Le Mag- Voyage en Europe de l’Est, épisode 1

Cette série d’articles, intitulée « Voyage en Europe de l’Est », se propose d’étudier l’histoire des pays d’Europe centrale et orientale. Son ambition n’est pas d’en reconstituer une histoire exhaustive mais d’insister modestement sur ce qui me semble intéressant pour apprécier la richesse de cette région: l’histoire, la géographie mais aussi la littérature ou encore les grandes idées seront autant de thèmes abordés pêle-mêle et qui proposent au lecteur une humble porte d’accès à l’Europe de l’Est que je laisse à ce même lecteur le soin d’ouvrir.  Je reste bien entendu ouvert à tout conseil ainsi que toute remarque ou proposition concernant la suite de cette série.

Commençons sans plus attendre avec un premier article introductif dont l’objectif est de dresser un rapide portrait de la situation de l’Europe de l’Est depuis 1991 : il est le seul article de la série à porter sur l’actualité, les suivants aborderont les thèmes que nous avons mentionnés ci-dessus.

Le 25 février 1991, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des pays membres du pacte de Varsovie se réunissent à Budapest et s’accordent pour dissoudre la structure militaire de l’alliance socialiste. Le pacte de Varsovie est à bout de souffle depuis déjà quelques années : un an plus tôt, Vaclav Havel s’est rendu à Moscou et a obtenu le retrait des troupes soviétiques stationnées en Tchécoslovaquie. La Hongrie a fait de même quelques mois plus tard, et la RDA, en voie d’unification avec la RFA, a annoncé son retrait du pacte.

Le 25 février marque le démantèlement d’un système de défense qui a perduré pendant plus de trente-cinq ans et dont la fin accélérée semble brusquement livrer « l’autre Europe » à elle-même.

Pourtant, dix jours auparavant, dans une petite ville située au nord de la Hongrie, se sont réunis les chefs d’État de Tchécoslovaquie, de Hongrie et de Pologne. Les trois pays, devenus quatre après la scission de la Tchécoslovaquie, ont reconnu la nécessité d’une alliance pour accélérer leur intégration à l’UE. L’alliance prend le nom de la ville où s’est déroulé le sommet, et le désormais « groupe de Visegrad » ou « V4 » entend prouver au reste du monde que les pays d’Europe centrale et orientale, libérés du joug soviétique, sont capables de s’autodéterminer dans ce nouvel ordre mondial. C’est chose faite le 1er mai 2004, date à laquelle les Quatre sont acceptés au sein de l’Union Européenne. L’objectif du groupe est donc atteint et le V4 devient logiquement obsolète avec les années.

Mais on observe aujourd’hui de manière tout à fait paradoxale que le groupe de Visegrad, qui était donc originellement conçu pour accélérer l’intégration de ses membres à l’UE et à l’OTAN, semble se muer depuis plusieurs années en une entité géopolitique revendiquant une certaine distance vis-à-vis de l’UE.

Cet éloignement puise d’abord sa source dans la crise migratoire de 2015-2016, au cours de laquelle le V4 s’est réuni de nouveau et a très clairement affiché son opposition à la politique migratoire de l’Union Européenne. Ce désaccord est la toile de fond d’une fracture qui se dessine de plus en plus nettement et qui oppose d’un côté les pays dont les gouvernements acceptent dans l’ensemble les valeurs et le mode de fonctionnement de l’UE et de l’autre les membres du groupe de Visegrad.

Si la question migratoire a été en 2015 le principal vecteur de la réanimation du V4, elle n’épuise pas pour autant les causes de cette distance avec l’UE. Rappelons le, le destin de toute l’Europe de l’Est a été étroitement lié pendant la moitié d’un siècle à celui de l’URSS, qui réduisait les nations au rang de satellites assujettis à Moscou. En 1991, l’effondrement brutal de l’URSS et la chute du rideau de fer font soudainement basculer cet ordre, et, comme l’écrit Hélène Carrère d’Encausse, « la nation que Marx croyait avoir exorcisée, est de retour, elle se venge d’avoir été ignorée ».

C’est ainsi au nom de la nation et de leur souveraineté fraîchement reconquises que les pays du V4 – plus particulièrement la Hongrie et la Pologne, toutes deux visées par l’article 7 du traité de l’UE –  se méfient aujourd’hui de l’Union Européenne, perçue comme un appareil bureaucratique – « Bruxelles » –  propre à empiéter sur le domaine national et peu indulgent avec le modèle de « démocratie illibérale » que défendent la Hongrie et la Pologne.

Ainsi le V4, réactivé par la crise migratoire, prend ses distances vis-à-vis de l’UE et s’oriente vers d’autres alternatives, comme « l’Initiative des trois mers ». Le groupe de Visegrad est au centre de cette initiative qui a réuni en août 2016 douze pays situés entre la Baltique, l’Adriatique et la mer Noire, issus pour la quasi totalité du bloc soviétique.

Principalement focalisée sur des questions d’énergie et de transports, cette initiative est hautement stratégique : l’Europe orientale consomme à l’heure actuelle du gaz fourni en très grande partie par la Russie et qui transite notamment par des pays comme l’Ukraine. Or, et précisément à l’aide de cette initiative, des pays comme la Pologne  – dont on connaît l’histoire tragique avec la Russie – cherchent à s’éloigner du statut d’importateurs de gaz russe et envisagent plutôt de se tourner vers le gaz de schiste américain. On comprend ainsi pourquoi cette initiative est vivement soutenue par les Etats-Unis, désireux de trouver dans l’Europe de l’Est des débouchés pour l’industrie américaine du gaz de schiste et par le même temps de priver progressivement la Russie de sa première zone d’exportation pour ses ressources naturelles. Dans ce cas de figure, la Pologne est envisagée comme le principal pivot à partir duquel transiterait le gaz américain vers le reste de l’Europe centrale au détriment du gaz russe qui circule en ce moment principalement par l’Ukraine.

Mais c’est précisément parce qu’elle tend à affaiblir la Russie que l’initiative ne fait pas encore l’objet d’un consensus parmi les Douze, soucieux pour la plupart d’éviter de faire une nouvelle fois de l’Europe de l’Est le théâtre d’affrontements entre les Etats-Unis et la Russie.

« Qui tient l’Europe orientale tient le Heartland, qui tient le Heartland domine l’île mondiale, qui domine l’île mondiale domine le monde », annonçait Mackinder…

// A SUIVRE //

E. Ferenc Huet