fermer.”

Narrant la rencontre de Rose, parisienne, avec Younès, jeune Nigérien naufragé en Méditerranée, l’oeuvre évoque l’absurdité des politiques migratoires.

Marie Darrieussecq raconte qu’enfant, elle était fascinée par les papiers d’identité. Ce petit bout de papier avec notre photo. Certains l’ont, d’autres non. “Comment nous a-t-on fait accepter une chose si bizarre ?”. Pour l’auteure, le rôle de la littérature se situe précisément ici : interroger l’évidence. Dénoncer l’absurdité de ce qui nous paraît établi, à la manière de Kafka, son auteur fétiche.

La langue française

Plus que les deux auteurs, l’invité d’honneur de cette rencontre était la langue. Le français, en l’occurrence. Pour Marie Darrieussecq comme pour Kamel Daoud, elle est une langue d’adoption, leurs langues maternelles étant respectivement le basque et l’arabe. Une chance selon eux, car voir le français comme une autre langue permet de la “triturer”, de se l’approprier. 

Dans le cas des réfugiés,  la langue est une question sensible et importante, souligne-t-elle, puisqu’utilisée pour décrire l’expérience vécue. “Les mots façonnent la réalité”. Quant à Kamel Daoud, il voit la langue française comme une femme, qui lui a fait découvrir cette sensualité que l’arabe interdisait.

“Une langue se boit et se parle, et un jour elle vous possède; alors, elle prend l’habitude de saisir les choses à votre placent elle s’empare de la bouche comme le fait le couple dans le baiser vorace.” écrit-il dans Meursault, contre-enquête.

Sa relecture de l’oeuvre de Camus lui avait valu le prix François Mauriac et le prix Goncourt du premier roman en 2015.En Algérie, le français, toujours associé à la colonisation, est une langue “que l’on pousse à la clandestinité” décrit-il. “Pour moi c’est une langue qui est vivante. Elle est là, elle m’appartient…et on essaie de vivre heureux.”