Des fragments latino-américains loins des clichés
Les vestiges du premier semestre peinent à s’évanouir de nos souvenirs, débute maintenant l’attente des résultats, ces enfants bâtards générés dans les entrailles de l’Institut au terme d’une sombre mécanique de gestation sur laquelle la spéculation va bon train à l’aide de mots parfois terribles ; « népotisme », « tricherie », « note-à-la-gueule », « harmonisation » – tout y passe pour adoucir la grimace involontaire qui convulsera nos visages à la découverte du fruit de presque cinq mois de labeur. Dans l’attente de ce jugement qui arrivera après un délai très raisonnable si l’on considère la justice française, l’étudiant moyen s’attèlera simultanément à évincer de son espace mental les restes parasitaires de ses cours défunts avec plus ou moins de succès, à l’application de bonne résolutions sur lesquelles je me verrai mal vous réitérer une boutade déjà faite maintes fois à ce stade de l’année, et enfin – et peut-être surtout– à entretenir cette douce langueur que procure l’entre-deux semestres, ce cocon de soie nommé temps-libre qui te berce et qui te ment en te disant que ça durera toujours.
Afin de prolonger cette illusion lyrique au delà de la reprise, LaPéniche.net vous propose une pause latino-américaine dont on peut résumer les avantages déterminants qu’elle possède en une phrase, affront que je n’ose vous porter ici qu’en raison de l’espace qui m’est imparti: l’exposition Fragments latino-américains, qui dure jusqu’à vendredi, est gratuite ; la Maison de l’Amérique Latine qui l’abrite de 11h00 à 20h00 se situe à 8 minutes à pied du 27.
Photographes aguerris, hispanophones rêvant d’une évasion précoce, novices de l’objectif et des « r » roulés, chacun y trouvera son compte, c’est ce qui arriva à votre serviteur pourtant membre de la troisième de ces catégories. Dans les sous-sols clairs de ce très classe hôtel particulier, clichés (surtout) et vidéos (trois) s’espaçant sur 40 ans et réalisés par 16 artistes sud-américains aux renommées inégales et de 9 nationalités différentes, offrent aux yeux usés un kaléidoscope exceptionnel de la création visuelle moderne et contemporaine du continent: l’exposition ne tente nulle synthèse monolithique de l’Amérique latine – comme en témoigne son titre – mais aspire à en donner un aperçu multiple, fragmentaire, et ce par une pluralité des approches, des visions, pour rendre compte de la multiplicité des identités et des représentations du continent.
Visages graves en noir et blanc, paysages urbains colorés, photo militante ou non, films conceptuels et matériaux innovants, ciels majestueux et scènes de la vie quotidienne, détournements saturés de chefs-d’œuvre européens – la diversité des sujets et des formes attise la curiosité du visiteur, le presse à avancer pour découvrir le prochain artiste et sa sensibilité. Les bustes féminins de Manuel Alvarez Bravo jouxtent des visages de Leo Matiz que l’on devine endurcis par le soleil et la poussière, un regard d’enfant se détache au détour d’une rue encombrée, deux mains dépouillent à Bogotá un tourbillon de bulletins de vote pliés.
Le visiteur est happé par les ambiances urbaines dont on entend presque le flamenco en bande-originale. Les portraits et les corps narrent souvent la souffrance, la misère des peuples, mais ici point de pathos, seulement une résolution que l’on devine tenace, une dignité que les artistes parviennent à révéler au visiteur de manière à ce que l’émotion devienne sensible, à l’image du travail du brésilien Sebastião Salgado, ancien économiste reconverti à la photographie militante.
Des favelas aux ranchs argentins, Fragments latino-américains offre une diversité de sujets, d’artistes et de médias qui ne peut laisser complètement indifférent, et qu’on ne saurait ne pas vous exhorter à découvrir. Dans le meilleur des cas vous aurez véritablement bondi en Amérique latine et vous en redemanderez – certains artistes, comme l’excellent Vik Muniz qui fourvoie l’œil du visiteur inattentif à l’aide de matériaux par la suite photographiés, ne se voient qu’une mince place attribuée parmi les grands noms, et l’on souhaiterai parfois qu’une exposition entière consacrée à nos favoris soit disponible. Dans le pire des cas, vous aurez fait une petite balade le temps de la consommation de votre pitance du midi.
Images: Collection de la Maison Européenne de la Photographie, Paris.