Céline, Voyage au bout de la nuit

Cela a débuté comme ça ». Début d’introduction. « Voilà », fin d’introduction. Le tout en six lignes. Bienvenue dans l’univers littéraire de Louis Ferdinand Céline. L’in media res, il faudra vous y faire pour lire Voyage au bout de la nuit. C’est l’un de ces livres qui sont si bons que, arrivé à la moitié, vous ne pourrez tourner les pages restantes sans la peur d’arriver trop rapidement à la fin. Impression terrible attestant de la qualité d’un livre et du génie de son auteur.

Il faut s’habituer au style célinien : novateur, aiguisé, vif et cru. Apprenez à le lire et surtout ne vous laissez pas décourager par les premières dizaines de pages, car ce serait passer à côté de quelque chose d’extraordinaire.

Nous suivons la vie tumultueuse, instable et parfois minable de Bardamu, héros ou anti-héros toujours en quête de fuir quelque part. Il voyage fuyant d’un lieu à un autre, d’un pays à un autre, d’un continent à un autre. Nous le suivons à la guerre, dans les colonies, en Amérique. C’est la vie et les rencontres d’un homme de son temps et dépourvu d’argent qui nous est narrée.

Bardamu, bien qu’éduqué et médecin, n’en est pas moins pauvre car il soigne les pauvres et sa conscience lui interdit de les faire payer pour une consultation. Cette conscience est à géométrie variable, parfois kantienne et parfois inexistante. Il n’aime pas tant les femmes que les plaisirs de la chair et ses vices sont nombreux. Toutefois nous sommes poussés à éprouver pour lui une secrète sympathie.

Céline nous donne à voir le misérabilisme de l’homme, sa médiocrité, ses infamies, sa faiblesse absolue, et ce dans toute sa grandeur. C’est aussi la triste clairvoyance des relations entre les individus. Paradoxalement, ce livre fait beaucoup rire ou sourire, le sarcasme du narrateur y est pour beaucoup. Du point de vue littéraire, cette lecture est fascinante : la langue est l’outil de Céline et il le manie avec génie. Il utilise toutes ses nuances et ses subtilités et surtout il use de tous les registres, du plus soutenu au plus vulgaire ; il brise les règles fondamentales, s’émancipe jusqu’à créer son langage à l’aide de l’argot, d’un vocable qui lui est propre, d’une déstructuration de la syntaxe.

Historiquement, ce livre est aussi important : il permet de saisir la misère du début de siècle précédent. Misère financière, morale et humaine. Les jugements que le narrateur porte sur la guerre pourraient être ceux de n’importe quel soldat de la Grande Guerre : « Aussi loin que je cherchais dans ma mémoire ; je ne leur avais rien fait aux allemands. » ou encore « engraisser les sillons du laboureur anonyme c’est le véritable avenir du véritable soldat ! ».

Bien que fondamentalement pessimiste et cynique, nous ne pouvons cependant que comprendre Bardamu, personnage fascinant toujours étonnant et perspicace. Dans ce livre, l’homme est mis à nu et révèle toutes les bassesses dont il est capable. Voyage au bout de la nuit est une œuvre que l’on vit, que l’on éprouve dans le sens où il ne s’agit pas d’une simple narration mais d’une invitation au voyage des sens et des sentiments. Un mot pour définir ce chef d’œuvre : jubilation !

Distinguons toutefois l’auteur de l’homme engagé politiquement. Céline lui-même avait refusé la réédition de certains de ses pamphlets – ses ayants droits respectent cette décision – qui seraient de toute façon interdits par la loi Pleven portant sur la haine raciale. L’histoire n’est pas morale, le débat n’est toujours pas clos et, la lecture de ces romans demeure une aventure grandiose.

10 Comments

  • chromos

    Ca bouge encore (sous mes jambes)

    Paris (75009) / dim. 29/08/10 > mer. 01/09/10
    Dans le cadre du festival New-York à Paris, Chromos compagnie présentera les dimanche 29 aout 2010 (16H), mardi 31 aout (21H) et mercredi 1er septembre (21H) :

    Ça bouge encore (sous mes jambes)

    Pièce pour danseur, diapositives, voix et bande-son. D’après les chapitres New-yorkais du « Voyage au bout de la nuit » de Louis Ferdinand Céline. À la croisée de Smoke, Enter the Void, Inland Empire et Modern times, en une heure dix de rêves, de visions, de fièvres et de cauchemars, Bardamu-Céline danse les chapitres américains de son futur « Voyage au bout de la nuit » dans sa plus petite chambre d’Amérique.

    Mise en scène : Julien Bal,
    Danseur : Jean-Charles di Zazzo,
    Bande-son : Térence Meunier

    Renseignements / réservations :
    Théâtre de la Reine Blanche
    2 bis passage ruelle
    75018 Paris (Métro La Chapelle)
    Tél : 01 42 05 47 31

  • chromos

    « Nuit d’Amérique »

    (d’après les chapitres américains du « Voyage au bout de la nuit » de L. F. Céline)

    Théâtre du temps, 9 rue du Morvan, Paris. Métro Voltaire.

    Du 17 au 28 février 2010.
    20h30 / 17h dimanche.

    Synopsis : Bardamu débarque pauvre et fiévreux au pays du travail à la chaîne et du dieu Dollar.

    Version scénique / Mise en scène : Julien Bal
    Avec : Guillaume Paulette (Bardamu)
    Valentina Sanges (Molly)
    Giulio Serafini (Le groom, le joueur de Base Ball qui danse au bordel)
    Julien Ratel (Flora, l’infirmier, Bébert le chanteur)
    Renaud Amalbert (Pierrot le fou)
    David Augerot (Marcel, Robinson, le facteur de Meudon)
    Lumières : Renaud Amalbert
    décor : Lightcorner

    Informations : chromoscompagnie ( at ) yahoo.fr
    01 43 55 10 88

  • pauline

    Moi j’ai lu « casse pipe » et un extrait de « voyage au bout de la nuit « , la façon dont il écrit est hors norme pour un auteur de son siècle. c’est très sympa à lire et on ne s’ennuie pas. le langage qu’il utilise est choquant pour les gens de son époque mais pas pour la notre !! Céline est un auteur inclassable car il s’est crée son propre univers. L’article est super, tu explique bien et tu met en avant les traits du roman et du style de Céline. Bonne continuation.

  • Scredlove

    Tu m’as réellement donné envie de le lire à nouveau. Ce grand livre. Et j’ai bien aimé ta réponse, bien rit aussi. Bonne continuation à toi.

    Merci pour ce partage.

  • romain

    falzinar;

    si l’on dit souvent que le silence ou l’ignorance est la meilleure des réponses, je choisis pourtant de te répondre car si la forme laisse à désirer le fond est de fait juste. En effet, ce n’est pas parce que ta dernière phrase est particulièrement méchante que je ne peux la dépasser et répondre à la controverse littéraire. Je pourrais aussi être méchant et te signaler, toi qui utilise des grands mots que « au final » n’est pas français, que c’est une faute grave pour certains et qu’il faut dire finalement, seul a être toléré par le dictionnaire, puisque on est entre puriste, ou puriste auto-proclamé! Je pourrais le faire. Cependant, nous faisons tous des fautes ou, je sais au moins que j’en fais. Peu importe, là n’est pas l’intérêt.

    Mon petit papier n’a nullement la prétention d’être une analyse littéraire, il est une sorte de fiche qui n’a que pour fonction de donner envie de lire ce livre à ceux qui ne le connaîtrait pas.

    Par ailleurs, je n’ai pas écrit que ce dernier incarnait le style de Céline. Je suis en accord avec tes objections en effet, mort à crédit sonne bien plus « célinien ». Un style n’est pas inné, il est a cultivé. Mais toi, ô grand maître dont « la compréhension du chef d’oeuvre en question » semble si complète, éclaire nous je te prie de tes lumières. Je pense simplement que tu a sauté ridiculement sur l’occasion pour en faire des tartines, étaler ton savoir au détriment d’un autre, comportement que l’on sait extrêmement louable. Tu as extrapolé et saisi un point. Par ailleurs, je faisais une fiche sur Voyage… pas sur Céline, hors sujet donc. Si j’avais voulu saisir Céline dans son ensemble, j’aurais fait un mémoire, une thèse mais pas une fiche de lecture, alors pardonne-lui sa légèreté due à la forme choisie et ses finalités. La critique est aisée, elle est au moins plus simple que l’écriture.

    Ainsi, merci pour tes informations, justes. En revanche la forme est à revoir, le savoir ne sert pas à écraser les autres. Par ailleurs, il est prétentieux de croire le détenir.

    Amicalement tout de même,
    Romain.

  • Falzinar

    "Voyage au bout de la Nuit" n’est pas l’ouvrage qui a consacré le style si particulier de Céline, au contraire. L’écrivain avait été déçu au final par son premier roman, d’autant plus qu’il avait été acclamé à l’époque. Le langage du récit y est encore structuré et les humanismes de Céline sous forme de petites aphorismes au fil du roman ne se retrouvent que ce livre-là. Si l’on considère ses autres publications, comme "Mort à Crédit", "Guignol’s Band I et II" ou encore "Casse-Pipe", on peut voir que c’est là que Céline a réussi a exprimé ce qu’il appelait "la petite musique des mots", tout en interjections et en points de suspension.
    Tout ça pour dire que l’auteur de cette fiche aurait bien pu nous épargner cet article inepte, dont la rédaction lui a visiblement demandé plus de temps que la lecture et la compréhension du chef d’oeuvre en question.

  • MH.

    Littleboy, le fait que l’auteur ne cherche pas à "témoigner d’une époque en particulier" ne veut pas dire qu’il ne le fait pas de facto. Si le projet de Zola était de dépeindre la société sous le second empire le fait que Céline ne se soit pas fixé ce genre de projet ne l’empèche pas de révèler une certaine époque, en histoire, je pense que certaines de ses pages peuvent être de bonnes sources primaires, tout comme Stendhal. Le fait de ne pas "proposer de sortie" n’a rien à voir avec l’aspect historique car proposer une porte de sortie est un point de vue politique.

  • Sanseverina

    Révolutionnaire, le Voyage est aussi paradoxalement un grand classique: Céline a bouleversé les codes littéraires, introduisant la modernité grinçante d’un style décapant.
    Sa profondeur philosophique se fait l’écho d’un désenchantement historique, tout en évoquant l’universel. Un voyage jusqu’au bout de l’humanité.

  • Littleboy

    "Historiquement, ce livre est aussi important : il permet de saisir la misère du début de siècle précédent. Misère financière, morale et humaine"

    Je crois que c’est une erreur de le prendre dans une dimension historique : l’auteur montre tout le côté dégueulasse de l’humanité, mais ne cherche certainement pas à témoigner d’une époque en particulier. Céline n’est pas Zola. Il ne propose aucun horizon, aucune possibilité de sortir de la pourriture, montre la même décadence chez les bourgeois et dans les milieux américains.