Un dimanche dans tous ses états
“Il y a toujours des gens qui trouvent des choses à ne rien dire.”
Raymond Queneau
Si les bons artistes copient et les grands artistes volent, aujourd’hui nous nous contenterons d’essayer d’être de bons artistes. La lecture des Exercices de style de Raymond Queneau a été pour nous une révélation ; nous y avons découvert une manière d’écrire fulgurante, libre et innovante. Alors, que Raymond nous le pardonne, nous nous sommes librement inspirés de son concept pour nous lancer dans l’écriture d’Un dimanche dans tous ses états. Vous allez le comprendre, le principe est très simple : nous avons réécrit une scène, en apparence anodine, de trente-et-unes façons différentes.
Ce projet a été mené par quatre mains (soit vingt doigts) appartenant aux corps de Camille et Ralph ; éloignés géographiquement mais rapprochés par les lettres (et surtout google doc). Jouant des sens, des sonorités et des styles, les quatre mains se sont bien amusées et espèrent qu’elles vous amuseront aussi !
Bonne lecture !
Camille et Ralph
Original
Dans la salle à manger de notre appartement, comme à notre habitude, nous partagions le petit-déjeuner en famille un dimanche matin ensoleillé. Ma mère lisait le journal en fumant sa pipe, tandis que mon frère et mon père discutaient de politique. Moi, je mangeais une tartine au beurre.
Plus tard, dans l’après-midi, alors que je promenais mon chien je tombe nez-à-nez avec madame Dupont notre voisine qui me parle de la mort de son mari.
Minutieux
Dans la salle à manger, situé entre la cuisine et la chambre de mes parents, dans notre appartement de 70m2 situé au quatrième étage (sans ascenseur) du 9 rue de Crimée dans le 19 arrondissement de la ville de Paris; comme à notre habitude, le dimanche 18 avril 2018 à 8h56 par un matin ensoleillé où il faisait 18 degrés Celsius, nous partagions un petit-déjeuner composé de café, de baguette, de beurre, de confiture et de céréales en famille. Ma mère, Véronique Jécris, née le 25 octobre 1972 dans la ville de Marseille en France, blonde, mesurant 1 mètre 76, passionnée de cinéma et de littérature, diplômée en droit de l’université de la Sorbonne en 1994, avocate retraitée lisait le journal Libération, fondé le 18 avril 1973 sous la protection de l’écrivain et philosophe français Jean-Paul Sartre, né le 21 juin 1905 à Paris et mort le 15 avril 1970 dans la même ville, en fumant sa pipe dont elle avait fait l’acquisition lors de la brocante du 17 mai de l’année dernière. Pendant ce temps-là, mon frère Antoine Jécris, né le 17 janvier 2000 à Paris, brun, mesurant 1m75, étudiant en licence d’économie à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne fondée en 1971 et dont la devise est « hic et ubique » et mon père, Pascal Jécris né le 14 février 1968, brun, mesurant 1m87, diplômé de l’université de Paris Nanterre en 1989, et actuellement à la retraite discutaient. Moi, Damien Jécris, né le 15 mai 2002, brun comme mon frère et mon père, mesurant 1m72, passionné de photographie et voulant devenir astronaute plus tard, je mangeais une tartine au beurre bio, achetée la veille au supermarché du coin.
Plus tard, à 16h18 de l’après-midi, alors que je promenais mon labrador Igor, né en 2012 et que nous avons adopté en 2016, je tombe nez-à-nez, au coin de la rue de Belleville et de la rue Compans, situées toutes deux dans le 19e arrondissement de Paris, avec madame Ginette Dupont notre voisine âgée de 75 ans, cheveux blancs, mesurant 1m68 et qui a emménagé dans l’immeuble le 17 août 1999, qui me parle de la mort de son mari, Maurice Dupont, né le 25 août 1940 près d’Albi d’un père, Alexandre Dupont, facteur et d’une mère Lucie Dupont née Clergue, femme au foyer ; la semaine dernière à l’hôpital Cochin situé dans la rue du Faubourg Saint-Jacques dans le 14e arrondissement de Paris.
Couleur
Dans la salle à manger de notre appartement, fraîchement repeinte en bleu clair, nous partagions un petit déjeuner composé de fraises rouges, de yaourt blanc et de café noir en famille. Ma mère, habillé de sa robe de nuit jaune, lisait le journal imprimé en noir sur blanc tout en fumant. Mon père était rouge en entendant ce que mon frère, habillé tout en blanc à l’occasion, lui disait. Moi, qui portait mon bonnet vert, je profitais d’une tartine dorée.
L’après-midi, alors que le soleil jaune faisait tâche dans le ciel bleu, alors que je promenais mon chien noir, je tombe nez-à-nez avec notre voisine, Madame Dupont, qui était habillée tout en noir de deuil.
Noms Propres
Dans la Georges à manger de notre Lucie, comme à notre habitude, nous partagions le Cicéron en famille un Gaston ensoleillé. Véronique lisait le Pierre en fumant sa Valentine, tandis que Pascal et Antoine discutaient de Josette. Moi, Robert, je mangeais une Céline.
Plus tard, dans l’Alice, alors que je promenais mon Joêl je tombe nez-à-nez avec Hortense Dupont notre voisine qui me parle de la Louis de son Patrick.
Exclamations
Tiens! Neuf heures! Déjà! Ouah qu’est-ce qu’il fait beau! Bonjour tout le monde! J’ai faim! Tiens c’est maman! Maman! Libération! Tu fumes déjà! Encore! Toujours en train de se chamailler! Encore et toujours! La politique! Mmmh! Délicieuse! J’adore les tartines!
Tiens! Seize heures! Médor! Allons faire un tour! Viens-là! Oh non! Pas elle! Oh non! C’est pas possible! Ça ne peut! Pas encore elle! Tiens donc Madame Dupont! Ça va! C’est horrible! Toutes mes condoléances!
Exclamations
Tiens! Neuf heures! Déjà! Ouah qu’est-ce qu’il fait beau! Bonjour tout le monde! J’ai faim! Tiens c’est maman! Maman! Libération! Tu fumes déjà! Encore! Toujours en train de se chamailler! Encore et toujours! La politique! Mmmh! Délicieuse! J’adore les tartines!
Tiens! Seize heures! Médor! Allons faire un tour! Viens-là! Oh non! Pas elle! Oh non! C’est pas possible! Ça ne peut! Pas encore elle! Tiens donc Madame Dupont! Ça va! C’est horrible! Toutes mes condoléances!
Hésitations
J’ai l’impression qu’il fait beau. M’ont-ils attendu pour le petit-déjeuner ? Pourtant on est dimanche … en principe ils devraient m’avoir attendu. Je crois que ma mère a déjà mangé, elle fume sa pipe. Elle lit un journal. Est-ce le Monde ? Le Figaro ? Libération ? Ca ressemble à la police du Monde. Non c’est peu probable. Connaissant ma mère je pense qu’il y a plus de chances pour que ce soit Libération, (mais rien n’est sûr).
Je prends un tartine avec ce qu’il reste dans le beurrier. Est-ce du beurre doux ? J’ai horreur du beurre demi-sel. Pire encore, ça pourrait être de la margarine. Qu’y a-t-il de mieux entre manger une tartine nature et une tartine de margarine ?
Mon Père et mon frère discutent. Mon père paraît agacé. Est-ce à cause du comportement de Nicolas ? Des propos de Nicolas ? De sa semaine difficile ? Est-ce à cause de moi ? Que me veut-il ? Mais qu’ai-je pu bien faire de mal ?
Mon chien remue la queue sans doute pour me témoigner de l’affection. Ou plutôt pour m’amadouer ? Pour que je le sorte ?
Ma voisine semble me remarquer de l’autre côté de la rue. Elle vient me parler mais rien n’est clair. Me raconte-t-elle une histoire ? Me raconte-t-elle son histoire ? Celle de ses enfants ? De ses petits-enfants ?
Pourquoi me raconte-t-elle ça ? Mais pourquoi ?
Métaphorique
Dans notre cocon familial, nous partagions notre pain, nous gardant de boire du vin dès le matin. Ma mère lisait le débat public en laissant des nuages cancéreux s’échapper de sa bouche, tandis que mon père et mon frère refaisaient le monde.
L’horloge ayant tourné, je vais promener le meilleur ami de l’Homme. Je tombe alors sur notre voisine Madame Dupont qui me parle de ses malheurs.
En partie double
Dans la salle manger et dans la cuisine de notre appartement et logis familial, toute ma famille et mon clan prenaient le petit-déjeuner et une collation matinale. Maman et ma génitrice fumait la pipe et son casse-gueule tout en lisant et feuilletant le journal et hebdomadaire ; pendant que mon père et créateur discutait avec son fils et mon frère de politique et d’affaires publiques. Je mangeais et dégustais une tartine de beurre et un en-cas beurré.
Dans l’après-midi et après le déjeuner, alors que je promenais et sortais mon chien et canidé, je rencontre et tombe sur ma voisine et vieille dame. Elle me parle et discourt de la mort et du décès de son mari et conjoint.
Un sur deux
Comme j’aimerais
Partager plus de moments avec ma famille
Me débarrasser
De tous les maux quotidiens
Pour respirer un peu
Se ressourcer des paroles
De mon frère
Aux mots toujours encourageants
Je n’aime pas tellement
L’odeur du tabac de
Ma mère
Mais sa présence excuse ce désagrément
Mes tartines de beurre
Viennent agrémenter ces temps de partage familiaux
Seuls réconforts de semaines arides
Seul mon chien est
En trop dans cet univers d’alchimie familiale
Aboyant sans cesse
M’obligeant à sortir encore mal éveillé
Je croise du regard ma voisine qui va encore me raconter sa vie
Je prends mes jambes à mon cou et m’enfuie
Anglicismes
Un seunedai morningue, ma familie et mi itions un brèquefaste dans notre daïningue roume, où le seune chaïnait. Ma meume ridait le niouzpèpeur et smoquait. Mon fazeur toquait avec mon brozeur tandis que j’itais un toast avec du beutteur.
L’aftèrenoune, je woquais mon dogue et j’ai mètte Madame Dupont, ma neïbeur qui m’a tolde abaout son euzband qui est dède.
Méli-mélo
Dalle la sans à nanger de motre appartement, cotre à nomme habudeti, nons partagious le détit-pejeuner en famanche un dimille ensatin moleillé. Ma mère lisal le journait en pimant sa fupe, tandon que mis fron et mère père politaient de discutique. Moi, je tarteais une mangeine au beurre.
Tus plard, dans l’apri-midès, alors que je chomenais mon prien je tombe nez-à-nez avec Dudame mapont votre noisine qui me port de la marle de si maron.
Croissant alphabétique
à à de en la le un dans nous comme manger matin notre notre salle famille famille dimanche habitude ensoleillé partagions appartement petit-déjeuner. au de en et je le ma sa mon mon moi que une mère père pipe frère lisait tandis fumant journal politique discutaient. au je moi une beurre tartine mangeais.
L’ de de je je la me mon que qui son avec dans mari mort plus tard alors chien notre parte tombe dupont madame nez-à-nez voisine après-midi promenais.
Haïku
Repas partagé
Famille réconfortante
Voisine chiante
Médor
Ouaf ! Ouaf !
Passant
J’adore les dimanches, d’autant plus lorsqu’ils sont ensoleillés. C’est le moment ou jamais de sortir, profiter du soleil, de se balader dans les rues de Paris. Dimanche dernier en début d’après-midi, après avoir déjeuné chez Céleste, un vieil ami qui tient un restaurant dans le coin de ma rue ; je décide de faire un petit tour dans mon quartier. Alors que je me suis assis quelques instants sur un banc du parc Monseigneur-Maillet, en face de la préfecture de police du 19e, j’aperçois un jeune homme qui balade son chien. C’est un magnifique chien, et sans vraiment réfléchir, je me lève de mon banc et décide de suivre le jeune homme pour lui demander si je peux caresser son chien. Alors que je me rapproche de lui, je le vois sourire et dire “Bonjour Madame Dupont” en s’adressant à une vieille femme sur le trottoir d’en face. Ils commencent alors à discuter d’un certain Thierry qui serait mort. Comme ils ont l’air de vouloir poursuivre cette discussion pour un moment encore, je décide de m’en aller.
Mod(u)la(tion) fin(ale)
Alors que nous voulions nous essayer à moduler notre style sur un sujet anodin, nous avons inconsciemment raconté notre quotidien.
S’émancipant des trente-et-unes nuances de Queneau, nos mots en sont venus à refléter nos jours en vase clos. Un jour sans fin.
Un jour sans fin certes, mais qui est égayé par le plaisir d’écrire, qui nous arrache au quotidien.
Entre les quatre murs du jour sans fin, comme l’a dit Jacqueline Saint-Jean, “la main ivre poursuit ses vendanges d’image son voyage fragile à travers le vif du temps”.